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HÉGÉSIPPE MOREAU

1810-1838

Né à Paris, ouvrier imprimeur, maître d'études, homme de lettres, à Provins et à Paris, mort dans sa vingt-huitième année à l'hôpital de la Charité, Hégésippe MOREAU a laissé, avec un petit nombre de pièces, épîtres, chansons, élégies, fabliaux, etc., suivies de quelques gracieuses nouvelles en prose, que l'amitié a pieusement recueillies et publiées sous le nom de Myosotis (1838, nouvelle édition 1851), le souvenir d'une vie attr stée par la gêne, peut-être par un orgueil amer et déçu, et d'un talent trop tôt enlevé à de légitimes espérances. Son nom s'associe à ceux de Gilbert, chanté par lui à l'hôpital, et de Malfilâtre que « la faim, a dit Gilbert, mit au tombeau. »

SUR LA MORT D'UNE COUSINE DE SEPT ANS

Hélas! si j'avais su, lorsque ma voix qui prêche
T'ennuyait de leçons, que sur toi, rose et fraîche,
Le noir oiseau des morts planait inaperçu ;
Que la fièvre guettait sa proie, et que la porte
Où tu jouais hier te verrait passer morte...
Hélas! si j'avais su!...

Je t'aurais fait, enfant, l'existence bien douce;
Sous chacun de tes pas j'aurais mis de la mousse ;
Tes ris auraient sonné chacun de tes instants';
Et j'aurais fait tenir dans ta petite vie

Un trésor de bonheur immense..... à faire envie
Aux heureux de cent ans!

Loin des bancs où pâlit l'enfance prisonnière,
Nous aurions fait tous deux l'école buissonnière 2
Dans les bois pleins de chants, de parfum et d'amour;
J'aurais vidé leurs nids pour emplir ta corbeille ;
Et je t'aurais donné plus de fleurs qu'une abeille
N'en peut voir en un jour.

1. Même précision hardie dans ce vers que dans celui d'A. Chénier: Ma bienvenue au jour me rit dans tous les yeux.

L'un s'adresse aux yeux, l'autre aux oreilles.

2. Cette locution, appliquée d'abord aux écoles tenues par les hérétiques dans les lieux écartés, à la campagne, puis, par extension et métaphore, aux enfants qui courent les buissons au lieu de se rendre à l'école, s'harmonise ici heureusement aux idées et aux expressions qui remplissent la strophe.

Puis, quand le vieux Janvier, les épaules drapées
D'un long manteau de neige, et suivi de poupées,
De magots, de pantins, minuit sonnant accourt;
Au milieu des cadeaux qui pleuvent pour étrenne,
Je t'aurais fait asseoir comme une jeune reine
Au milieu de sa cour.

Mais je ne savais pas... et je prêchais encore;
Sûr de ton avenir, je le pressais d'éclore,
Quand tout à coup, pleurant un long espoir déçu,
De tes petites mains je vis tomber le livre;
Tu cessas à la fois de m'entendre et de vivre...
Hélas! si j'avais su!

LA VOULZIE'

ÉLÉGIE

S'il est un nom bien doux fait pour la poésie,
Oh! dites, n'est-ce pas le nom de la Voulzie?
La Voulzie, est-ce un fleuve aux grandes îles? Non;
Mais, avec un murmure aussi doux que son nom,
Un tout petit ruisseau coulant visible à peine;
Un géant altéré le boirait d'une haleine;

Le nain vert Obéron3, jouant aux bords des flots,
Sauterait par-dessus sans mouiller ses grelots.
Mais j'aime la Voulzie et ses bois noirs de mûres,
Et dans son lit de fleurs ses bonds et ses murmures.
Enfant, j'ai bien souvent, à l'ombre des buissons,
Dans le langage humain traduit ses vagues sons;
Pauvre écolier rêveur, et qu'on disait sauvage,
Quand j'émiettais mon pain à l'oiseau du rivage,
L'onde semblait me dire: « Espère! aux mauvais jours
Dieu te rendra ton pain. » Dieu me le doit toujours!
C'était mon Egérie, et l'oracle prospère

A toutes mes douleurs jetait ce mot: « Espère !
Espère et chante! enfant, dont le berceau trembla.
Plus de frayeur : Camille et ta mère sont là.

1. Cf. les vers célèbres de CHARles d'Orléans (XVe siècle). Le Temps a laissé son manteau

De vent, de froidure et de pluie, etc.

2. La Voulzie coule près de Provins.

3. Obéron, roi des génies de l'air, dans la poésie scandinave. Voir Shakespeare.

4. Le nom de la nymphe qui inspirait Numa est arrivé à personnifier toute cause inspiratrice exprimée par un mot féminin.

Moi, j'aurai pour tes chants de longs écios...»
Le fossoyeur m'a pris et Camille et ma mère.
J'avais bien des amis ici-bas quand j'y vins,
Bluet éclos parmiles roses de Provins;

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Du sommeil de la mort, du sommeil que j'envie,
Presque tous maintenant dorment; et, dans la vie,
Le chemin dont l'épine insulte à mes lambeaux
Comme une voie antique est bordé de tombeaux'.
Dans le pays des sourds j'ai promené ma lyre;
J'ai chanté sans échos, et, pris d'un noir délire,
J'ai brisé mon luth, puis de l'ivoire sacré
J'ai jeté les débris au vent... et j'ai pleuré!
Pourtant, je te pardonne, ô ma Voulzie! et même,
Triste, j'ai tant besoin d'un confident qui m'aime,
Me parle avec douceur et me trompe, qu'avant
De clore au jour mes yeux battus d'un si long vent,
Je veux faire à tes bords un saint pèlerinage,
Revoir tous les buissons si chers à mon jeune âge,
Dormir encore au bruit de tes roseaux chanteurs.
Et causer d'avenir avec tes flots menteurs'.

UN SOUVENIR A L'HOPİTAL

Sur ce grabat, chaud de mon agonie 3,
Pour la pitié je trouve encore des pleurs;
Car un parfum de gloire et de génie
Est répandu dans ce lieu de douleur:
C'est là qu'il vint, veuf de ses espérance,
Chanter encor; puis, prier et mourir :
Et je répète en comptant mes souffrances:
Pauvre Gilbert, que tu devais souffrir !

Ils me disaient: Fils des Muses, courage!
Nous veillerons sur ta lyre et ton sort.
Ils le disaient hier, et dans l'orage

La Pitié seule aujourd'hui m'ouvre un port.

1. La plus celèbre des voies romaines bordées de tombeaux est la Via Appia, rendez-vous des élégants de Rome. Voir HORACE, Epîtres. I, 6, 26. 2. Cette élégie, considérée comme le chef-d'oeuvre de l'auteur, est l'expression la plus poétique et la plus éloquente de son talent et de son

caractère.

3. La mort trompa cette fois le poète. Cette pièce est de 1832.

4. Une tradition, reconnue fausse aujourd'hui, a fait mourir Gilbert à l'hôpital, non de la Charité, mais de l'Hôtel-Dieu.

Tremblez, méchants! mon dernier vers s'allume,
Et, si je meurs, il vit pour vous flétrir...
Hélas! mes doigts laissent tomber la plume:
Pauvre Gilbert, que tu devais souffrir!

Si seulement une voix consolante
Me répondait quand j'ai longtemps gémi!
Si je pouvais sentir ma main tremblante
Se réchauffer dans la main d'un ami!
Mais que d'amis, sourds à ma voix plaintive,
A leurs banquets ce soir vont accourir,
Sans remarquer l'absence d'un convive!...
Pauvre Gilbert, que tu devais souffrir!

J'ai bien maudit le jour qui m'a vu naître;
Mais la nature est brillante d'attraits,
Mais chaque soir le vent à ma fenêtre
Vient secouer un parfum de forêts.
Marcher à deux sur les fleurs et la mousse,
Au fond des bois rêver, s'asseoir, courir,
Oh! quel bonheur ! oh! que la vie est douce!...
Pauvre Gilbert, que tu devais souffrir 1!

DE LAPRADE

Né en 1812

Victor DE LAPRADE, né à Montbrison, débuta en 1839 par les Parfums de Madeleine; il est de l'Académie française depuis 1858. Entre ces deux dates, et depuis, il a donné successivement plusieurs poèmes. Sous leurs titres divers, païens, chrétiens et autres, l'inspiration de M. de Laprade dérive d'une double source, la foi chrétienne et la nature il monte toujours de la terre à Dieu. Dans Psyché (1840), poème mythique et mystique, fusion d'une légende grecque et de la tradition biblique, l'héroïne est l'âme qui, au sein de la nature bienfaisante, a la soif indiscrète de l'inconnu, l'idéal. Comme Eve, sa curiosité la perd. De là ses épreuves, son expiation, sa rédemption, et son union finale, sous la nature radieuse, avec Eros, l'idéal divin. Dans quelques pièces des Odes et Poèmes (1844), le poète est encore en Grèce. Les Poèmes évangéliques (1852), où prit sa place son premier essai, circonscrivent en Judée, et rapprochent de nous, sur la limite des

1. On remarquera dans cette pièce, pleine des souvenirs de Gilbert, quelques idées de ses Adieux à la vie.

temps antiques et de l'ère chrétienne, les tableaux que la nature et la foi offraient à son pinceau. Les Symphonies (1855), les Idylles héroïques (1858), les Voix du Silence (1865), le ramènent à la France et à nos jours: les Cévennes, son berceau, et les Alpes, voisines de Lyon, qui fut longtemps son séjour, en sont le cadre. Celui de Pernette (1868), roman en vers, n'est plus que son cher Forez Celui du Livre d'un Père (1876) est le foyer domestique.

Partout et toujours M. de Laprade, amant et interprète de la nature, a avec elle des entretiens; il entend ses voix, et les fait chanter en choeur aux oiseaux, aux fleurs, aux arbres, aux torrents, aux cimes, aux glaciers. L'air des montagnes l'enivre; les chênes sont ses « frères », il leur prête une « âme » qu'il envie. La continuité de ces transfigurations poétiques et mystiques risque un peu de gâter ce qu'il aime tant, et de donner un air d'apprêt à la nature, et de mythologie nouvelle à son culte pour la création et le créateur. Heureusement il sait voir la nature autant que l'entendre, et, vue, la peindre; et quand les Frantz, les Conrad et les Herman de ses Idylles sont tout bonnement rustiques, quand lui-même l'est avec Pernette, il trouve une veine franche et vraie. Les laboureurs de ses Idylles sont frères de ceux de Jocelyn; les paysans de son roman, frères de ceux de G. Sand. Et puis, heureusement encore, quand il n'a pas le bonheur d'être simple, il a au moins le mérite d'être élevé; si ses chênes parlent comme ceux de Dodone, ils ne disent que de grandes choses. Il peut égarer l'imagination, mais il hausse le cœur. Au lieu de s'humilier et de s'aigrir comme Oberman à mesure qu'il monte sur les sommets, son âme se dresse et s'épure. Le Manfred de Byron entendait dire aux esprits des Alpes : « Que nous veux-tu, enfant de boue? » Il leur entend dire : « Viens à nous, enfant de Dieu. »

Les critiques que rencontra cette fraternité un peu verbeuse avec les chênes éveillerent chez le poète, après les muses evangélique, mythologique, alpestre, forestière et quasi panthéiste, une muse nouvelle, celle de la satire; dans ses Poèmes civiques (1873) il rendit en amère rudesse ce qu'il recevait en sourires railleurs, et conseilla à ses concitoyens d'un siècle positif dont il flagellait les doutes railleurs, de se retremper dans le culte de l'idéal qui habite les semmets.

JÉSUS DANS LES SOLITUDES DE LA JUDÉE

Etoiles d'Orient! belles nuits de Judée !
Plaine de Siloé' de soleil inondée!

Lit pierreux du Cédron ! palmiers de Nazareth!
Flots de Tibériade et de Génézareth!

Grands vents qui balayez les roches désolées!
Horizons infinis des grèves isolées !

1. Siloé, source iatermittente d'eau vive, sortait de la montagne de Sion. Près des deux étangs ou piscines qu'elle formait, Jésus donna la vue à un aveugle-né. Cédron, torrent qui se jette dans la Mer Morte et sépare Jérusalem de la montagne des Oliviers.. Tiberiade, ville de Palestine (Galilée). Son lac, appelé aussi Lac de Génézareth et Mer de Galilée, est traversé du N. au S. par le Jourdain.

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