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LE POÈTE A SES DÉTRACTEURS

J'exècre les railleurs:

Un bon mot n'a jamais rendu les gens meilleurs.
Je parle sérieux et me contiens à peine;

Grâce à Dieu j'ai gardé la vertu de la haine.
Moi, quand j'ai vu le mal debout sur mon chemin,
J'y marche le front haut et la hache à la main.

Sur mes froides hauteurs si nul ne vient m'entendre,
Moi j'y respire à l'aise et n'en veux pas descendre.
J'irais dresser ma tente au penchant des glaciers
Pour fuir votre esclavage et vos penchants grossiers.
J'aime ce large azur, ces cimes toujours blanches,
Où se forme la foudre avec les avalanches :
Sur ces remparts de neige abhorrés des tyrans
Un sang libérateur a coulé par torrents.

Moi-même en ces hauts lieux dont j'ai subi les charmes
J'allais chercher des fleurs moins souvent que des armes,
Et ma muse a déjà vidé plus d'un carquois

Des traits que m'ont fournis les rochers et les bois;
Là, pour d'autres combats j'en trouverais encore.
Si j'ai frappé jamais des coups dont je m'honore,
J'ai pris dans ces déserts que l'on m'invite à fuir
Et la vigueur d'aimer et celle de haïr.

Par eux, par le contact de leur grandeur paisible,
J'ai mieux senti mon âme et le monde invisible;
J'ai plus adoré Dieu, plus exécré le mal,
J'ai d'un accent plus ferme attesté l'idéal.

Je tiens quelque fierté de ce désert mon maître:
L'équitable avenir'1 m'en saura gré, peut-être.

(Poèmes civiques, 1.— 1, Pro aris et focis.— Librairie
académique Didier et Cie.)

1. Le mot est de Boileau, Epître VII, à Racine.

AUTRAN

1812-1877

Joseph AUTRAN, de Marseille, né en 1812 comme M. de Laprade, son ami, entra à l'Academie française en 1868. A part son heureuse tragédie de la Fille d'Eschyle (1848), trois mots peuvent résumer son œuvre poétique: matelots, paysans et soldats, héros des Poèmes de la Mer (1852), de Laboureurs et Soldats (1854, réimprimés sous le titre de la Flûte et le Tambour, avec addition de Milianah et de Roulements de Tambour), et de la Vie rurale (1856). Son originalite propre est d'avoir le premier consacré un poème à la mer, son debut, publié avec le titre « ambitieux, dit-il, sous son apparente simplicité » de la Mer, en 1835, enrichi depuis et devenu les Poèmes de la Mer. Enfant de Marseille, il a d'abord vu et chanté les horizons et la vie maritimes; mais enfant d'un siècle littéraire qui a la passion de la nature, il la cherche, la goûte et la respire dans les campagnes de la Provence comme aux bords de la Méditerranée. Si la Provence rustique est près de lui, l'Afrique guerriere n'est pas loin; Marseille, son séjour et son centre, reçoit vite les echos d'Alger. Autran, enfant de la Révolution, aime à voir le soldat dans le paysan :

Frère de Jeanne d'Arc, de Hoche et de Marceau,

(La Vie rurale, I, 3.)

et à le saluer sur le quai de la Joliette au retour de Milianah: de là sa veine de poésie militaire. Ainsi se forme et se lie le faisceau de son œuvre, œuvre d'inspiration sincère, œuvre de bonne foi.

LE MONDE SOUS-MARIN

Qui de vous n'a perdu souvent de longues heures
A contempler, rêveur, le merveilleux tableau
Qui rayonne, qui tremble et rit au fond de l'eau ?
Non, l'œil ne connaît pas de plus charmant spectacle!
Au regard, qui descend sous le flot sans obstacle,
Se révèlent d'abord, éclatants de reflets,

Des joyaux qui seraient l'orgueil de cent palais:
Merveilles à ravir les rois et les artistes,
Emeraudes, onyx, agates, améthystes,
Escarboucles, rubis que le flot patient

Met un siècle à polir rien qu'en les charriant.
Ces richesses, qui font clignoter les paupières,

Ne sont que des cailloux pourtant, que d'humbles pierres
Hors de l'eau, vils galets que l'on foule en passant,
Diamants sous la vague où le soleil descend!

Après ce long ruban d'humides pierreries

S'étendent des gazons frais et verts, des prairies

Telles que le rayon d'un printemps généreux
N'en fait point verdoyer sur un sol plantureux.
Qu'ils sont beaux ces jardins qu'aucun soleil ne fanc!
Qu'ils sont brillants à voir, sous l'onde diaphane,
Ces vergers où chaque arbre, émaillé de couleurs,
Dorte des fruits vivants et de vivantes fleurs!
Là tourmillent, au sein des ondoyants feuillages,
Les peuplades des eaux, poissons et coquillages;
Là des tribus sans nombre, entre les roseaux verts,
Cachent leurs nids, leurs jeux et leurs instincts divers.
(Les Poèmes de la mer1, II. 8, Pater Oceanus

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1. La mer avait eu son peintre, Joseph Vernet; elle n'avait pas eu son poète. C'est elle qui porte Ulysse, Enée et Vasco de Gama; c'est sur ses bords que pleurent Achille et Polypheme, que se tue Ajax, que s'assied l'Aveugle de Chénier, et que chante Lamartine à Ischia. Mais il semble que la poésie n'eût pas osé s'aventurer seule dans ses espaces, sans héros à y promener, et que sur elle pesât encore l'anathème d'Horace : Illi robur..., quand Autran, qui l'aimait comme une patrie, l'embrassa tout entière dans ses Poèmes de la mer.

Dans le premier livre il n'a de limites que l'Océan. Il allume les phares sur ses côtes, le feu des épaves sur ses grèves, et, comme V. Hugo, il plonge ses regards et sa pensée dans l'abime pour y voir et y entendre pleurer les naufragés :

< Plaignez-nous! le destin fut pour nous bien amer:
O misère! vivants avoir couru la mer

Vingt fofs de l'ur à l'autre pôle,

Usé dans la tempête et ses jours et ses nuits,
Connu tous les labeurs, subi tous les ennuis
Dont le fardeau courbe l'épaule;

< Avoir livré bataille à tous les éléments;
Avoir souffert la faim, la soif, tous les tourments,
Toutes les lentes agonies;

Etre morts dans la glace, être morts dans le feu,
Et n'avoir même pas, pour y dormir un peu,
Un sillon de terres bénies!

« Heureux, bienheureux ceux que la mort a surpris
Dans le foyer natal. près des parents chéris
Dont la main ferma leurs paupières;
Ceux qu'on enveloppa dans un linceul de iin,
Et qui furent couchés par un groupe orphelin
Sous le gazon des cimetières !

Ceux-là, sur leur tombeau, quand revient le printem; s.
Ont des gerbes de fleurs, ont des rayons flottants
Et des vols de blanches colombes.

Ceux-là, dans un sommeil qui n'est pas sans douceurs,
Reconnaissent le pas des mères et des sœurs

Qui viennent prier sur leurs tombes....

Plaignez-nous! plaignez-nous! c'est là que nous do.rons
Sur un lit de varech, d'algues, de goëmons,

De débris de tous les rivages,

Au fond de cet abîme où s'élève en monceaux
Tout ce qu'ont englouti sous les pesantes eaux
Soixante siècles de naufrages...

Plaignez-nous ! plaignez-nous! ô nos frères vivants,
Qui restez loin des flots, des écueils et des vents,

CALME DU SOIR

Ce soir, le flot dormant, qu'aucun vent ne soulève,
Sans écume et sans bruit s'étale sur la grève;
C'est à peine si l'onde, en effleurant le bord,
Y module à mes pieds un insensible accord,

Au doux foyer de la famille;

Dans la saison d'hiver, vous qui venez, le soir,
Sous l'âtre hospitalier en cercle vous asseoir
Devant le sarment qui pétille.... >

(Les Poèmes de la Mer, I. 18, Les Naufragés.)

Cf. VICTOR HUGO, Oceano Nox. (Les Rayons et les Ombres, XLII):

Saint-Valery-sur-Somme.

Oh! combien de marins, combien de capitaines,
Qui sont partis joyeux pour des courses lointaines,
Dans ce morne horizon se sont évanouis!
Combien ont disparu, dure et triste fortune!
Dans une mer sans fond, par une nuit sans lune,
Dans l'aveugle océan à jamais enfouis!...

Nul ne sait votre sort, pauvres têtes perdues!
Vous roulez à travers les sombres étendues,

Heurtant de vos fronts morts des écueils inconnus.
Oh! que de vieux parents, qui n'avaient plus qu'un revc,
Sont morts en attendant tous les jours sur la grève
Ceux qui ne sont pas revenus!

On demande : -- Où sont-ils? sont-ils rois dans quelque
Nous ont-ils délaissés pour un bord plus fertile? -
Puis votre souvenir même est enseveli.

Le corps se perd dans l'eau, le nom dans la mémoire;
Le temps qui sur toute ombre en verse une plus noire.
Sur le sombre océan jette le sombre oubli.

Bientôt des yeux de tous votre ombre est disparue
L'un n'a-t-il pas sa barque et l'autre sa charrue?
Seules, durant ces nuits où l'orage est vainqueur,
Vos veuves aux fronts blancs, lasses de vous attendre,
Parlent encor de vous en remuant la cendre

De leur foyer et de leur cœur.

Et quand la tombe enfin a fermé leur paupière,

Rien ne sait plus vos noms. pas même une humble pierr
Dans l'étroit cimetière où l'écho nous répond,

Pas même un saule vert qui s'effeuille à l'automne,
Pas même la chanson naive et monotone,

Que chante un mendiant à l'angle d'un vieux pont....

monte jusqu'aux mers polaires :

Formidables déserts! solitudes sans borne!
Sous le firmament noir et sur l'Océan morne,
Rien que les récifs blancs aux sommets anguleux
Rien que les archipels dont les dents amincies
Se hérissent en dards, se découpent en scies,
Et déchirent de l'air le manteau nébuleux.

La neige ceint partout les pics étincelants:
Elle y ruisselle à flots, à leurs pentes s'attache,
Et montre avec orgueil, pure de toute tache,
Une virginité vieille de six mille ans.

(Ibid., I.

12, Voyage au Pôle arctique.)

Dans le deuxième livre il ne dépasse pas la Méditerranée, où il rencontre les Tritons, la trirème d'Ulysse, les baigneuses de Castellamare et de

Sorrente.

Le troisième livre le fixe sur les côtes de Provence. Il s'arrête dans les

Un murmure douteux, qui meurt ou se prolonge,
Comme un soupir d'enfant qui dort et parle en songe.
Silence de la mer, sommeil du firmament!

Est-il rien de plus doux que ce recueillement?
Au cœur le plus troublé des tumultes du monde
Rien vaut-il cette paix solennelle et profonde?
Muet, j'ai beau prêter l'oreille,... pas un bruit!
Une voix cependant au sein de cette nuit

S'élève c'est la voix mélancolique et tendre,

:

C'est le chant qu'un pêcheur à l'écho fait entendre.
Sur son bateau, qu'à peine un vent fait ondoyer,
Il vient de rallumer sa lampe ou son foyer,
Et, tandis que ce feu, comme un reflet d'étoile,
Brille au loin sur la mer, il chante sous sa voile:
Il chante, car sa pêché est féconde, ce soir.
Quand ses enfants, au bord, viendront le recevoir,
Répandant à leurs pieds sa nasse qui fourmille,
Il verra le bonheur de sa pauvre famille,
Et puis il dormira demain sur les galets,

Pendant qu'un chaud soleil séchera ses filets.

(Les Poèmes de la mer, III. — 21, Les Pécheurs. Calmann Lévy, éditeur.)

LES FANEURS

Les voyez-vous là-bas, au bord de la rivière,
Marcher à pas égaux d'un rythme cadencé?
Ils mettent à profit ce reste de lumière
Pour finir le travail dès l'aube commencé.

Sous le feu du soleil, sans trêve ni relâche,
Ils ont coupé les foins au village attendus;
Ils ne partiront pas sans achever leur tàche:

Ils veulent qu'à la nuit tous leurs prés soient tondus.

criques, dans les anses connues de son enfance, monte à Notre-Dame de la Garde, écoute le chant des Alcyons, et salue Lamartine dans une villa de la plage du Prado.

L'inspiration s'éparpille un peu dans des pièces de formes et de mètres très variés; les vastes horiz ns maritimes ne s'y déroulent pas dans l'ampleur de larges périodes alexandrines, comme les immensités célestes dans celles de Lainartine (Les Etoiles, l'Infini dans les cieux); la mélancolie,

Pensive et recueillie

Aux bords silencieux des mers,

n'y rêve pas comme dans Ischia ou le Golfe de Baia. Autran a de l'âme ; il sent et il voit: la puissance et la souplesse du style lui manquent.

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