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Autour de toi se meut, ô fécond incendie1,

La Terre, notre mère, à peine refroidie 2,

Et, refroidis comme elle et comme elle habités,
Mars sanglant, et Vénus, l'astre aux blanches clartés,
Dans tes proches splendeurs Mercure qui se baigne 3,
Et Saturne en exil aux confins de ton règne,
Et par Dieu, puis par moi, couronné dans l'éther
D'un quadruple bandeau de lunes, Jupiter ".
Mais, astre souverain, centre de tous ces mondes,
Par delà ton empire aux limites profondes,
Des milliers de soleils, si nombreux, si touffus,
Qu'on ne peut les compter dans leurs groupes confus,
Prolongent, comme toi, leurs immenses cratères 5,
Font mouvoir, comme toi, des mondes planétaires,
Qui tournent autour d'eux, qui composent leur cour,
Et tiennent de leur roi la chaleur et le jour.

Oh! oui, vous êtes mieux que des lampes nocturnes
Qu'allumeraient pour nous des veilleurs taciturnes,
Innombrables lueurs, étoiles qui poudrez

De votre sable d'or les chemins azurés ;
Chez vous palpite aussi la vie universelle,
Grands foyers, où notre œil ne voit qu'une étincelle.
Montons, montons encor. D'autres cieux fécondés
Sont, par delà nos cieux, d'étoiles inondés.
Franchissant notre azur, mon hardi télescope
De notre amas stellaire a percé l'enveloppe;
Hors de ce tourbillon monstrueux de soleils,
J'ai vu l'infini plein de tourbillons pareils;

Oui, dans ces gouffres bleus, dans ces profondeurs som-
Dont la distance échappe au langage des nombres,

[bres

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des nuages laiteux 6,

1. L'incendie aboutit à l'embrasement, l'embrasement à la consomption qui y met fin. Incendie, éveillant l'idée de continuité, est ici, dans son emploi hardi, le mot juste,

2. Voir Les Epoques de la Nature, de Buffon.

3. Mercure est la planète la plus voisine du soleil. Les planètes sont, dans l'ordre de leur proximité au soleil: Mercure, Vénus, la Terre, Mars, Jupiter, Saturne, Uranus, Neptune.

4. C'est Galilée qui découvrit les quatre satellites de Jupiter, petites planètes qui lui servent de lunes.

5. Cratère (xpat, de xspáw, mêler): 10 vaisseau d'une grande capacité où, dans la salle du festin, se faisait le mélange du vin et de l'eau; 20 par analogie avec la forme de l'ouverture de ce vaisseau, ouverture d'un volcan. Ici, par analogie avec l'incandescence des cratères de volcans en éruption, masse ignée des soleils.

6. Périphrase dont les deux termes désignent: 10 les nébuleuses (nebula, nuage), étoiles dont la lumière est faible et terne; 20 la voie lactée,blan

Des gouttes de lumière aux rayons si douteux,
Qu'un ver luisant, caché dans l'herbe de nos routes,
Jette assez de lueur pour les éclipser toutes.
La lentille', abordant ces archipels lointains,
Résout leur blancheur vague en mille astres distincts,
Puis entrevoit encore, ascension sans borne!
D'autres fourmillements dans l'immensité morne.
Et quand, le télescope étant vaincu, mon œil
Du vide et de la nuit croit atteindre le seuil,
Au regard impuissant succède la pensée,
Qui, d'espace en espace éperdûment lancée,
Ne cesse de sonder l'infini lumineux

2

Que prise, en le sondant, d'effroi vertigineux.
Et partout l'action, le mouvement et l'âme!
Partout, roulant autour de leurs centres en flamme,
Des globes habités dont les hôtes pensants
Vivent comme je vis, sentent ce que je sens,
Les uns plus abaissés, et les autres peut-être
Plus élevés que nous sur les degrés de l'être!

[fond

Que c'est grand! que c'est beau! Dans quel culte pro-
L'esprit, plein de stupeur, s'abîme et se confond!
Inépuisable Auteur, que ta toute-puissance
S'y montre dans sa gloire et sa magnificence!
Que la vie, épanchée à flots dans l'infini,
Proclame vastement ton nom partout béni 3!
Allez, persécuteurs! Lancez vos anathèmes !
Je suis religieux beaucoup plus que vous-mêmes.
Dieu, que vous invoquez, mieux que vous je le sers:
Ce petit tas de boue est pour vous l'univers ;
Pour moi sur tous les points l'œuvre divine éclate:

cheur irrégulière qui entoure le ciel en forme de ceinture, et qui, avec de forts télescopes, se résout presque partout en un nombre infini de petites étoiles (LITTRE, Dictioun.). Cette définition fait apprécier la précision d'un des vers suivants : Résout, etc. — S lendidissimo candore inter flammas circus elucens, quem vos, ut a Graiis accepistis, orbem lecteum nuncupatis (CICERON, De Republ., VI. 8, Songe de Scipion).-C. A. CHÉNIER p. 426. 1. Nom donne par analogie au verre du telescope, tail é en forme de lentille graine plate, rondě, biconvexe), meme quaña ce verre est bicon

cave.

2. L'hypothèse succède ici aux constatations scientifiques, et l'imagination à l'expérience et au calcul.

3. Vastément, employé une fois par Saint-Simon (voir LITTRÉ, Dictionn.; n'est pas autorisé par l'Académie.

4. VOLTAIRE, Poème sur le dés stre de Lisbonne :

Atomes tourmentés sur cet amas de boue,
Que la mort engloutit, et dont le sort se joue,
Mais atomes pensants...

Vous la rétrécissez, et moi, je la dilate;

Comme on mettait des rois au char triomphateur,
Je mets des univers aux pieds du Créateur.

Science, amour du vrai, flamme pure et sacrée,
Sublime passion par Dieu même inspirée,
Contre tous les périls arme-moi, soutiens-moi;
Élève ma constance au niveau de ma foi!
Et puisse le bûcher expier mon génie
Avant que ton amant, Vérité, te renie!
En étouffant ma voix, on n'étouffera pas
Mon vif enseignement, grandi par mon trépas:
Il vole, il est dans l'air, conquérant invisible;
Il est dans les esprits, ce temple inaccessible.
La lumière a pour tous jailli de mon cerveau ;
Vous n'arrêterez plus, tyrans, ce jour nouveau.
Je lègue à l'avenir mon âme tout entière,
Et fais l'humanité de mon âme héritière!

(Galilée 1, II, 1.- Calmann Lévy, éditeur.)

LECONTE DE LISLE

Né en 1820

Né à l'fle Bourbon, le soleil tropical est resté dans les yeux et inonde d'une lumière crue la poésie de Charles LECONTE De Lisle. Dans ses Poèmes antiques (1853), ses Poèmes et Poésies (1855), ses Poèmes barbares (1859), dont le recueil reproduit plusieurs pièces des recueils antérieurs, nous rencontrons à chaque page, gravés et peints, des tableaux saisissants de la Grèce et de la Judée antique, de la nature asiatique, africaine, américaine. Son art est proprement un don de seconde vue. Il voit dans Homère, Théocrite et Virgile, dans la Bible, dans les Védas, la nature comme dans un

1. Galilée, drame en trois actes. Si drame il y a, il se déroule tout entier dans la tête de Galilée: d'action, peu ou point. A Florence (actes Ier et IIe), les savants routiniers, les moines, sa femme, sont ligués contre lui: pour les uns c'est un fou, pour les autres un impie, pour la dernière un père qui rêve au lieu de faire une dot à sa fille. Son génie n'est reconnu que de quelques disciples enthousiastes, et de sa fille, qui sacrifie un honnête et ardent amour pour le suivre à Rome où le saint office le cite à comparaître. A Rome (acte IIIe), il cède aux alarmes et aux prières des siens; il abjure la vérité, abjuration contre laquelle proteste son dernier mot, le dernier du drame, le mot, aujourd'hui controversé, de l'histoire: e pur si muove,

Et pourtant elle tourne!

Galilée (Galileo Galilei) né à Pise en 1564, mort à Florence en 1642 (année de la naissance de Newton), créateur de la philosophie expéri

miroir que reflètent ses vers nets et brillants. Grec comme Pradier, il sculpte dans le marbre étincelant et dur de quelques strophes une blanche et pure statue d'Hélène, de Niobé, d'une dryade, et la détache sur un ciel bleu, sur une grotte moussue et verte, sur le sable argenté, avec l'éclat de Diaz, plus rarement avec la grâce vaporeuse de Corot. Il déroule les stations de la Passion de Jésus sur les horizons de la Judée ; il fait rêver le Bédouin dans l'immensité morne du désert de Syrie, le brahmine sous la nuit étoilée, aux bords du Gange, blanchis par le lotus, ou dans le voisinage des jungles, bruyants des bords de la panthère, et les taureaux ruminant sur l'herbe des prairies ensoleillées de la France. Il vautre l'hippopotame dans les joncs du Nil blanc, accroupit le jaguar aux aguets dans les pampas de la Plata, enlève le condor planant et endormi au-dessus des neiges des Cordillères. Poesie toute plastique, toute de couleurs et de sons, faite plus pour les yeux que pour l'âme, excepté quand il arrive au poète de suivre dans leur rêve et dans leur essor les figures qu'évoque son imagination, ou quand les lieux eux-mêmes éveillent en lui les souvenirs de la patrie ou du cœur. (Voyez OEuvres complètes, édit. A. Lemerre).

CHRIST MORT

Et maintenant la tâche est faite, il faut mourir.
Et, vers la neuvième heure, avec un long soupir,
Le Rédempteur baissa la tête et rendit l'âme,
Et le ciel s'empourpra d'une sanglante flamme;
On entendit des cris et des plaintes sans nom;
Un grand vent accourut des bords de l'horizon,

mentale, inventeur du pendule, du télescope, etc. Le livre déféré à la cour de Rome en 1633 est intitulé: Quatre dialogues sur les systèmes du monde de Ptolémée et de Copernic, in-40, Florence, 1632. Condamné à une détention perpétuelle, il obtint ensuite de rester dans une campagne près de Florence, où il fut visité par Milton, puis à Florence.

Comparez la leçon d'astronomie de Jocelyn aux enfants (LAMARTINE, Jocelyn, Ixe époque) :

La nuit tombait: des cieux la sombre profondeur
Laissait plonger les yeux dans l'espace sans voiles,
Et dans l'air constellé compter les lits d'étoiles,
Comme à l'ombre du bord on voit sous des flots clairs
La perle et le corail briller au fond des mers.

Celles-ci, leur disais-je, avec le ciel sont nées;
Leur rayon vient à nous sur des millions d'années
Des mondes que peut seul peser l'esprit de Dieu
Elles sont les soleils, les centres, le milieu;

L'océan de l'éther les absorbe en ses ondes

Comme des grains de sable; et chacun de ces mondes
Est lui-même un milieu pour des mondes pareils,
Ayant ainsi que nous leur lune et leurs soleils,
Et voyant, comme nous, des firmaments sans terme
S'élargir devant Dieu, sans que rien le renferme !
Celles-là, décrivant des cercles sans compas,
Après avoir passé, ne repasseront pas.
Du firmament entier la page intarissable
Ne renfermerait pas le chiffre incalculable
Des siècles qui seront écoulés jusqu'au jour
Où leur orbite immense aura fermé son tour.
Elles suivent la courbe où Dieu les a lancées;
L'homme, de son néant, les suit par ses pensées

Et, semblables aux mâts sur les flots blancs d'écume,
Courba les monts lointains oscillant dans la brume;
Et le voile du Temple en deux parts éclata;

Et la terre entr'ouvrit son sein et palpita;

Et, surgissant du fond des anciens ossuaires,

Les morts, à pas muets, marchaient dans leurs suaires 1;
Et, comme un marbre noir sur la tombe jeté,
La nuit enveloppa le monde épouvanté !

Le peuple, amoncelé sur les pentes fatales,

Mêlait ses cris d'horreur aux bruits sourds des rafales, Et le Romain, fuyant de ce sinistre lieu,

Cria: Malheur à nous': cet homme était un Dicu 2 ! (Poèmes et Poésies.— La Passion, XIIe station. -Poulet-Malassis, éditeur.)

JUIN

Les prés ont une odeur d'herbe verte et mouillée,
Un frais soleil pénètre en l'épaisseur des bois;
Toute chose étincelle, et la jeune feuillée
Et les nids palpitants s'éveillent à la fois.

Les cours d'eau diligents, aux pentes des collines,
Ruissellent, clairs et gais, sur la mousse et le thym;
Ils chantent, au milieu des blanches aubépines,
Avec le vent rieur et l'oiseau du matin.

Les gazons sont tout pleins de voix harmonieuses,
L'aube fait un tapis de mousse aux sentiers,
Et l'abeille, quittant les prochaines yeuses,
Suspend son aile d'or aux pâles églantiers.

Sous les saules ployants la vache lente et belle
Paît dans l'herbe abondante au bord des tièdes eaux;
Le joug n'a point encor courbé son cou rebelle,
Une rose vapeur emplit ses blonds naseaux.

1. Ces vers rappellent l'accent et l'harmonie de ceux de VIRGILE et de LUCAIN.

Simulacra modis pallentia miris. (Géory., I, 471.)

Tollentemque caput gelidas Anienis ad undas
Agricolæ effracto Marium fugere sepulcro. (Phars., I, 583.)

Et puis, Si parva licet...., comparez, pour l'effet harmonique, des vers de
SAINT-AMAND, p. 310, n. 2.

2. Dans ce tableau, la sobriété du trait et la précision du vers, concentrant l'effet, en augmentent la puissance.

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