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Arrachez de vos cœurs la jeunesse lascive,
Soyez sobres de table, et sobres de propos;
De vos troupeaux commis1 cherchez-moy le repos,
Non le vostre, prelats; car votre vray office
Est de prescher sans cesse et de chasser le vice.
Vos grandeurs, vos honneurs, vos gloires despouillez;
Soyez-moy de vertus, non de soye habillez;
Ayez chaste le corps, simple la conscience;
Soit de nuit, soit de jour, apprenez la science;
Gardez entre le peuple une humble dignité,
Et joignez la douceur avec la gravité.

Ne vous entremeslez des affaires mondaines,
Fuyez la cour des roys et leurs faveurs soudaines,
Qui perissent plustost qu'un brandon allumé
Qu'on voit tantost reluire et tantost consumé.
Allez faire la cour à vos pauvres oueilles,
Faictes que vostre voix entre par leurs aureilles,
Tenez-vous prés du parc, et ne laissez entrer
Les loups en vostre clos, faute de vous montrer 2...
Et vous, nobles aussi, qui n'avez renoncee
La foy de pere en fils qui vous est annoncee,
Soustenez votre roy, mettez-luy derechef3
Le sceptre dans la main et la couronne au chef,
N'espargnez vostre sang, vos biens ny vostre vie:
Heureux celuy qui meurt pour garder sa patrie *!
Vous, peuple, qui du coultre et des boeufs accouplez

1. Des troupeaux commis à votre garde.

2. Il y a en ce passage, du trop plein, des longueurs, des redites, mais de l'émotion, du coeur. Ces métaphores finales, un peu banales, sont à leur place, ou jamais. « Allez faire la cour... » est touchant et éloquent.

3. Etym.: de, re, indiquant retour, chef (caput, pris au sens de l'extrémité, origine). De nouveau, ab initio, ab integro.

4. Ronsard a souvent de ces vers pleins et francs. Ils donnent beaucoup d'accent et de fermeté à son Institution pour l'adolescence du Roy tres chrestien Charles IX de ce nom. (Discours, p. 33 sqq.). Elle commence ainsi :

Sire, ce n'est pas tout que d'estre Roy de Franc,
Il faut que la vertu honore vostre enfance,
Car un roy sans vertu porte le sceptre en vain.
Et luy sert d'un fardeau qui luy charge la main...
Un roy pour estre grand ne doit rien ignorer...

Il faut premierement apprendre à craindre Dieu
Dont vous estes l'image, et porter au milieu
De vostre cœur son nom et sa sainte parole,

Comme le seul secours dont [par lequel] l'homme se console.
Après il faut tenir la loy de vos ayeux,

Qui furent Rois en terre et sont là haut aux cieux;...
Celuy qui se cognoist est seul maistre de soy
Et sans avoir royaume il est vrayment un Roy...
Ne vous monstrez jamais pompeusement vestu,
L'habillement des Rois est la seule vertu...

D'amis plus que d'argent montrez-vous desireux;
Les princes sans amis sont toujours malheureux.

Fendez la terre grasse et y semez des blez;
Vous, marchans, qui allez les uns sur la marine,
Les autres sur la terre, et de qui la poitrine
N'a humé de Luther la secte ny la foy,

Monstrez-vous à ce coup bons serviteurs du roy.
Je suis plein de despit, quand les femmes fragiles
Interpretent en vain le sens des evangiles,

Qui devroient mesnager et garder leur maison.
Je meurs quand les enfans qui n'ont point de raison
Vont disputant de Dieu qu'on ne sçauroit comprendre,
Tant s'en faut qu'un enfant ses secrets puisse entendre.
J'ay l'esprit tout geiné de deuil et de tourment,
Voyant ce peuple icy des presches si gourmand,
Qui laisse son estau, son banc et sa charue,
Et comme furieux par les presches se rue
D'un courage si chaud qu'on ne l'en peut tirer,
Voire en mille morceaux le deust-on deschirer.
J'ay pitié quand je voy quelque homme de boutique,
Quelque pauvre artizan devenir heretique;
Mais je suis plein d'ennuy et de deuil quand je voy
Un homme bien gaillard abandonner sa foy,
Quand un gentil esprit pippé1 huguenotise2,
Et quand jusqu'à la mort ce venin le maistrise.
Voyant ceste escriture3 ils diront en courroux :
« Et quoy? ce gentil sot escrit doncq' contre nous?
Il flatte les seigneurs, il fait d'un diable un ange.
Avant qu'il soit long temps on luy rendra son change*,
Comme à Villegaignon qui ne s'est bien trouvé
D'avoir ce grand Calvin au combat esprouvé. »

Quant à moy je suis prest, et ne perdray courage,
Ferme comme un rocher, le rempart d'un rivage,
Qui se moque des vents, et n'est jamais donté ".

(Discours.

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Remontrance au peuple de France, 1564.) Tome VII, p. 54 sqq.

1. Tromper. Etymol.: Pipare, siffler; imiter le cri de la chouette pour attirer les oiseaux sur des branches enduites de glu. D'où prendre à la pipée. Gentil, noble, généreux, de race (gens, gentis; generosus). 2. Verbe formé comme pindariser, ronsardiser.

3. Ce que j'écris.

4. Comme on dit familièrement, la monnaie de sa pièce.

5. « Docte personnage, alors qu'il fut en prise contre ce bon apostre de la nouvelle créance; mais toujours l'Huguenot, à l'ouïr parler, est le maistre et vainqueur en dispute.» (Commentaire de l'édition de 1623.) 6. Dompté, domitus. Les Discours de Ronsard, ajoutez-y quelques parties du Bocage royal, faisceau ou bouquet d'épîtres au roi de France. sont la partie de ses œuvres la moins connue et la plus digne

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REMI BELLEAU

1528-1577

Né à Nogent-le-Rotrou, mort à Paris âgé de moins de cinquante ans, l'histoire de sa vie tient en deux lignes. Il fut précepteur des fils de Remy de Lorraine, marquis d'Elbeuf, le suivit à Naples, revint avec lui à Paris et y cultiva la poésie. Ses amis Ronsard, Baïf, Desportes et A.Jamyn portèrent son corps sur leurs épaules à l'église des Grands-Augustins, où il fut enterré.

Le « gentil », entendez le charmant Belleau, l'ami de prédilection de Ronsard, celui qu'il appelait « le peintre de la nature », n'a pas son essor. Il a quelquefois tenté de monter. La prose narrative et descriptive de ses Bergeries (1re journée, 1565; 2e journée, 1571) est un fond sur lequel se détachent, au milieu de séries de sonnets, des chants, des odes, des prières, des stances imitées des Ecritures, comme en écriront Desportes et Malherbe, plus tard J.-B. Rousseau, une complainte « de Prométhée », un discours sur Ixion, des épithalames et des « tombeaux » des grands de son temps: toutes

de l'être. Il faudrait pouvoir citer de ses Discours sur les misères de ce temps, de son Institution pour l'adolescence de Charles IX, de sa Remontrance au peuple de France, de sa Response aux calomnies des prédicans, etc., bien des pages d'un mouvement entraînant, d'une contexture ferme et pleine. Par elles il a sa place dans l'histoire de son temps, sinon par l'action, au moins par la plume et l'éloquence. Le patriotisme, l'horreur de la discorde et de la guerre civile lui donnent une émotion généreuse et chaude. Plus ou peu d'artifice, de pastiche, de mosaïque grecque et latine : l'expression vient de source, tour à tour chaleureuse et touchante, ou satirique et âpre. A part les exceptions qui deviennent rares, la prolixité complaisante de l'esprit y fait place à l'abondance du cœur, et la période s'y déroule avec une ampleur toute nouvelle. Il est simple et élevé quand il défend sa foi; il a des accents qui annoncent le Saint-Genest de Rotrou, l'Imitation de Corneille. Il est pathétique, il pleure sur la pauvre France »; il s'adresse, pour guérir ses plaies, à tous, peuple et noblesse, noblesse catholique, noblesse huguenote, clergé, princes, rois, et tous les pousse vivement. indépendant, hardi. On songerait presque à ce noble l'Hospital, qui disait Otons ces noms diaboliques de partis, ne changeons le nom de chrétien, n'étaient les accents de colère qui bientôt eclatent pour démentir lous les appels à la concorde, et cette prière finale à Dieu pour lui demander la mort de Coligny :

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Donne que de son sang il enyvre la terre

Et que ses compagnons au milieu de la guerre,
Renversés à ses pieds, haletans et ardens,

Mordent dessus le champ la poudre entre leurs dens,
Estendus l'un sur l'autre; et que la multitude
Qui s'asseure en ton nom, franche de servitude.
De fleurs bien couronnée, à haute voix, Se gneur,
Tout à l'entour des morts celebre ton honneur,
Et d'un cantique sainct chante de race en race
Aux peuples à venir tes vertus et ta grace.

Au moins ne demandait-il pas les assassins qui, huit ans après, couchaient par terre, dans les ruisseaux de Paris, Coligny et ses compagnons », qui tuaient de douleur l'Hospital, qui faisaient courir, « de fleurs bien couronnée, » la multitude pour voir l'aubépine miraculeusement refleurie au cimetière des Innocents. -Aux imprécations publiques de Ronsard répondaient les imprécations, secrètes encore, des Tragiques de d'Aubigné.

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les antiquités s'y mêlent au présent; ailleurs il a paraphrasé en des Discours sur la Vanité (1566) l'Ecclésiaste. Mais les ailes de sa muse gracieuse et fleurissante, toutes diaprées de vives couleurs, ne le portent pas si haut. A chaque page les épithètes jolies, les diminutifs mignards qu'il a prodigues dans la fluidité harmonieuse et molle de ses huit Eglogues sacrées, tirées du Cantique des Cantiques (1556), détonnent dans les sujets élevés. C'est un fin artiste qui aime tout ce qui brille et chatoie dans les œuvres de la nature et de l'art. Il excelle à chanter avril et mai; - il traduit Anacréon (1555), dont les petits tableaux sont faits, comme on a dit, pour être gravés sur le chaton d'une bague; dans ses Petites inventions (1557) il chante en petits vers le papillon, la cerise, le ver luisant, les jeux de l'ombre, etc.; dans ses Amours et nouveaux eschanges des pierres precieuses, vertus et proprietez d'icelles (1566), il leur imagine une histoire allégorique et les décrit: c'est l'améthyste, le diamant, la perle, l'émeraude, le saphir, la turquoise; la pierre aqueuse est une nymphe, Iris a été aimée d'Opale. Nul, ce semble, ne représente mieux, dans la poésie du xvie siècle, le culte de la Renaissance pour l'antiquité grecque et latine, l'Italie artistique et littéraire, et la nature. Théophile Gautier, de nos jours, a aímé à dessiner dans ses romans les châteaux du temps de Louis XIII, en briques rouges reliées par des cordons de pierre blanche; il fait dans ses poésies scintiller le soleil sur les vitres ogivales et sculpte émaux et camées. R. Belleau est de cette famille d'artistes littéraires. C'est dans les Bergeries, le plus renommé de ses ouvrages au XVIe siècle, le pied sur un perron, le coude sur un balustre, qu'il regarde, respire et chante les abeilles et les roses.

Voir l'édition A. GOUVERNEUR, III vol. in-12 (Bibl. Elzévirienne).

CHANT DE LA PAIX 2

Je te salue, ô Paix, fille de Dieu.
Fille de Dieu, tu sois la bien venuë.....

Donc que l'on voye à ton heureux retour
Rire les champs, verdoyer les campagnes,
Le ciel sans nuë, et le haut des montagnes
Toujours doré des rayons d'un beau jour :
Que les replis de la Seine ondoyante
Portent ton nom jusqu'aux flots escumeux
De la grand'mer, et puis la mer bruyante
Le pousse aux vents, et les vents jusqu'aux cieux.

Le moissonneur par toy librement dort
Dans sa moisson, la main sur la faucille 2.

1. Nous donnons quelques vers de ce chant pour montrer qu'il s'en était fallu de peu que R. Belleau ne sût joindre à la vivacité des images, qui lui est ordinaire, le mouvement de l'inspiration lyrique.

2. Voilà en deux vers un tableau parfait : fond, personnage, attitude tout y est.

Par toy l'humeur 1 du vin nouveau distille
Dedans la tonne écumant jusqu'au bord.....
Doncques à fin que jamais n'esperions 2
Guerre ici bas, que l'estendart fleurisse
En verds rameaux et que l'araigne ourdisse
Sa fine trame ès vuides morions 3:
Que des brassarts et des corps de cuirasse
Le fer s'allonge en la pointe d'un soc",
Le coutelas, la pistolle et la masse

Dans le fourreau se moisissent au croc ".

(Bergeries, 1 journée 7).

1. Humor, liqueur, liquide. Humida vina, dit VIRGILE, Géorg.. III, 364. 2. Espérer employé ic: dans le sens de attendre. Racine a dit de même (Androm. V, sc. dern.):

Grâce aux Dieux, mon malheur passe mon espérance,

3. Ancienne armure de tête plus légère que le casque. Etymol. espagnole.

4. VIRGILE, Géorg., I, 508:

Et curvæ rigidum falces conflantur in ensem.

5. Les noms de pistola et pistolese, donnés en italien à un court poignard que fabriquait la ville de Pistoie, furent donnés en français (pistole, pisiolet) à la plus courte des armes à feu. Le nom de pistole fut donné aussi, par assimilation diminutive, au demi-écu d'or. V. LITTRE.

6. Cf. RONSARD, les Poèmies, liv. II: la Paix, au roy Henri II:

O Paix, fille de Dieu! nous viens réjouyr
Comme l'aube du jour qui fait r'espanouyr
Avecques la rosee une rose fleurie

Que l'ardeur du soleil avoit rendu flétrie :

Pends nos armes au croc, et au lieu des batailles
Attache à des crampons les lances aux murailles,

Et que le coutelas du sang humain souillé,

Pendu d'une couraye (courroie), au fourreau soit rouillé,

Et que le corcelet au plancher se moisisse,

Et l'aragne à jamais ses filets y ourdisse.

1. La Bergerie, qui date du xvr siècle, est une extension considérable du cadre classique de l'antique églogue Sannazar (1544) en fait un roman. Plus élastique et plus vague chez R. Belleau, à peine a-t-elle un plan et une action. Réunis sur une belle terrasse, dont le poète se complaît a décrire, dans la prose qui relie ses poésies, les magnificences artistiques, de grands seigneurs et de grandes dames costumes en berger et bergères devisent, lisent et chantent. La nuit les sépare; le jour suivant les rassemble; de là, après une première journée, une seconde journée. Pss d'autre économie. Les vers qui précèdent, le poète imagine les avoir lus sur des troncs d'arbres, représentés en une tapisserie. On voit tout ce que cache d'artificiel le titre rustique de Bergeries.

Voici, au surplus, le début, en prose, du poème. L'auteur, nous dit-il, arrive au point du jour en un lieu ravissant. C'estoit une croupe de montagne, moyennement haute, toutesfois d'assez difficile accez: du costé où le soleil rapporte le beau jour, se descouvroit une longue terrace pratiquee sur les flancs d'un rocher, portant largeur de deux toises et demie, enrichie d'appuis et d'amortissemens de pierre taillee à jour, à petites tourelles, tournees et massonnées à cul de lampe, avancees hors la courtine de la terrace. pavee d'un pavé de porphyre bastard, moucheté de taches blanches, rouges, verdes, grises, et de cent couleurs differentes, nettoyee par des esgouts faits à gargouilles et muffles de lyon. L'un des bouts de ceste terrace estoit une gallerie vitree, lambrissee sur un plancher de

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