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épopée, pasticne avorté et inachevé de l'antiquité.

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Les six autres étoiles sont: - d'abord le maître dont la direction, l'exemple, l'ardeur les a guidés, formés, échauffés, JEAN DORAT, OU DAurat, ou D'AURAT, qui, avant d'être mis à la tête du collège du Coqueret, avait été précepteur d'Antoine de Baïf quand Ronsard était secré taire de Lazare de Baïf, son père, puis précepteur des pages du roi; DU BELLAY, mort en 1560, à trente-six ans, sans avoir eu le temps d'être le premier dans la victoire après avoir été le premier au combat; - JODELLE, mort en 1573, après avoir, à l'âge de vingt et un ans (1553), accompli dans l'œuvre commune la tâche, applaudie avec enthousiasme, de restaurer la tragédie antique par sa Cléopâtre et de créer la comédie par Eugène ou la Rencontre ; ANTOINE DE BAÏF, qui survécut de quatre ans au chef et aux beaux jours de l'école, et produisit sans fin, et, souvent aussi, sans goût;- REMI BelLEAU, l'ami de prédilection de Ronsard, plus jeune que lui de quatre ans, mort huit ans avant lui, le « gentil » Belleau, la grâce et la << mignardise » de l'école ; enfin PONTUS DE THYARD, né en 1511, mort en 1603, abbé et évêque de Chalon-sur-Saône pendant vingt ans (1578-1598), un des derniers adeptes de l'école de Marot, une des premières conquêtes de l'école de Ronsard, le dernier survivant de la pléiade, qui, contemporain enfin de Malherbe, fut témoin des trois révolutions poétiques du siècle et renonça de bonne heure à la poésie, qui lui avait donné grande renommée, pour se livrer à l'étude des mathématiques et de la théologie.

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Derrière le bataillon sacré viennent de tous les points de la France les volontaires de la poésie, qui font avant tout odes à l'antique et sonnets à l'italienne: de la Champagne, AMADIS JAMYN (1540-1585), mort retiré à la campagne la même année que le maître et l'un de ses élèves préférés ; d'Angoulême, Jean de la Péruse, mort à vingt-cinq ans, qui, comme le maître, a des odes en strophes, antistrophes et épodes; de Cahors, OLIVIER DE MAGNY, mort en 1560, qui a, comme le maître, ses hymnes, ses gaytez, ses odes, et, comme Du Bellay, son ami, a des regrets, a des soupirs; du Mans, JACQUES TAHUREAU, qui chante l'Admirée comme le maître chantait Hélène, Cassandre et Marie, et qui, avec ScÉVOLE DE Sainte-Marthe, de Loudun, poète lui aussi (odes, élégies), fut l'ami de Vauquelin de la Fresnaye et initia son jeune enthousiasme de dix-huit ans à la passion de la nature, de la poésie et de Ronsard.

JEAN DE LA TAILLE, né en 1540, le chantre gracieux de la marguerite et de la rose, et, plus tard, le satiriste vigoureux du Courtisan retiré (voir infra), et son frère JACQUES DE LA TAILLE, né en 1542, ont surtout leur place parmi les poètes dramatiques : le premier avec deux tragédies religieuses et bibliques, Saül furieux et les Gabaonites, le second avec deux tragédies antiques et profanes, un Daire (Darius) et un Alexandre. C'est, comme Jean de la Taille, à dix-huit ans que JACQUES GREVIN avait donné en 1558 son César, fort admiré de Ronsard, et suivi plus tard d'une comédie, la Trésorière. - De toutes parts on s'enrôlait ainsi sous le drapeau où Du Bellay et Ronsard

avaient écrit << antiquité » et « Italie.» On imitait impartialement l'une et l'autre. Les poètes dramatiques éclos sur les pas de Jodelle, - la liste en serait longue, écrivaient tragédies antiques, tragédies bibliques, tragédies modernes, voire contemporaines. D'autres reproduisaient des comédies de l'Arioste. L'expression complète de cette fusion, dans la comédie, sont la personne et le théâtre de Pierre LARIVEY (1540-1611), Italien francisé, Florentin d'origine par son père, Champenois et Troyen de naissance, imitateur de la comédie latine et de la comédie italienne. (Voir nos Morceaux choisis de prosateurs.)

On appellera encore fusion, ou, si l'on veut, confusion, cette nouvelle poesie pastorale qui sous le nom de Bergerie chez Remi Belleau, d'Églogue chez Ronsard, de Bergeries chez Desportes, mêla

l'imitation de Sannazar et du Tasse à celle de Théocrite et de Vir-
gile, et le roman et le drame à l'idylle; qui, sous le nom de Pastou-
relle ou Fable bocagère chez NICOLAS DE MONTREUX, de Pastorale,
Pastorale dramatique chez d'autres, ajoute au théâtre un genre qui
s'y fera une large place au xvii° siècle ; qui, sous le nom de Bergerie
spirituelle chez Louis des MazurES, fait de l'Erreur un berger et de la
Vérité une bergère, et de Dieu le « pasteur d'en haut »; qui, sous
le nom d'Églogues spirituelles chez Remi Belleau, repris plus tard
par l'évêque Godeau et l'abbé Cotin, associe le sacré au profane et
donne le nom de « Nymphettes » aux filles de Sion.
Ainsi s'échappait l'imagination affolée:

Tum data libertas animis, resolutaque legum
(Lucain, II.)

Frenis Musa ruit...

Quand Ronsard mourut en 1585 à l'âge de soixante et un ans, une nouvelle génération de poètes s'était formée et s'était déjà fait connaître par bon nombre d'œuvres, qui, tout en se rattachant à son école, attestaient une inspiration plus personnelle. Vauquelin de la Fresnaye, le plus âgé, avait quarante-neuf ans; Régnier, le plus jeune, en avait douze; Du Bartas en avait quarante et un; Robert Garnier, quarante; Desportes, trente-neuf; Bertaut, trente-trois; D'Aubigné, trente-cinq, et Malherbe inconnu encore en avait trente. Plusieurs avaient « ronsardisé » dans leur jeunesse, comme Vauquelin avec Tahureau, et d'Aubigné à la cour de Henri III; Ronsard s'était cru le maître de Garnier qu'il chanta et qui le pleura, et c'est encore Ronsard que Régnier devait défendre un jour contre Malherbe. Mais les triomphantes années n'étaient plus; l'étoile du chef de la pléiade avait pâli sur la fin de sa vie, et l'avortement de la Franciade avait dès 1572 inquiété la sécurité de ses admirateurs, en même temps que le succès de Du Bartas, sans troubler sa confiance, inquiétait son amour-propre. Desportes et Bertaut, rendus, « retenus, »> dit Boileau, par les erreurs du pontife de la poésie, « pétrarquisaient plus qu'ils ne « ronsardisaient. »

Les poètes que nous venons de nommer forment un groupe à part entre Ronsard et Malherbe; chacun d'eux suit la route qu'il s'est faite et a son caractère propre. - DU BARTAS (mort en 1590) a,

dans sa Sepmaine de la Création, la grandeur, et, tout en exagérant les défauts de Ronsard, se distingue de lui. VAUQUELIN DE LA FRESNAYE (mort en 1606) a une grâce piquante dans ses Idillies et une simplicité vigoureuse dans ses Satyres françoyses. · D'AUBIGNÉ (mort en 1630) a l'éclat, le nerf et le feu dans sa quasi épopée satirique des Tragiques. ROBERT GARNIER (mort en 1601) a l'accent << mâle et hardi » (c'est Ronsard qui le lui disait) qu'on trouve encore, avec la grâce et le pathétique, dans son imitateur Antoine de MONTCHRESTIEN (mort en 1621). — DESPORTES (mort en 1606) et BERTAUT (mort en 1611) ont une délicatesse ingénieuse dans leurs sonnets et leurs stances. Des deux voies que Ronsard avait ouvertes à la poésie, ils laissent l'une, celle du pédantisme grec et latin, et suivent l'autre, celle de l'afféterie italienne; ils sèment des fleurs du sentiment ces petits sentiers tout parfumés de roses.»-RÉGnier, le dernier venu, qui, pour ne pas renier son oncle Desportes, se croit un disciple de Ronsard et ne veut pas être un tenant de Malherbe, est lui-même, ce qui vaut mieux, c'est-à-dire un des plus francs esprits de notre vieille langue, plein de sève et de sel.

A côté d'eux, mais à part, il faut nommer ensemble ceux que j'appellerai les << Ménippéens », bourgeois de Paris, de naissance ou d'adoption, tous, qui avocat, qui jurisconsulte, qui professeur, tous érudits et poètes à leurs heures, quelque peu amis de la gaillardise en prose et en vers, du sel attique et du sel gaulois, tenant pour Ronsard sans renier Marot en poésie, sans tenir pour la Ligue en religion; c'est NICOLAS RAPIN (mort en 1608), homme de robe, de plume et d'épée, avocat, un des braves d'Ivry, puis prévôt de la connétablie de France, qui traduisait ou imitait Horace, qui fit une ode sur la mort de Ronsard et reçut la dédicace de la satire de Regnier contre Malherbe;-c'est GILLES DURANT, sieur de la Bergerie (mort en 1615), qui fitforce sonnets et chansons, traduisit des psaumes, et dont l'écrin de la Ménippée nous garde la complainte à Mademoiselle ma Commère sur le trépas de son âne; c'est JEAN PASSERAT (mort en 1602), l'éminent latiniste du collège de France, ami de la vigne et de la poésie, fin chansonnier des Pastoureaux et Pastourelles, vert et vigoureux railleur des étrangers, Espagnols catholiques ou reîtres huguenots. Il convient de ne pas séparer d'eux leur ami ESTIENNE PASQUIER (mort en 1615), le savant auteur des Recherches de la France, qui, lui aussi, fit des vers sur tous sujets (Jeux poétiques); qui, juge aux (Grands Jours de Poitiers en 1579, provoqua, à cinquante ans, une joute de petits vers dans le salon des dames Des Roches, et qui donna une pointe d'eujouement philosophique à sa Pastorale du Vieillard amoureux, fruit de sa souriante vieillesse, né en son plein hiver.

Enfin, dans le voisinage de ces franches et fines physionomies du vieux temps, demi-gaies, demi-graves, on peut mettre ce GUY DU FAUR DE PIBRAC (1529–1584), de Toulouse, magistrat comme son ami Pasquier, amateur et chantre de la Vie Rustique, comme tant d'autres en ce siècle, dont les Quatrains moraux furent avec ceux de ANTOINE FAURE, président du sénat de Chambéry, père de Fabre

de Vaugelas, le grammairien, et ceux de PIERRE MATHIEU (mort en 1621), avocat et historiographe de France, le code populaire de l'enfance aux xvie et XVIIe siècles.

Lisez-moi comme il faut, au lieu de ces sornettes,
Les quatrains de Pibrac et les doctes tablettes
Du conseiller Mathieu; l'ouvrage est de valeur
Et plein de beaux dictons à réciter par cœur.

MOLIÈRE, Sganarelle, I.

Nous voilà bien loin de Ronsard. Quelle que fùt la diversité dés esprits et l'indépendance de beaucoup d'entre eux, toute la littérature relevait plus ou moins directement de lui. S'il n'était pas la souveraine autorité, il restait la grande renommée du siècle. De Garnier à Rapin, de Rapin à Du Perron, qui n'avait, en vers et en prose, chanté sa gloire et pleuré sa mort? Qualités et défauts de la langue poétique, tout venait de lui. On peut lui faire sa part. La substitution constante de la mythologie grecque et latine aux allégories de la vieille poésie française; l'introduction et l'abus des épithetes composées à l'antique ou traduites de l'antique; le provignement systématique des vieux mots (voir M. NISARD, Hist. de la Litt. franç,. liv. II, ch. v, et MM. A. DARMESTETER et HATZFELD, le Seizième Siècle en France, sect. II, ch. 11), qui de verve tirait verver et vervement, de feu, fouer et fouement; l'ambition de prouver la précellence de la langue maternelle, comme dit H. Estienne, de contribuer à son illustration, comme dit J. Du Bellay, en la mettant à la remorque des langues anciennes; les emprunts multipliés aux patois provinciaux qu'ils qualifiaient de dialectes, aux vocabulaires techniques des arts et des métiers; toutes ces innovations indiscrètement pratiquées dans des compositions multiples qui ne savaient s'arrêter que quand, par bonheur, le moule métrique lui en imposait la loi, avaient fait de son style une bigarrure étrange d'érudition, d'emphase, de trivialité, de prolixité; et sous une végétation parasite et emmêlée de langage, restaient trop souvent étouffées la délicatesse du sentiment, la grâce de l'imagination, la richesse de l'invention poétique, la force de la pensée, « la verve et l'enthousiasme » de l'inspiration que lui reconnaît La Bruyère (Caractères, I), et même l'éloquence mâle et nerveuse qui dans maint beau passage, surtout de ses Élégies et de ses Discours, se développent librement. Si Chapelain, qui caractérise excellemment son imitation des anciens de « servile et désagréable » (Lettre à Balzac, 27 mai 1640), si Boileau, qui qualifie durement son « faste pédantesque », sont suspects, l'un d'incompétence, l'autre de mauvais humeur, on ne mettra pas en doute l'autorité de l'écrivain qui a su le mieux, au XVIIe siècle, revêtir notre langue de la couleu? antique, ni l'impartialité du critique qui a justifié, en les repre nant, plusieurs idées de Ronsard sur l'enrichissement de la langu par les emprunts étrangers et la formation de mots nouveaux, su les vers mesurés, sur la rime, sur les inversions. Fénelon a dit di lui: Son langage est cru et informe », et, comme Boileau, « il par loit grec en françois. » La Fontaine, qu'on ne récusera pas davar

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tage, avec sa bonhomie ordinaire, met le public de moitié dans ses torts:

Il gâte des anciens les grâces infinies;

Nos aïeux, bonnes gens, lui laissoient tout passer,
Et d'érudition ne se pouvoient lasser.

(Lettre à Racine.)

Heureux Ronsard s'il avait su pratiquer ce qu'en un jour de clairvoyance, où sa vanité blessée par le triomphe inattendu de Du Bartas lui avait ouvert les yeux, il avait si bien exprimé dans quelques-uns de ses meilleurs vers:

Je n'aime point les vers qui rampent sur la terre,
Ny ces vers ampoullez, dont le rude tonnerre
S'envole outre les airs; les uns font mal au cœur
Des liseurs dégoustez, les autres leur font peur :
Ny trop haut, ny trop bas, c'est le souverain style;
Tel tut celuy d'Homere et celuy de Virgile.

(ED. BLANCHEMAIN, t. V, p. 349.)

III. MALHErbe. Le poète qui prit pour tâche et pour rôle de « réparer » (c'est le mot de Boileau et de La Bruyère) la langue « corrompue », avait commencé par la gâter pour sa part lorsque, en Provence, tout en se battant pour la Ligue, il écrivait, à l'imitation d'un Italien, les Larmes de Saint-Pierre (1587). Il se convertit sur le tard et brusquement, à quarante-huit ans, et porta dans sa guerre aux pédanterie, latinerie, pindarisme et pétrarchisme, » le fanatisme d'un néophyte et l'esprit de discipline d'un soldat. Il biffa tout Ronsard, le « pindarisant », il éplucha tout Desportes, le « pétrarquisant. »

Son programme est bien arrêté, il ne veut pas plus que Rabelais du jargon antique de « l'étudiant limosin. » Il ne veut pas plus qu'Henri Estienne du jargon moderne du français « italianisé»; il ne veut pas de patois provinciaux; il demandera le français aux crocheteurs du Port-Saint-Jean; il le « dégasconnera ». Voilà pour la langue.

Il ne proscrit pas la mythologie et la métaphore antique, il les veut et il les fait discrètes. - Voilà pour le goût.

Il proscrit l'hiatus, l'élision, l'enjambement, la rime à l'hémistiche, la rime du simple et du composé, voire des mots de même famille, voire la rime facile; il est exigeant pour la césure, impitoyable pour les transpositions, inflexible sur l'harmonie. Voilà pour la versification. Il ne veut pas de peu à peu, çà et là, toi et moi il y a « qui cependant est très doux » (SAINTE-BEUVE); à cheval et à pied en bataille rangée» (Desportes), «cacophonie, dit-il (Commentaire sur Desportes), car de dire piet en, comme les Gascons, il n'y a pas d'apparence » ; il n'admet que l'élision de l'e muet; il condamne doncq', ell', aim', avecq', oncq', s' pour si. Ronsard, qui s'était d'abord refusé l'enjambement marotique, ne l'avait accepté et pratiqué que par respect et imitation des anciens. Malherbe se prive des heureux effets qu'à l'exemple de Marot en tireront La Fontaine, Voltaire, Delille lui-même à l'occasion, et A. Chenier. Il interdit à Desportes de faire rimer temps et printemps, jour et séjour, mettre

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