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On a tout, on fait tout pour ce metal estrange;
On est homme de bien, on merite louange,
On a des dignitez, des charges, des estats;
Au contraire, sans luy, de vous on ne fait cas.
Il est vray; mais j'ay veu, au temps de ma jeunesse,
Qu'on ne se gesnoit tant qu'on fait pour la richesse.
Alors vrayment, alors on ne prisoit sinon

Ceux qui s'estoient acquis un vertueux renom,
Qui estoient genereux, qui monstroient leur vaillance
A combattre à l'espec, à combattre à la lance.
On n'estoit de richesse, ains de l'honneur espris ;
Ceux qui se marioient ne regardoient au prix.
Le bon temps que c'estoit !.... 1

(Bradamante, tragi-comédie, acte II, sc. 1.)

MONTCHRESTIEN

Mort en 1521

ANTOINE DE MONTCHRESTIEN, fils d'un apothicaire de Faia e, cultiva la poésie au milieu des hasards tragiques d'une vie de procès, de duels et de proscription, qui le conduisit en Angleterre pour échapper à un procès criminel, le ramena gracié en France,

fixa dans l'Orléanais par des travaux industriels, la fabrication d'instruments en acier, et finit par une mort sanglante dans une échauffourée de huguenots. C'est à sa tragédie de l'Escossaise (1605) qu'il dut la protection du fils de son heroine, Jacques Ier, et les lettres de grâce de Henri IV. Son imagination vive et ardente puisa à plus d'une source. Il demanda sa Sophonisbe (1596) à celle du Trissin; ses Lacènes ou la Constance (1600) à la Vie de Cléomène par Plutarque; son David ou l'Adultère (1600), son Aman ou la Vanité (1601) à la Bible; son Hector (1603) à Homère. La grâce souvent délicate et touchante de son style fait penser à Racine, comme l'énergie de Garnier à Corneille.

LA MORT DE MARIE STUART

Récit du Messager.

Par Paulet, son geolier, la reine estoit conduite,
Ses femmes se plaignoient et marchoient à sa suite,
Mais elle qui sans crainte à la mort se hastoit,
Leur redonnoit courage et les reconfortoit.

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1. Cf. un passage de la Trésorière de Grévin, et la note 4, p. 81. Ce passage montre ce que Garnier aurait pu faire dans la comédie.

«Que ma mort ne soit point, disoit elle, suivie
De pleurs ni de souspirs; me portés vous envie,
Si pour perdre le corps je m'acquiers un tel bien,
Que tout autre bonheur aupres de lui n'est rien? »
Il nous faut tous mourir, suis je pas bien-heureuse
De revivre avec gloire en ceste mort honteuse? →
Si la fleur de mes jours se flestrit en ce temps,
Elle va refleurir en l'eternel printemps,

Où la grace de Dieu, comme une alme rosee,
La rendra toujours gaye et des ames prisee,
Luy faisant respirer un air si gratieux

Qu'il embasmera1 tout dans le pourpris des cieux.
Les esprits bien-heureux sont des celestes roses,

Au soleil eternel incessamment escloses ;
Les roses des jardins ne durent qu'un matin :
Mais ces roses du ciel n'auront jamais de fin. »
Elle disoit ces mots à ses tristes servantes

Du mal-heur de sa mort plus mortes que vivantes;
Redoublant les souspirs en leurs cœurs soucieux,
Les regrets en leur bouche, et les pleurs en leurs yeux.
Mais estant arrivee au milieu de la salle,

Sa face parut belle, encor qu'elle fust palle,
Non de peur de la mort venuë avant saison,
Mais pour l'ennuy souffert en sa longue prison.
Lors tous les assistans émeus en leur courage,
Et d'aise tous ravis, regardoient son visage,
Admiroient ses beaux yeux, consideroient son port,
Lisoient dessus son front le mespris de la mort :
La merveille en leur cœur faisoit place à la crainte,
De son prochain danger leur ame estoit atteinte.
Elle ne souspirant les faisoit souspirer,
Et s'abstenant de pleurs contraignoit à pleurer.
Sa constance admirable autant qu'infortunee
Glaçoit tous les esprits, rendoit l'ame estonnee :
Bref tous portans les yeux et les cœurs abbatus
Regrettoient ses beautés et loüoient ses vertus.
Comme tous demeuroient attachés à sa veuë,
De tant de traits d'amour mesme en la mort pourveue;
D'un aussi libre pas que son cœur es'oit haut,
Elle s'en va monter dessus son eschaffaut;

1. De baume, basme (balsamum, bálozpov).

2. Voir infra, Les Roses, par B. Despériers, et la note. 3. Émerveillement, admiration.

Et soubsriant un peu de l'œil et de la bouche,
« Je ne pensois mourir, dist elle, en ceste couche;
Mais puisqu'il plaist à Dieu de se servir de moy
Pour maintenir sa gloire et defendre ma foy,
J'acquerray tant d'honneur en ce honteux supplice,
Où je fay de ma vie à son nom sacrifice,
Qu'on m'en celebrera en langage divers:
Une seule couronne en la terre je pers,
Pour en regaigner deux dans le celeste empire,
La couronne de vie et celle du martire. >>

Ces mots, sur des souspirs, elle envoyoit aux cieux, Qu'elle invoquoit du cœur, de la bouche et des yeux 1..... (L'Escossoise, acte V.)

PRIÈRE D'ESTHER

Y deussé je mourir, j'en courrai le danger :
Laisser ma gent en proye a l'orgueil estranger?
N'estouffer au berceau ses cruelles miseres?
Cessent de plus mouvoir mes nerfs et mes arteres 2,
Cesse mon cœur de battre, et mes deux yeux de voir,
Alors qu'un tel dessein je pourray concevoir.
Non, non, j'aime bien mieux courir mesme fortune,
Que trainer plus longtemps une vie importune...
Il est bon de mourir avecques ses amis,

1. Ce passage suffirait pour montrer ce que Montchrestien savait donner de grâce et quelquefois de fermeté et de plénitude à son style. Les vers heureux ne sont pas rares dans l'Escossoise.

Dans la suite du récit, le Messager dit que le bourreau, en frappant le coup mortel,

Fay tomber le chef bas et monter l'ame aux cieux.

Ailleurs la reine dit :

Le voyageur lassé sent rire son courage

Quand il voit le crocher de son propre village.....
Je finis mon voyage en bien rude saison.....

L'Escossoise est intéressante à plus d'un titre. Le choix de son sujet prouve que le XVIIe siècle qui, à bien peu d'exceptions près, oublia pour les Grecs et les Romains les sujets modernes et nationaux, que le XVIIIe qui fit un triomphe à De Belloy pour son Siège de Calais, s'étaient fermé une voie ouverte par le xvie. Il convient pourtant de mentionner que le sujet national de Jeanne d'Arc fut plusieurs fois traité (voir les Frères Parfait, Histoire du Théâtre françois), et, ce qui est plus significatif. François de CHANTELOUVE donne une tragédie de Coligny (1575), sur l'assassinat de l'amiral; Pierre MATHIEU, l'auteur des Quatrains moraux, la Guisiade ou Massacre du duc de Guise (1589), et Claude BILLARD une tragédie de Henri le Grand sur l'assassinat du roi, l'année même de sa

mort.

2. Puissent mes nerfs cesser désormais (plus, resté avec ce sens dans ne plus) de [se] mouvoir! Mouvoir est resté intransitif dans faire mouvoir

Quand vivre avecques eux il ne nous est permis:
Il te faut donc, Esther, soffrir en leur souffrance
Ou bien les delivrer avec t delivrance.

Et que te sert d'avoir ce bandeau sur le chef,
Si tu ne peux au loin destou. n. r ce meschef1?
Il ne te reste ri n si non à bien mourir.

Mais Dieu qui tient en main de tous hommes la vie,
Peut il pas empescher qu'elle te soit ravie?
Ou, s'il le veut permettre, as tu pas ce confort,
Que tu mourras afin de revivre en ta mor;
Et que, fermant les yeux aux tenebres mortelles,
Tu les viend as ouvrir aux clartés eternelles?
Certes je croy que Dieu veut se servir de mɔy,
Pour retirer les siens de ce mortel esmoy:
L'amour passionné qu'Assuére me porte

Fait revivre en mon cœur mon esperance morte:
Il prise trop Esther, il en fait trop de cas,
Pour causer aujourd'huy sa honte et son trespas.
A toy donc, seul object de ma triste pensee,
Puisse arriver ma voix de mes souspirs poussee,
Voix qui pour s'élever et ga gner jusqu'à toy
Pour ses deux aisles prend ton amour et ma foy
Toy qui tiens en ta main des princes le courage;
Toy qui leurs volontés mets sous ton arbitrage,
Donne moy le pouvoir d'impetrer de mon roy,
Qu'ores il me conserve et tous les Juifs en moy.
Nous n'avons, apres toy, rien pour nostre deffense,
Que le foible rempart d'une simple innocence:
Mais fay le prevaloir à l'orgueil insolent
Du temeraire Aman qui va nous desolant.

Renvoye sur son chef tout le mal qu'il nous brasse 2;
Remüe un peu le bras, foudroye son audace3.

(Aman, acte IV.)

1. Étym.: mes, préfixe privatif ou pejoratif (mescompte, mespris) et chef, caput, tête, bout, but. Mauvais résultat, fâcheuse issue.

2. Primitivement bracer, remuer la brace, orge trempée dans l'eau (Étym.: wallonne et celtique), brasser la bière; d'où agiter, pratiquer une machination, etc. Brasser un méchant tour (La FONTAINE.)

3. On peut mesurer par ce morceau, qui provoque naturellement une comparaison avec l'Esther de 1689, le chemin qu'avait encore à faire le style de la tragédie pour arriver à la perfection de Racine; mais on peut voir aussi ce que lui fit perdre le mauvais goût qui, dans la première partie du XVIIe siècle, gâta le théâtre avant Corneille. Mentionnons que les tragédies bibliques sont fréquentes au XVIe siècle. Sans rappeler le Saül et les Gabaonites de JEAN DE LA TAILLE et les Juifves de GARNIER, on trouve ici un Holopherne, là un Pharaon, de poètes oubliés et dignes

DU BARTAS

15.44-1590

GUILLAUME DE SALLUSTE, Seigneur DU BARTAS, est un Gascon des environs d'Auch. Son style se sent, il le reconnaît lui-même, du << naturel ramage »; c'est un mélange d'audace fanfaronne dans l'étrangeté, d'imagination brillante et de grandeur, parfois tendue et guindee. Mais il a par ses qualités et ses défauts son originalité. Ronsard est païen, Desportes est Italien: il est biblique, au moins par ses sujets, car la mythologie y fait souvent une singulière figure. Des ses vingt ans il donnait Judith, poème en six chants. En 1579 il donne la Sepmaine ou la Création du Monde, en sept chants ou «jours. Dans l'intervalle il était sorti de son château pour endosser la cuirasse à la suite de Henri de Navarre. Une paix passagere de cinq ans (1580-1585) laissa au public le temps de lire à loisir sa Sepmaine, suivie (1584) de la Seconde Sepmaine en deux « journees >> (Adam et Noe), qui ne vaut pas la première. L'applaudissement fut universel; la première Sepmaine, dont la gloire profita à la seconde, commença cette serie d'éditions qui, en dix ans, dépassa la vingtaine; elle fut traduite dans presque toutes les langues européennes, et sa gloire se perpétua au moins à l'étranger. Le Tasse fit à son imitation ses « Sept journées de la Création ». Milton fit plus d'un emprunt à l'Eden de la Seconde Semaine (1r journée). Byron s'inspira de lui, Goethe fut bien aise de reprocher au gout français l'oubli où il était tombé, et signala à l'admiration de l'Europe celui que ses compatriotes n'admiraient et ne connaissaient même plus. Depuis que Sainte-Beuve l'a remis en lumière en 1828 (Tableau de la Poésie française au XVI siècle), ses bizarreries grotesques: le soleil, « grand duc des chandelles », les vents, postillons d'Eole» (des le quatrieme vers de la Création), Dieu, archer du tonnerre » et « grand maréchal de camp », les monts, << enfarinés de neige éternelle », — j'en passe et des moins bonnes, toutes ces vilaines et sales métaphores » que lui reprochait le cardinal du Perron, lui ont peut-être fait plus tort que se qualites ne lui ont fait honneur. Il reste néanmoins que, si la grâce et le charme lui manquent, s'il n'a que bien rarement des vers coulants et frais comme ceux-ci que je détache du début du septième jour, fort prisé de Goethe:

Ici la pastorelle, à travers une plaine,

A l'ombre, d'un pas lent, son gras troupeau remène;
Cheminant elle file, et, à voir sa façon,

On diroit qu'elle entonne une douce chanson;

il rencontre souvent le vers fort et sonore; il dira aussi bien que d'Aubigné en son Jugement dernier, que le Fils de Dieu

Descendra glorieux des voûtes étoilées;

il laissera dans toutes les mémoires ce vers fameux :

Et l'Enfer est partout où l'Éternel n'est pas;

en ses Sepmaines, œuvre de théologie, d'érudition scientifique,

de l'être, un Saül du trop fécond Claude BILLARD, une Vasthi, une Esther, un Aman de PIBRAC, etc. (Voyez la Notice sur Esther de M. Bernardin. édit. classique del Esther de Racine.)

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