Imágenes de páginas
PDF
EPUB

Etoient de mife, & l'on pouvoit fans doute Cueillir des fleurs quand c'étoit la saison Mais il falloit les trouver fur fa route. C'eft en effet la regle qu'il fuit: mais quelque rigoureufe & quelque gênante qu'elle paroiffe, fes Ouvrages n'y perdent rien, en ce qu'il fçait fi bien choisir fa route, qu'il ne manque jamais d'y trouver des fleurs. Encore ne les prend il pas. pleines mains; il a foin de les trier & de les af fortir, & il n'en met gueres qu'autant qu'il en faut pour donner du relief à tout le refte.

[ocr errors]

Mais où il me paroit le plus fingulier, c'eft dans ce qu'il a fçû tirer des fujets qui paroißoient les plus fteriles. Telle eft la Rhune, par exem、 ple, nom d'un Hermitage fitué, à ce qu'il nous apprend fur la pointe d'une des plus hautes montagnes des Pyrenées. Il s'agiffoit précisément de dire quelque chofe d'agréable fur l'inclination qu'une Dame de qualité témoignoit pour cette Solitude. Voilà tout le fond du fujet, & fur cela l'Auteur trouve moyen de pouffer la Piece à près de cinq cens vers, & de promener l'esprit fi agréa blement par la nouveauté, la varieté & la beauté des images qu'elle prefente, qu'on fe croit encore à moitié chemin, lorsqu'on est déja arrivé au terme. Quoi de plus neuf & de mieux touché que le portrait qu'il y fait du monde ! quels coups

de pinceau! quels contraftes! & que tout ce qu'il dit prouve bien que cette varieté d'évenemens qui fe fuccedent dans le monde, eft une espece de charme qui nous fait devorer tout ce qu'il a d'ailleurs de defagréable & de rebutant ; on n'aime le monde, ni on ne l'eftime; on convient même qu'en quelque fituation qu'on foit, on a beau. coup à en fouffrir; mais on lui passe tout, uniquement parce qu'il nous amufe. Voilà tout ce qui fait le merite du monde auprès de la plupart des gens, & je ne fçais fi on a jamais rien dit de plus vrai & de plus inftructif fur cette matiere. Ce que je dis ici de la Rhune, je pourrois le dire de l'Horoscope,, du Chêne & de l'Epine, des Pâtez, des De profundis, & de plus des trois quarts des Pieces de votre Recueil, & en particulier des deux du Meffager du Mans. Je ne crois pas que ce foient celles dont l'Auteur falle le plus de cas, & elles font peut-être des moindres pour la regularité de la verfification: mais il y a tant de fécondité pour l'invention, tant de varieté pour les chûtes, & des faillies d'imagination fi neuves & en même tems fi naturelles, que je ne fuis pas furpris qu'elles aient été auffi applaudies qu'elles l'ont été, même par des gens d'un goût fort délicat.

L'Auteur nous donne une idée bien sensible de

la délicateffe du fien dans celles de fes Pieces qui roulent fur la critique, & que je vous confeille de mettre enfemble, telles font la Valise de l'Auteur, l'Epître fur la décadence du bon goût, fon Apologie, le Grand Prevôt du Parnaffe. Dans la premiere il fait la critique des principaux Poëtes Latins, mais une critique très-fenfee & très-inftructive. Elle me paroit fur-tout fort propre à ramener beaucoup de jeunes gens qui fe laifoient trop furprendre au brillant d'Ovide, &je ne trouve rien de plus judicieux que les deux vers par lesquels l'Auteur termine le parallele qu'il fait d'Ovide & d'Horace:

J'étois pour Ovide à quinze ans,

Mais je fuis pour Horace à trente. Ce n'est en effet qu'après que l'esprit a meùri, qu'on donne à ce dernier la préference fur l'autre, qui a ordinairement nos premieres inclinations. Dans la jeuneffe on a trop peu d'experience pour goûter beaucoup un Auteur dont toutes les reflexions font le fruit d'un jugement meûr qu'un long usage a formés au lieu que la vivacité, & fije l'ofe dire, la volubilité d'Ovide, fouvent trop jeune dans fes penfees, entraine aifement des gens qui fe retouvent eux-mêmes dans fon caractere. Mais à mefure que la raifon prend le deffus fur l'imagination, Ovide déchoit & Horace s'accredite. Je

ne

ne m'étendrai point davantage ni fur cette Piece, ni fur les autres Pieces critiques du même Auteur; mais je vous dirai en general qu'elles me paroißent très-propres à former ce goût fain & délicat qu'on aime dans les Ouvrages.

F'oubliois à vous dire, Monfieur, qu'une des thofes qui fera le plus de plaifir dans l'Edition de votre Recueil, eft le nombre de Pieces en vers Marotiques qui s'y trouve, & qui en fait près de la moitié. C'est une espece de Poësie qui eft fort à la mode aujourd'hui, quoiqu'on ne convienne pas generalement de ce qui doit faire & de ce qui fait réellement fon veritable caractere. Marot étoit un Poëte qui penfoit naivement, & qui écrivoit d'une maniere très-naturelle; mais il vivoit dans un tems où l'on ne parloit pas auffi bien qu'on parle aujourd'hui. Son langage, quoique fort poli pour le Siecle de François I. ne l'eft plus pour le nôtre, la langue a vieilli ; mais malgré ce defavantage, Marot non feulement s'eft confervé à la faveur du vrai & du naturel qui regnent dans fes Poëfies, mais il a fait en quelque forte la fortune de beaucoup de vieux mots qu'on emprunte volontiers de lui;& il les a fi bien mis en honneur, que loin de les éviter, on les recherche, & qu'on les employe même à titre d'agrèmens. Il y a pourtant des ménagemens à gar

der fur cela, & je crois qu'on ne doit ufer de cette efpece de licence qu'avec quelque réferve. Ce qu'il y a de vrai, c'est que comme il est bien plus aife de l'imiter dans ce qui regarde le langage, que dans la fineffe & la naïveté des penfées, bien des gens ont plus donné dans le premier que dans le fecond. Pour l'Auteur de votre Recueil il paroit fe borner à imiter Marot dans ce qui regarde le tour & l'ordonnance de fes Pieces, & la fimplicité naive de fes penfées, & il eft d'ailleurs fort réfervé à l'imiter dans le langage. Je ne vous diffimulerai point que le parti qu'il a pris eft fort de mon goût, & que fi je voulois écrire dans le ftile de Marot, je fuivrois le même plan. Car il me paroit que pour imiter ce Poëte, il faut écrire comme il auroit écrit dans ces derniers tems. Il n'eft pas bien de mettre le Lecteur dans la neceffité de confulter les anciens Dictionnaires François pour entendre ce qu'on lui dit: ceux qui croyent être Marotiques en employant des termes furannez & aujourd'hui inintelligibles, fe trompent felon moi, & je leur dirois volontiers ce qu' Armande dit à fa fœur dans les Femmes Sçavantes de Moliere au fujet de leur mere:

Et ce n'eft point du tout la prendre pour modele,

Ma four, que de touffer & de cracher comme elle.

« AnteriorContinuar »