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DISCOURS PRÉLIMINAIRE.

SOMMAIRES DE CE DISCOURS,

§ I. Du droit en général : de ses fondemens & de fes premiers principes.

§ II. Du droit naturel, & de fes maximes.

s III. Du droit des gens, ou de nation à nation.

s IV. Du droit public de chaque nation.

s V. Du droit particulier de chaque nation : caufe de la multitude des regles de ce droit. Obfervations fur cette multitude de regles, fes inconvéniens & fes remedes.

s VI. Du droit Romain, & pourquoi les loix Romaines font les feules des anciens peuples que nous étudions?

§ VII. De l'état du droit Romain dans les différens âges de la république & de l'empire,

§ VIII. Des parties qui compofent aujourd'hui le droit Romain: obfervations fur ces différentes parties.

§ IX. Avantages de l'étude du droit Romain; fa facilité.

§ X. Du droit François & de fes fources; caufes de l'obscurité qui regne à cet égard : quels pourroient être les moyens de la diffiper.

§ XI, Des parties qui compofent le droit François civil; obfervations fur ces différentes parties,

s XII, Du droit François eccléfiaftique. Bafe de ce droit; fource de fes regles: obfervations fur leur application,

§ XIII,

§ XIII. Du droit François criminel principes qui paroiffent-lui avoir fervi de fondement: conféquences qui en font réfuliées; obfervations fur ces principes & ces conféquences.

§ I.

Du droit en général; de fes fondemens & de fes premiers principes.

LE droit eft l'affemblage des regles qui doivent diriger les actions

des hommes. Etudier le droit, c'est étudier ces regles; connoître le droit, c'eft être inftruit de ces mêmes regles.

Toute science qui ne confifte pas uniquement dans le rapproche ment & le rapport de faits, ou d'obfervations fur les faits, a fa base établie fur des principes exiftans de toute éternité & véritables de toute éternité. Les mathématiques, par exemple, ont des axiomes de ce genre, qui font d'une vérité éternelle : par conféquent immuables. Il n'en eft pas autrement du droit: les regles des actions humaines portent fur des principes d'une vérité éternelle & immuables. Et de même que l'ingénieur qui exécute les opérations de fon art, quelque favantes qu'elles foient, ne fait qu'appliquer les conféquences de principes qu'il n'a point créés, mais qu'il a feulement recherchés, profondément médités, & dont il modifie l'usage selon les circonftances: le légiflateur & le jurifconfulte qui operent conformément à la raison, ne créent point le jufte ou l'injufte felon leur volonté, mais ils appliquent feulement les conféquences des principes qui, de toute éternité, féparent le jufte de l'injufte.

La justice & l'injustice des actions humaines n'eft donc point l'ouvrage de l'homme ni l'effet de fa fantaifie; elle tient à l'effence des choses; elle précéde la loi humaine qui la déclare; elle continueroit à fubfifter malgré la loi humaine qui appelleroit jufte ce qui seroit injuste,. ou injufte ce qui feroit juste.

Il y a, il faut en convenir, cette différence entre les vérités fondamentales des sciences qui n'intéreffent que notre efprit, & les vérités fondamentales dont les conféquences doivent régler nos actions, Tome I.

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que les premieres s'apperçoivent affez facilement, parce que leur découverte ne gêne en aucune maniere nos paffions & qu'au contraire notre amour-propre eft fatisfait de la gloire d'avoir trouvé la vérité: au lieu que dans la recherche des principes qui doivent régler nos actions, les paffions nous croifent continuellement. Elles voudroient qu'il n'y eût de jufte, que ce qui les flatte; d'injufte, que ce qui les contredit: & qu'avons-nous à oppofer à ces paffions, fouvent très-violentes? une raifon foible & dépravée.

Delà les écarts dans lefquels font tombés les hommes qui paroiffoient s'être livrés avec l'ardeur la plus fincere & la plus dégagée d'intérêt perfonnel, à la recherche des principes d'où dérivent les regles de nos actions. Delà la néceffité d'une lumiere fupérieure, de la révélation, en un mot, pour nous donner un corps de regles morales complet & parfait dans toutes fes parties, tel que l'eft la morale de l'Evangile.

En refléchiffant donc fur les regles de nos actions que nous avons le bonheur de connoître, nous voyons que, pour découvrir le principe générateur de ces regles, s'il eft permis d'ufer de cette expreffion, ou dans d'autres termes, les premieres vérités en droit & en morale il faut diftinguer deux claffes de devoirs auxquels l'homme eft affujéti: les uns envers Dieu, duquel il tient l'être & toutes les facultés qui l'accompagnent; les autres envers les hommes fes femblables.

L'homme doit à Dieu la foumiffion & la reconnoiffance. La foumiffion abfolue, comme à un être infiniment fupérieur, infiniment puiffant, infiniment fage; la reconnoiffance fans bornes, comme à un être infiniment bon, & de la volonté duquel il tient tout ce qu'il poffede.

Les devoirs de l'homme envers fes femblables, dérivent tous de deux maximes que voici: ne faire à perfonne ce que nous ne voudrions pas que l'on nous fit; faire à chacun ce que nous voudrions légitimement qu'il nous fit.

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La premiere de ces deux maximes eft affez développée par les auteurs qui ont traité des fondemens du droit en général, & il ne faut ce semble, qu'une légere attention pour en fentir la vérité. L'amour que l'homme a de lui-même, eft un témoin qu'il ne peut récuser:: fi cet amour lui fait trouver injufte telle action qu'on exerce envers

lui, comment croira-t-il l'exercer légitimement envers un autre ? L'autre maxime ne nous femble pas moins véritable. On la trouve moins fréquemment dans les livres; mais elle est également écrite dans le cœur de l'homme, & elle peut y être lue en écartant le nuage des paffions. Pour en fentir la vérité, il faut d'abord l'entendre exactement telle que nous venons de la pofer: nous devons faire à chacun ce que nous voudrions légitimement qu'il nous fit. Ce n'eft donc pas la fantaisie arbitraire, la volonté paffagère du moment qui fera l'ame de cette regle : encore moins la volonté mue par une cupidité qui nous porteroit à defirer le bien d'autrui, à l'envier; ce fera une volonté légitime: un defir juste, tel qu'un homme impartial & de fang froid décide que dans la pofition où deux perfonnes fe trouvent, l'une relativement à l'autre, la premiere a juste raison de défirer de l'autre tel acte en sa faveur.

Delà nous dériverons la néceffité, par exemple, de l'aumône: acte dont le droit comprend fi bien l'obligation, que, dans certaines circonftances, les magiftrats y contraignent, non pas par forme de peine, mais pour faire remplir un jufte devoir. Car qu'eft-ce que l'aumône? C'eft, au moins dans les termes ordinaires, la remife qu'une perfonne fait de ce qui excede les bornes d'un néceffaire déterminé par la raison, à une autre perfonne qui manque de ce même néceffaire déterminé par la même raison. Or qui ofera dire, étant impartial & de fang froid, que ce n'eft pas un defir légitime de la part de celui qui est dans le befoin tel que nous venons de l'expofer, de fouhaiter que celui qui eft dans l'abondance dont nous avons également parlé, lui faffe part de fon fuperflu? Si ce defir eft légitime; fi nous pouvons, avec justice, le concevoir & le former: nous devons donc, pour n'être pas injuftes, pour ne pas ufer d'un poids envers nous, & d'un autre poids envers nos femblables, fatisfaire ce defir formé par notre femblable; faire à autrui ce que nous voudrions légitimement qu'il nous fit.

Ajoutons, en fuivant toujours le même exemple, une feconde réflexion propre à rendre de plus en plus fenfible un principe fur la vérité duquel notre cœur defire qu'il ne refte aucun doute. Nous difons que la néceffité de l'aumône dérive des règles premieres de nos actions. Nous n'en difons pas autant de cette bicnfaisance généreuse

qui confifte à faire des dons abfolument gratuits, déterminés, non par le befoin de celui à qui l'on donne, mais par l'affection qu'on lui porte. Ces actes de bienfaifance font fort différens de l'aumône, non-feulement en ce qu'ils ne font pas déterminés par un befoin proprement dit, mais auffi en ce que la bienfaisance nous porte quelquefois à nous dépouiller d'une chofe qui nous feroit néceffaire. Nous préférons de donner à la perfonne 'que nous aimons, plutôt que de conferver pour nous-même. La bienfaisance fait plus que l'aumône, & elle fait autre chofe que l'aumône. Il n'y a pas, par cette raison, la même obligation à la bienfaifance dont nous parlons, & qui va jufqu'à s'incommoder soi-même pour fon ami, qu'il y a à l'aumône. Aufsi ne voyonsnous pas d'arrêts pour ordonner un bienfait, comme nous en voyons pour prescrire des aumônes.

Mais fi l'on fuppofe que le fait dans lequel confiftera un acte de bienfaifance, doit, d'une part, fatisfaire à un befoin réel de celui qui le reçoit, & de l'autre, ne porter aucun dommage à celui qui l'exerce: l'obligation de l'exercer réellement renaît alors. C'est ce que dit Cicéron dans fon traité des Devoirs, qu'il exifte une obligation réelle de montrer le chemin à celui qui s'égare; de donner de la lumiere à celui qui en demande : parce que de pareils actes, fans porter le plus léger préjudice à celui qui les exerce, font néceffaires à celui envers qui on les exerce. Le défir de celui qui fouhaite qu'on les exerce envers lui, n'a rien que de jufte & de légitime. Mais ces actes que quelques perfonnes appellent actes de bienfaisance, nous les appellons aumône, toutes les fois qu'il y a d'une part befoin réel, d'autre part faculté de donner fans s'incommoder : & nous diftinguons ces deux expreffions pour féparer la dette de ce qui n'eft point dette: ne pouvant voir dans l'action d'un homme qui montre le chemin au voyageur égaré, l'exercice d'un bienfait, mais l'acquit d'une dette proprement dite.

Les deux principes que nous avons pofés nous paroiffent tellement féconds, qu'ils ne laiffent rien d'arbitraire dans les actions des hommes: & c'est par là même qu'on doit juger de leur vérité. L'homme étant un être doué de raison, rien n'eft plus contraire à fa nature que ce qu'exprime le mot fantaisie; il ne peut indiquer qu'un défordre

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