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actuel dans la difpofition de la volonté. L'homme libre de la contrainte des autres hommes, fait tout ce qu'il veut; mais l'homme libre de la tyrannie des paffions, ne veut que ce qui cft raifonnable. Il s'agiffoit de trouver les premiers principes qu'une raifon éclairée lui dicte, & dont les conféquences puffent diriger toutes fes actions. Or nous croyons les avoir indiqués dans ces axiomes: Aimez Dieu, adorez-le & obéiffez-lui; ne faites rien aux hommes de ce que vous ne voudriez pas qu'ils vous fiffent; faites leur tout ce que vous défireriez légitimement qu'ils vous fiffent. Le premier de ces axiomes ordonnera notre culte & déterminera nos actions les plus fecretes, celles qui paroiffent les plus indifférentes aux autres hommes; il réglera nos pensées; il modérera nos defirs. Le fecond nous arrêtera toutes les fois que nous nous abftiendrons d'agir; & nous ferons conduits par le troifieme toutes les fois que nous agirons.

Peut-être fera-t-on étonné que nous ne propofions pas ici un troifieme ordre de devoirs relatif à nous-mêmes, & un quatrieme principe, celui de s'aimer d'un amour réglé. Mais, en vérité, eft-ce là le fujet d'un précepte? Et lorsqu'un homme manque à ce que l'amour de foi-même lui dicte, n'eft-il pas plus naturel de dire, qu'il peche contre le fens commun, que de dire qu'il peche contre les regles du droit : c'est un fou plutôt qu'un criminel; ne le puniffez pas, empêchez feulement sa folie de jetter la confufion dans la fociété. Si l'amour de nous-mêmes eft le principe d'un grand nombre de nos actions, c'est comme une force très-puiffante qui nous pouffe, mais non comme une regle qui nous dirige: puifqu'au contraire cet amour a besoin d'être réglé, & il a d'autant plus befoin de regles impérieuses, qu'il eft plus violent. Or l'amour de nous-même eft réglé par ces différens principes ou regles premieres dont nous avons parlé; il l'eft par l'amour de Dieu, qui ne fauroit être entier, s'il ne comprend l'obéiffance à fes ordres; il l'eft, par l'obligation de ne point faire ce que nous ne voudrions pas qu'on nous fît; il l'eft par l'obligation de faire tout ce que nous défirerions légitimement que l'on nous fit.

Il exifte donc un droit, c'est-à-dire, un corps de regles qui féparent le jufte de l'injufte, & qui doivent diriger nos actions. Les

bafes de ce droit font des vérités éternelles; la raison nous en fait sentir le befoin, & nous infpire le defir de les connoître; la révélation nous les expofe clairement, lorfqu'elle ramene tous nos devoirs à l'amour de Dieu: Diliges Dominum Deum ; & à l'amour du prochain : diliges proximum. Amour de Dieu dont l'effet certain eft l'adoration & l'obéiffance; amour du prochain, qui confifte à ne lui rien faire de ce qu'on ne voudroit pas fouffrir; & à lui faire tout ce qu'on voudroit éprouver: Omnia quæcumque vultis ut faciant vobis homines, & vos facite illis,

§ II.

Du droit naturel; ses maximes font peu nombreuses, parce qu'elles font très - générales,

Le droit étant l'affemblage des regles des actions humaines, le droit naturel n'est autre chofe que l'affemblage des regles que la nature même de l'homme lui impofe. Il confifte donc effentiellement d'abord, dans ces trois regles principales que nous avons développées au paragraphe précédent, & enfuite dans les conféquences de ces regles. Les traités du droit naturel ne devroient donc être que leur développement. Ainfi l'on feroit voir, par exemple, que le respect dû aux propriétés est une loi du droit naturel. Celui qui a labouré un champ, diroit-on, celui qui l'a enfemencé, trouveroit très-mauvais qu'un autre en coupât les bleds, à la veille de la récolte, Delà la propriété, qui n'est réellement que le droit d'ufer de la chose dont on peut fe dire propriétaire. Nous ne comprenons pas, dans fa définition, le droit d'abufer & de perdre : ce ne fauroit être un droit, puisque la volonté d'abufer & de perdre ne fauroit être une volonté raifonnable.

D'après ces vues, l'unique différence entre un traité de droit naturel & la recherche des premiers principes des loix, nous fembleroit ne devoir confifter que dans le développement des principes & l'examen de leurs conféquences immédiates. Notre intention n'étant pas de donner un traité de droit naturel, on ne doit pas s'attendre à trouver ici ce développement; nous en préfenterons un exemple, mais

ce fera après avoir difcuté certaines idées, trop communes peut-être, & capables de faire perdre de vue la définition propre du droit naturel; de faire oublier ce en quoi il confifte réellement.

Le jurifconfulte Ulpien a dit, que le droit naturel étoit celui que la nature avoit enfeigné à tous les animaux: Jus naturale eft quod nasura omnia animalia docuit. Et comme s'il appréhendoit qu'on n'appliquât pas ce droit affez univerfellement à toutes les brutes, il infifte & déclare que le droit naturel n'eft pas particulier à l'homme, mais qu'il gouverne même les poiffons & les oifcaux : Nam jus iftud non humani generis proprium, fed omnium animalium quæ in terra, que in mari nafcuntur: avium quoque commune est ; leg. 1, § 3, ff. de leg. Il eft à peine concevable qu'on ait avancé une pareille abfurdité; mais ce qui ne l'eft point du tout, c'eft qu'on ait cherché à l'expliquer & à la défendre. Singularité étonnante! La vie de l'homme n'eft pas affez longue pour raffembler le quart des vérités qui lui feroient utiles: & cependant lorfque dans les chofes qui ne font pas au-deffus de fa raifon, il rencontre une propofition qui la choque évidemment, il ne fait pas dire net, cela est faux; passons à un autre objet. Il faut qu'il s'amufe auprès de cette propofition fauffe, qu'il la tourne de tous les côtés, qu'il difcute chaque mot. S'il peut, en dénaturant le fens des expreffions, en fuppofant ce qui n'eft pas, en un mot en fubtilifant de toutes manieres, faire croire qu'une erreur palpable n'eft qu'un paradoxe, il fe complaît alors dans fes heureufes penfées, & il a la fottife de fe croire un génie.

D'autres perfonnes, en procédant à la définition du droit naturel, diftinguent deux efpeces de droit naturel, l'un primitif & l'autre fecondaire. Le premier eft le résultat des principes même que nous avons pofés, & leurs conféquences immédiates; le second eft, felon quelques-uns les conféquences plus éloignées de ces principes; felon d'autres, les préceptes pofitifs que Dieu donna à l'homme avant toute autre loi : ceux, par exemple, qu'il donna à Noë fortant de l'arche.

Cette distinction eft propofée par des auteurs refpectables; mais doit-on Fadmettre? Qui dit un droit naturel, dit celui qui fuit de la nature même; peu importe qu'il s'agiffe ou d'un premier principe de ce droit,

&

ou de conféquences plus ou moins éloignées, pourvu qu'elles foient réguliérement déduites. Toutes les fois qu'en remontant de chaînons en chaînons on arrivera au premier anneau, l'univerfalité des regles que l'on aura déduites fera des regles du droit naturel; elles appartiendront toutes au droit naturel.

D'un autre côté, dès que vous parlez d'un précepte pofitif, ce n'est plus de l'effence & de la nature même des chofes qu'il est question. Le précepte fera très-fage, très-convenable à la nature de l'homme; il émanera d'une autorité infiniment refpectable : & ce que le droit naturel dicte, c'est d'obéir à de pareils préceptes: mais le précepte en lui-même ne doit pas être appellé une regle du droit naturel, puisqu'il a fallu une volonté pofitive pour l'établir.

On a imaginé cette distinction pour répondre à des difficultés dont nous ne nous occuperons pas, & pour s'autorifer à dire qu'il pouvoit exifter des cas où l'on étoit dispensé du droit naturel secondaire, tandis qu'on ne l'étoit jamais du droit naturel primitif. Mais l'objet même de cette distinction, ne paroît pas un motif fuffifant pour l'admettre. Ou une propofition est évidente, ou elle ne l'eft pas. Si elle n'eft pas évidente, il faut fufpendre le confentement qu'on donneroit à son énoncé; fi elle est évidente, ce n'eft pas une objection qui doit empêcher d'en reconnoître la vérité. Cette objection ne nous paroît infoluble, que faute de connoiffances fuffifantes; dès que nous avons l'évidence, la voie eft ouverte : un léger obftacle ne doit pas nous arrêter; marchons & efforçons-nous d'arriver à des vérités, fur-tout à des vérités pratiques.

Une autre claffe d'écrivains ne parlent pas de droit naturel, qu'ils n'aient commencé par fixer, avec beaucoup d'appareil, ce qu'il leur plaît d'appeller les différens états de l'homme. Ils nous montrent d'abord l'homme dans ce qu'ils nomment l'état de pure nature, n'ayant ni pere, ni mere, ni femme, ni enfans; fe trouvant néanmoins fur la terre tout élevé & tout grand, robuste, fans maladies, animal ou carnasfier, armé de griffes au lieu d'ongles; ou frugivore, mais ne mangeant encore que le gland des forêts. Ils montrent enfuite l'homme établi en fociété par les réunions que la foibleffe de plufieurs individus a occafionnées

occafionnées pour fe défendre contre les entreprises d'un individu plus fort; ils font voir la crainte feule arrêtant les entreprises, & formant une fociété dont le licn unique eft l'appréhenfion du pillage, des coups & de la mort.

Mais l'être qu'ils nous décrivent ainfi n'eft point l'homme: c'eft un être imaginaire; & il eft infenfé de prétendre parvenir à la connoiffance des regles qui peuvent diriger & conduire un être, précisément en étudiant ce qu'il n'eft pas.

Les livres de Moïfe nous donnent l'histoire de l'homme. Il ne fut que quelques inftans feul, & cet état de folitude ne convenoit pas à sa nature. Dieu lui donne une compagne. Dès lors se forment les premiers rudimens de la fociété : les enfans qui naiffent de nos premiers parens étendent cette fociété : les familles nombreuses ne fe divifent pas; elles fe partagent. L'autorité des anciens eft refpectée; nous trouvons dans le gouvernement paternel, le modele & la fource du gouvernement monarchique; dans le gouvernement de plufieurs freres réunis avec leur descendance, le modele du gouvernement aristocratique ; dans les affemblées d'une colonie d'enfans du même âge, que leurs parens ont envoyés fur des terres voifines, le modele du gouverne ment républicain. Et fans ouvrir même aucun livre, fondons notre propre cœur; retranchons autant que l'on voudra des préjugés de l'éducation, mais foyons fideles à retrancher autant de préjugés contre l'éducation : nous y trouverons infailliblement les principes de la fociabilité. De quelle autre fource dériveroit cet amour inné pour nos femblables? Sans doute des injuftices que l'on nous aura fait éprouver, plus fouvent encore l'excès de nos propres paffions peuvent nous infpirer de la haine contre un homme; mais retranchez ces faits accidentels, étrangers à la nature de l'homme, & confultez encore une fois yotre cœur: vous le trouverez porté à aimer votre femblable & à yous en rapprocher.

Ce n'est pas ainfi que les auteurs dont nous parlons ont procédé. Tout ce que vous appellez idées de sociabilité, n'est, ont-ils dit, que préjugé d'éducation. Voyez ces hommes fauvages qui mangent d'autres hommes, & trouvez dans leur cœur, s'il eft poffible, des Tome I.

d

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