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principes de fociabilité? Cependant voila l'homme tel qu'il eft forti de la nature. Ainfi, tandis que la furface du globe est habitée, dans fa plus grande partie, par des hommes réunis en société, fans qu'il y ait aucune trace qu'ils ayent vécu autrement: mais parce que fur un petit coin de la terre il exifte des hommes qui mangent leur ennemi, il faudra croire que l'état dépravé & contraire à la nature n'est pas celui du petit nombre, mais celui d'une multitude immenfe de tous fiecle & de toute contrée !

Nous poferons au contraire pour principe, que l'homme, l'homme, effentiellement sociable, eft dans son état naturel lorsqu'il vit en fociété. Par cette raison, les regles du droit naturel l'obligent dans cet état : ces regles font même le fondement de toutes celles qu'il doit y observer: mais les rapports de l'homme s'augmentent alors, les conféquences des regles primitives fe développent, & femblent former elles-mêmes. de nouveaux principes plus ou moins féconds.

Ainfi pour nous arrêter à un feul exemple important, nous voyons. naître de ces deux premiers axiomes: Ne faites point ce que vous ne voudriez pas que l'on vous fit; faites au contraire ce que vous voulez que l'on vous faffe: le principe de la compenfation de fervices, qui eft l'ame de la fociété & la bafe de tous les contrats, de tous ceux au moins qui obligent de part & d'autre. Vous ne voudriez pas qu'après vous avoir fait employer pour moi les jours dont vous auriez ufé pour vous procurer votre fubfiftance, je vous refusasse cette portion de fubfiftance que je vous ai empêché d'acquerir; vous desirez, au contraire, que fi vous m'avez rendu un service plus important que ne feroit un autre, je vous donne une récompense plus grande dans le premier cas que dans le fecond. Delà la néceffité où font les membres de la fociété, de procurer la fubfiftance à fes chefs, tout employés à la gouverner & à la défendre: delà auffi l'obligation. des chefs de veiller pour ceux qui les font fubfifter. Delà, fous un au-tre rapport, les échanges, les ventes, les locations; delà le falaire des. journaliers; delà, en un mot, toutes les obligations qui fe répondent: P'une à l'autre.

La compenfation, dont nous parlons, fuppofe l'égalité: cela s'entendi

de soi-même; il n'y a pas de compensation s'il n'y a pas égalité entre ce qui eft reçu & ce qui donné.

Il paroît difficile d'imaginer un principe plus général & plus univerfel, que celui de la compenfation dont nous parlons. On peut y trouver la fource même des principaux devoirs des enfans envers leurs peres. Nos peres ont foutenu notre foibleffe dans l'enfance, ils ont supporté nos infirmités dans ce premier âge; nous devons donc fervir d'appui à leur vieilleffe, & les aider à foutenir le fardeau du dernier âge. Ce principe de compenfation, joint aux trois autres premiers principes que nous avons remarqués, pourroit faire tout le code du droit naturel. Ses regles font peu nombreuses, mais elles s'étendent à une multitude de cas : or en confidérant toute légiflation quelle qu'elle foit, on verra que fes loix, & le nombre de cas auxquels elles s'étendent font exactement en proportion inverse. Où il y a peu de loix, elles s'étendent à beaucoup de cas; où il y a beaucoup de loix, elles ne reglent qu'un petit nombre d'actions.

Une derniere observation que nous avons à propofer fur le droit naturel, c'est que ce droit dérivant, ainfi que nous l'avons dit, de la nature de l'homme, il conferve fon empire & l'exerce toujours fous quelque législation que ce foit. Il ne porte point préjudice à l'empire des loix pofitives, puisqu'au contraire c'eft lui qui impofe la néceffité d'obéir au légiflateur; mais réciproquement auffi les loix pofitives ne font point ceffer ce qui eft commandé par le droit naturel. C'est la raifon pour laquelle il arrive fouvent que, chez un peuple, des points très - importans ne font déterminés par aucune loi civile. La loi naturelle les décide, & cela fuffit jusqu'à ce que les paffions, aidées de circonftances particulieres, jettent fur cette portion des regles du droit naturel une obfcurité qui doive être diffipée par des loix précises.

ŞIII.

Du droit des gens, ou de nation à nation.

Le droit des gens eft celui qui regle les actions refpectives de deux peuples indépendans l'un de l'autre, Comme ils n'ont point de chef

commun, & que d'ailleurs on les fuppofe fans aucune fubordination de l'un à l'autre, il n'y a point de loi pofitive écrite à laquelle on puiffe dire qu'ils foient foumis l'un envers l'autre. Il ne peut fe former entre eux, que des alliances, des traités & des conventions.

Mais il fubfifte d'abord pour regle de leurs actions respectives, ce droit non écrit dont nous avons parlé : le droit naturel, qui les oblige par cela feul qu'ils font hommes. Les regles de ce droit font fouvent violées, foit par la barbarie, foit par la politique: mais les enfraindre n'eft pas les anéantir; & elles fubfiftent dans la guerre comme dans la paix; elles confervent leur autorité dans le temps même des plus violentes divifions. Ainfi, après une bataille gagnée, il n'est point permis de faire du mal à un ennemi qui n'eft plus en état de nuire ; ainfi le viol & le meurtre ne font pas plus permis dans une ville prise d'affaut, qu'ils ne le font dans une ville amie. C'est la fureur & la licence effrenée du foldat qui portent à ces actions; le droit naturel les reprouve & les condamne.

Les regles du droit naturel forment donc la premiere & la principale partie du droit des gens: mais outre ces regles, il y a des fortes de conventions & d'ufages qui, étant admis à peu près généralement par les peuples policés, font confidérés, en quelque maniere, comme des regles du droit des gens. On ne peut pas, comme nous l'avons obfervé, les appeller des loix proprement dites, faute d'une autorité exiftante qui ait le droit de les établir; mais ce font des conventions, au moins tacites, fur la foi defquelles on fe repofe & l'on vit; le peuple qui manqueroit le premier à les obferver, se rendroit méprisable, avec raifon, aux yeux de l'univers & autoriferoit à en user avec lui, comme lui-même en auroit ufé avec les autres.

La réception des ambassadeurs, ou autres envoyés pacifiques, fous quelque nom que ce foit, ne tient pas feulement aux ufages & aux conventions tacites dont nous venons de parler: l'obligation de les recevoir fans leur faire aucun mal, dérive du droit naturel. En effet, dès que l'on suppose que ce font récllement des envoyés qui viennent porter des paroles de paix, & non des efpions qui entrent dans le pays pour en obferver les forces & les projets, il n'y a d'abord

aucune raifon de ne les pas recevoir. Et enfuite, puifque leur miffion eft de préparer une conciliation & d'éviter la guerre, voilà une raifon de les recevoir & de les écouter: la guerre entraînant infailliblement une foule de défordres & de maux que la raifon oblige d'éviter autant qu'il eft poffible.

Mais ce qui n'eft que du droit des gens conventionnel, s'il eft permis de s'exprimer ainfi, c'eft que l'envoyé d'un peuple fera reçu par le peuple auquel il eft adreffé, de telle ou de telle maniere, felon le caractere que le peuple, dont il est le repréfentant, lui aura donné ; qu'il jouira de certaines franchises, de certains privileges, de certains honneurs, &c. C'est encore qu'avant de faire, de la part d'un peuple, des actes d'hoftilité contre un autre peuple, on lui donnera connoiffance des griefs que l'on a contre lui, & on lui demandera à l'amiable une juste fatisfaction. Il eft raifonnable d'obferver ces regles lorfqu'on les garde visà-vis de nous: mais on peut ne pas s'y conformer, lorfque ceux auxquels on a affaire y ont manqué les premiers. Telle eft la différence entre cette portion du droit des gens, & celle qui confifte uniquement dans l'application des regles du droit naturel, qu'on ne fauroit jamais. être dispensé d'observer celles-ci, au lieu qu'on peut être dispensé de garder celles-là: foit quand on ne les garde pas envers nous, la réciprocité étant la bafe & le fondement de cette efpece de droit des gens; foit pour quelque autre cause grande & importante.

Les préceptes du droit des gens font beaucoup moins nombreux que ne le font les regles du droit particulier de chaque peuple, parce qu'il y a beaucoup moins d'occafions de rapport entre les peuples, qu'il n'y en a entre les particuliers. D'ailleurs, toutes les difficultés qui s'élevent de nation à nation, ou fe terminent par des traités & des conventions amiables, dont les regles font les volontés raifonnables des parties contractantes; ou bien elles conduisent à faire la guerre, pendant le tumulte de laquelle il y a bien peu de loix qui puiffent fe faire entendre. Néanmoins les nations policées confervent alors même quelques égards les unes envers les autres, foit pour traiter les prifonniers avec humanité, foit pour affurer l'exercice paifible des profeffions qui ne nuifent point, foit pour prendre fous leur protection

des perfonnes recommandables, quoiqu'elles foient de la nation ennemie. Ainfi au milieu des hoftilités qui s'exercent actuellement entre la France & l'Angleterre, la France, en permettant à ses sujets d'attaquer les vaiffeaux Anglois, avoit défendu d'attaquer celui du célebre voyageur Coock, Anglois; & il a été fait des conventions pour la Lauvegarde refpective des pêcheurs de l'une & de l'autre nation.

La connoiffance du droit des gens fe puife, quant à fa premiere partie, dans la méditation des principes du droit naturel; quant à la feconde, dans l'hiftoire des différens peuples, & fur-tout dans cette portion de l'hiftoire qui a, pour objet, les alliances & les traités: C'est-là que l'on peut recueillir de l'ufage & des exemples, le droit des gens conventionel, & que l'on apprendra en même temps les engagemens qui lient certains peuples à d'autres d'une maniere plus particuliere.

SIV,

Du droit public de chaque nation,

On comprend quelquefois fous la dénomination de droit public, même le droit des gens. Ce n'eft pas l'acception dans laquelle nous le prenons içi, puisque nous venons de définir à part, le droit des gens. Nous entendons par droit public des nations, celui qui régit les actions publiques de l'état, qui en conferve la conftitution & qui regle la conduite des différens corps de l'état les uns envers les autres. Lorfqu'enfuite nous annonçons que nous allons parler du droit public de chaque nation, nous ne promettons pas de parler de ce qui forme le droit public des différentes nations : pas même d'exposer les maximes du droit public de la France; mais nous voulons feulement donner une idée de ce qui conftitue le droit public chez toute nation, & de la différence qu'il y a entre le droit public & le droit particulier.

Le droit particulier eft compofé des regles auxquelles est soumis le citoyen vis-à-vis du citoyen: le droit public gouverne la fociété entiere. Ses regles n'ont pas pour objet de décider, par exemple, qui de celui-ci, ou de celui-là, aura telle maifon ou tel champ; mais de

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