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N'oubliez pas, mon ami, que j'ai fous les yeux les plâtres originaux de ces deux centaures, & qu'ils font moulés comme l'empreinte de votre cachet. L'impreffion eft fi parfaite, qu'elle rend jufqu'aux veines des fabots, & ce n'eft pas peu.

Ecoutez bien ceci qui n'eft pas un conte: si on pouvoit me perfuader que les deux centaures font feulement paffables, je regarderois le cheval de Le Moyne (a), celui de Bouchardon, celui de Saly,

gens qui fe feroient un droit fpécieux de vous en imposer. Savez-vous d'où vient la rifible humeur de quelques Italiens contre un plâtre de cette ftatue? c'est qu'un beau plâtre est un babillard qui ne cache aucun fecret; l'égalité de fa couleur les dit tous.

(a) Je ne prononcerai pas le nom de mon maître en vain ; -&, pour l'honneur de fon talent, comme pour pefer certaines appréciations, je rapporterai un trait dont je me fouviens. On difoit : C'est le cheval de Marc-Aurele qui lui a fait faire celui de Louis XV. J'étois nouveau dans l'art, & je n'appercevois pas l'abfurdité de cette affertion; la statue antique m'étoit inconnue. M. Le Moyne, qui n'a pas vu plus que moi l'Italie, connoiffoit le cheval du Capitole par des oui-dire & par des deffeins de la fidélité defquels il ne pouvoit pas être juge. Si, comme je l'ai, il avoit eu un plâtre de l'original, affurément je l'aurois vu chez lui, puisque j'y étois quand il étudioit fon modele, qui en vérité ne reffemble point au cheval antique. Si je l'avois oublié, la gravure de Bordeaux & l'ouvrage romain font affez bien fous mes yeux pour m'en faire fouvenir; en

comme

comme détestables, & je finirois par brifer le mien.. Ce n'est pas tout, car il faut être conféquent autant qu'il eft poffible: j'abjurerois pour une bonne fois la fculpture; je rirois au nez de ceux qui me l'ont enfeignée; je haufferois les épaules en voyant le Laocoon, l'Hercule Farnese, l'Apollon, le Gladiateur, & je finirois par regarder tous les objets de la nature comme autant de preuves de l'ignorance du créateur, qui n'a pas fu mettre des veines fur le fabot du cheval, & qui ne l'a pas modelé femblable aux deux centaures. Combien de gens d'efprit emploient plaifamment celui qu'ils ont reçu en partage! & comme ils raisonnent quand ils parlent de mon métier, & qu'ils prennent le ton décidé! Notez

tout cas, fi l'un avoit produit l'autre, ce feroit un pere & un fils qui n'auroient aucune reffemblance de famille.

Il feroit d'ailleurs affez extraordinaire que M. Le Moyne, qui a toujours mis tant de mouvement dans fes productions, eût eu ce befoin pour lui enfeigner ce qu'il voyoit, & ce que fon organisation vive l'a toujours porté à faifir dans le naturel. Mais qu'il ait eu la curiofité de voir l'image d'un monument célébré, & du genre de celui qu'il faifoit, à la bonne heure: j'ai eu la même curiofité, mais plus complétement fatisfaite. Ainfi, voilà comme fouvent des juges qui n'entendent prefque rien à nos arts, trouvent des différences & des reffemblances qui n'exiftent pas. Hélas! pourquoi vouloir ôter au hommes le mérite qui leur appartient?

Tome III.

I

bien que je rends à M. l'abbé Richard toute la juftice qu'il mérite à d'autres égards. J'ai lu son ouvrage avec le defir qui peut-être enfin me portera quelque jour en Italie.

L'abbé du Bos, en parlant des plus beaux chevaux antiques qui font parvenus jusqu'à nous, a dit longtemps avant moi: » Même celui fur lequel Marc» Aurele eft monté... n'a pas les proportions auffi élégantes, ni le corfage & l'air auffi nobles >>> chevaux que les fculpteurs ont faits depuis, &c. ». Tome 2, page 375, édition de 1755.

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Qu'ai-je fait de plus que l'abbé du Bos? Le peu de lignes que je viens de rapporter, & auxquelles on avoit fait peu d'attention, je les ai développées, expliquées, prouvées. Si j'ai eu tort, on auroit dû me répondre & m'inftruire: mais il y a grande apparence que j'avois raifon, car les cris fe font élevés de toutes parts. Je l'avois prévu, parceque je connois un peu les hommes.

On n'a pas daigné employer contre moi le raifonnement; mais on a prodigué les paroles, quelquefois même les invectives, & l'on s'est montré fort avare de bon fens. Les voilà donc ces juges éclairés, ces raisonneurs fans partialité, ces lecteurs intelligents; les voilà, tels qu'ils doivent fe reconnoître dans le frontifpice du premier tome de l'abbé du Bos, édition de 1755. La compofition eft de

i

Pietro-Tefta, la gravure eft d'après un deffein de Boucher qu'ils regardent cette eftampe, ils y font tous. S'ils ne l'ont pas fous la main, je vais leur en détailler le fujet.

La peinture indignée les entend, refte pensive, & fufpend fon travail: le tableau eft entouré de juges. A leur tête, le hideux fquelette de l'envie préfide avec arrogance. A fes côtés, l'audacieufe opulence à la face hébétée opine du ventre après boire. L'ânerie, fiere de fes fuperbes oreilles, fait retentir l'air de fes cris ftupides. La pefante érudition arrive chargée de bouquins poudreux. Dans la foule, on diftingue les oreilles de plufieurs affiftants. Ailleurs, un étourdi, la tête entourée de pampres, regarde le tableau de profil, & n'en dit pas moins, en riant, sa sottise. Enfin un triste aristarque, rampant à l'ombre de l'envie, fourre fon avis à travers les jambes de la troupe.

Voilà l'hommage que Pietro-Tefta & Boucher rendent à la fublimité des lumieres de certains connoiffeurs.

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DES PROPORTIONS DU CHEVAL

DE MARC-AURELE,

ET DE CELLES DU BEAU NATUREL.

LE

E meilleur moyen de porter un bon jugement fur les proportions d'un ouvrage de l'art, c'est de le comparer avec celles du beau naturel. La tête du cheval de Marc-Aurele a deux pieds onze pouces : je l'ai divifée en quatre parties. J'ai fait la même division sur la tête d'un beau cheval naturel, & j'ai pris ainfi les principales mesures, & du beau naturel, & du cheval antique: je n'en garantis pas la justesse à deux ou trois minutes près. Si l'on croit que, n'ayant pas vu le bronze, il ne m'a pas été poffible d'en favoir les proportions, je prie ceux qui feront à portée de s'en affurer, de vouloir bien vérifier celles-ci, & de me rectifier où j'aurois commis de fortes erreurs.

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