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auffi le peintre & le sculpteur. L'artiste, dont les moyens font fimples, eft à découvert ; il s'expofe à être jugé d'autant plus aifément, qu'il n'emploie aucun vain prestige pour échapper à l'examen, & fouvent masquer ainfi fa non valeur. N'appellons donc point beautés, dans quelque ouvrage que ce foit, ce qui ne feroit qu'éblouir les yeux & tendroit à corrompre le goût. Ce goût, fi vanté avec raison dans les productions de l'efprit humain, me paroît en général le résultat de ce qu'opere le bon fens fur nos idées : trop vives, il fait les réduire, leur donner un frein; trop languiffantes, il fait les animer. C'est à cet heureux tempérament que la fculpture, ainfi que tous les arts inventés pour plaire, doit ses vraies beautés, les feules qui foient durables.

Comme la fculpture comporte la plus rigide exactitude, un deffein négligé y feroit moins fupportable que dans la peinture. Ce n'eft pas à dire que Raphaël & le Dominiquin n'aient été de très corrects & favants deffinateurs, & que tous les grands peintres ne regardent cette partie comme effentielle à l'art : mais, à la rigueur, un tableau où elle ne domineroit pas, pourroit intéreffer encore par d'autres beautés. La preuve en eft dans quelques femmes peintes par Rubens, qui, malgré le caractere flamand & peu correct, féduiront toujours par le charme du coloris. Exécutéz-les en fculpture fur le même caractere de deffein; le charme fera confidérablement

diminué, s'il n'eft entièrement détruit. L'effai feroit bien pire fur quelques figures de Reimbrand.

Pourquoi eft-il encore moins permis au sculpteur qu'au peintre de négliger quelques unes des parties de fon art? Cela tient peut-être à trois considérations : au temps que l'artiste donne à fon ouvrage; nous ne pouvons fupporter qu'un homme ait employé de longues années à faire une chofe commune: au prix de la matiere employée; quelle comparaison d'un morceau de toile à un bloc de marbre! à la durée de l'ouvrage; tout ce qui eft autour du marbre s'anéantit, mais le marbre refte; brifées même, fes pieces portent encore aux fiecles à venir de quoi

louer ou blâmer.

Après avoir indiqué l'objet & le système général de la sculpture, on doit la considérer encore comme foumise à des loix particulieres, qui doivent être connues de l'artiste pour ne pas les enfreindre ni les étendre au-delà de leurs limites.

Ce feroit trop étendre ces loix, fi on difoit que la fculpture ne peut fe livrer à l'effor dans fes compofitions, par la contrainte où elle eft de fe foumettre aux dimensions d'un bloc de marbre, Il ne faut voir le Gladiateur & l'Atalante; ces figures grecques prouvent affez que le marbre obéit, quand le fculpteur fait lui commander.

que

ainfi

Mais cette liberté que le fculpteur a, pour dire, de faire croître le marbre, ne doit pas aller

jufqu'à embarraffer les formes extérieures de fes figures par des détails excédants & contraires à l'action & au mouvement représentés. Il faut

que l'ou

vrage
fe détachant fur un fond d'air, ou d'arbre, ou
d'architecture, s'annonce fans équivoque du plus
loin qu'il pourra fe diftinguer. Les lumieres & les
ombres, largement distribuées, concourront aussi à
déterminer les principales formes & l'effet général.
A quelque distance que s'apperçoivent l'Apollon &
le Gladiateur, leur action n'eft point douteuse ( a ).

Parmi les difficultés de la fculpture, il en est une fort connue, & qui mérite les plus grandes attentions de l'artiste; c'eft l'impoffibilité de revenir fur lui-même lorfque fon marbre eft dégroffi, & d'y

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(a) Winckelmann fait un examen critique du Gladiateur & dit: »Toute la figure fe porte en avant, & repose sur la » cuiffe gauche; la jambe droite,' tirée en arriere, eft extrême» ment tendue ». C'est le contraire. La figure pofe fur la cuifse droite, & c'est la jambe gauche qui eft tendue. On pourroit demander comment un homme qui a vu & revu cent & cent fois le Gladiateur, a pu faire une telle faute, Il l'a répétée dans fes deux éditions; & fes deux traducteurs nous l'ont scrupuleusement transmise; le premier, page 38, tome 2; le fecond, page 198, tome 3. Cela femble prouver qu'ils font hors d'état de rectifier, par une note de deux mots, certaines méprises de leur auteur. Celle-ci ne porte aucune atteinte à son mérite; & fes traducteurs, s'ils avoient fu l'appercevoir, auroient pu la faire difparoître fans craindre le reproche d'infidélité.

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faire quelque changement effentiel dans la compofi→ tion ou dans quelqu'une de fes parties : raison bien forte pour l'obliger à réfoudre fon modele, & à l'arrêter de maniere qu'il puiffe conduire fûrement les opérations du marbre. C'est pourquoi, dans de grands ouvrages, la plupart des fculpteurs font leurs modeles, ou les ébauchent du moins fur la place où doit être l'objet. Par là ils s'affurent invariablement des lumieres, des ombres, & du jufte ensemble de l'ouvrage, qui étant composé au jour de l'attelier pourroit y faire un bon effet, & fur la place un fort mauvais.

Mais cette difficulté va plus loin encore. Le mo→ dele bien arrêté, je fuppofe au fculpteur un instant d'affoupiffement ou de délire. S'il travaille alors, je lui vois eftropier quelque partie importante de fa figure, en croyant fuivre & même perfectionner fon modele. Le lendemain, la tête en meilleur état, il reconnoît le défordre de la veille fans y pouvoir remédier.

Heureux avantage de la peinture! Elle n'est point affujettie à cette loi rigoureuse. Le peintre change, corrige, refait à fon gré fur la toile; au pis aller, il la réimprime, ou il en prend une autre. Le fculpteur peut-il ainfi difpofer du marbre? S'il falloit qu'il recommençât fon ouvrage, la perte du temps, les fatigues & les dépenfes pourroient-elles fe comparer avec celles du peintre ?

De plus, fi le peintre a tracé des lignes juftes, établi des ombres & des lumieres à propos, un afpect ou un jour différent ne lui ravira pas entièrement le fruit de fon intelligence & de fes foins. Mais dans un ouvrage de sculpture, compofé pour produire des lumieres & des ombres harmonieuses, faites venir de la droite le jour qui venoit de la gauche, ou d'en bas celui qui venoit d'en haut; vous ne trouverez plus d'effets, ou il n'y en aura que de défagréables, fi l'artiste n'a pas fu en ménager pour les différents jours. Souvent auffi, en voulant accorder toutes les vues de fon ouvrage, le fculpteur rifque de vraies beautés pour ne trouver qu'un accord médiocre. Heureux fi fes foins pénibles ne le refroidiffent point, & ne l'empêchent pas de parvenir à la perfection dans cette partie !

Pour donner plus de jour à cette réflexion, j'en rapporterai une de M. le comte de Caylus.

» La peinture, dit-il, choifit celui des trois jours » qui peuvent éclairer une furface. La fculpture eft » à l'abri du choix; elle les a tous : & cette abon» dance n'est pour elle qu'une multiplicité d'études » & d'embarras; car elle eft obligée de confidérer » & de penfer toutes les parties de fa figure, & » de les travailler en conféquence; c'est elle-même, en quelque façon, qui s'éclaire; c'eft fa compo» fition qui lui donne fes jours, & qui diftribue

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