Imágenes de páginas
PDF
EPUB

auffi vu les autres qui font en Italie, je ferois moins étonné des louanges qu'on a données à la premiere. Comme ces louanges ont été rarement données par comparaison aux autres ftatues équestres qui font en Italie, que je n'ai fait non plus aucune comparaifon d'elles avec celle du Capitole, & que je ne l'ai comparée qu'avec le naturel, il a dû m'être affez indifférent de savoir qu'on la préférât aux autres; & je crois, monfieur, qu'ici vous détournez un peu la question. Quant au cheval que je n'ai pas vu en place, je puis vous affurer que c'eft en bronze feulement que je ne l'ai pas vu, puifque les plâtres que j'en ai à Pétersbourg y font placés à la même hauteur que le bronze l'eft au Capitole. Vous favez que pour un artiste, c'est voir en place, quand d'ailleurs il connoît la place, ainsi que l'ensemble & le mouvement général de la ftatue.

Le cheval de Marc-Aurele fe fait admirer par une certaine expreffion de vie ; & peut-être les mêmes fautes que j'y remarque dans la position des jambes donnentelles ce mouvement, qui n'eft pas felon le méchanifme ordinaire, mais dans un état momentanée, dans lequel l'animal ne peut fubfifter qu'un inftant. Je conviens qu'il y a dans cet animal une certaine expreffion de vie; je crois même l'avoir dit affez clairement: mais, monfieur, la représentation de quelque animal que ce foit n'auroit-elle pas à plus jufte titre une expreffion de vie, fi les mouvements de

toutes fes parties étoient felon le méchanisme de la nature? Vous connoiffez trop fupérieurement les beautés de la fculpture grecque, pour ignorer que les lutteurs, qui font dans un état momentanée, ne feroient pas auffi bien qu'ils font, fi la position de leurs membres n'étoit pas felon le méchanisme ordinaire: vous favez auffi que la belle Atalante est dans le même cas. Un homme en bronze qui marcheroit comme il eft impoffible qu'un homme puisse marcher, ne feroit pas même dans un état momenzanée: c'est ainfi pourtant que marche le cheval antique.

Ce que vous dites, monfieur, du cavalier me paroît jufte; & fi j'en ai eu une autre idée, j'ai eu tort. Cependant avec quelques modifications dans votre fentiment, & plus de développement dans le peu que j'en ai dit, nous pourrions bien nous rapprocher.

Vous dites en paffant, monfieur, que des artiftes qui copioient. l'Apollon du Vatican, le remettoient parfaitement d'à-plomb, & perdoient ainfi une grande partie des beautés de l'original. Vous favez mieux que moi que les jambes de cette figure ont été brifées en plufieurs morceaux, qui tous n'ont pas été retrouvés; qu'on a mal remonté ces jambes, qu'elles font rejointes avec du ciment; & yous conviendrez que, dans fon premier état, l'Apollon devoit être parfaitement d'à-plomb. Per

[ocr errors]

mettez-moi donc, monfieur, de conclure que les artiftes qui perdoient une grande partie des beautés de l'original, en voulant corriger cette défectuofité n'étoient pas alfez habiles pour y bien réuffir fi : c'étoit une faute, il faudroit en accufer le premier auteur, qui certainement l'auroit commife. Regardez la jambe droite en face, & voyez comme, par la reftauration, elle fe deffine mal avec la cuiffe. Vous favez que le bras gauche eft aufli reftauré par le Montorfoli, fculpteur florentin.

Je puis vous affurer, monfieur, que ce qui m'a irrité (pour me fervir de votre terme) contre feu M. Winckelmann, n'eft affurément pas l'éloge qu'il fait de vous ; mais j'ai été scandalisé, je vous l'avoue, qu'il ait parlé des artistes françois avec un ton de mépris très révoltant. Quand je dis les artiftes françois, vous pensez bien que j'entends ceux dont les ouvrages ne déshonoreroient pas les artistes des autres nations, & ceux qui ont fait tant d'honneur au fiecle de Louis XIV, comme vous le remarquez très bien. Parceque l'Allemagne a de nos jours deux excellents peintres, vous, monfieur, & M. Dietrich, votre ami étoit-il en droit de mépriser les nôtres? Permettez-moi de vous le dire, ce fera toujours une tache à fa mémoire. Si vous n'admettez pas la France au nombre des juges, il faudra bien nous récufions auffi l'Allemagne.

que

Votre obfervation, monfieur, que fi nous étions

de

Júrs de toujours bien juger, nous ferions toujours des ouvrages parfaits, m'a d'abord paru bonne. Cependant, par réflexion, j'ai cru que l'amour propre & quelques autres caufes encore, qui nous aveuglent fur nos propres défauts, nous laiffent des yeux lynx fur les défauts des autres : ce qui n'empêche pas que nous ne nous trompions quelquefois fur leur compte comme fur le nôtre; chacun le fait. Pour moi, je ne me couche jamais fans l'avoir éprouvé dans la journée.

Vous avez raifon, monfieur; ces deux mots, totalement négligé, ne font point dans l'original allemand: auffi ai-je changé l'endroit dans mon exemplaire; car je me propose de faire une autre édition, où, je vous affure, prefque tout l'ouvrage fera changé. Au rifque de déplaire encore à certaines gens, il fera même augmenté; car la vanité bleffée ne m'en impofe point: mais je corrigerai mes erreurs autant de fois que je les appercevrai.

Je change auffi la traduction du passage de Plutarque: mais le terme peintres de portraits, qui ne vous paroît pas avoir été employé par un Grec, exprime pourtant assez bien la pensée de l'auteur. Voici le mot dont il fe fert, (wypúpos, zógraphoi; & les interpretes que je connois l'ont conftamment rendu par » » les peintres qui pourtrayent au vif (a) » ;

(4) Amyor.

les peintres qui font des portraits ( a ) » ; pictores facie & vultu (b); pictores ex facie & vultu (c). J'ai mis dans ma correction, Les peintres qui font des portraits. Seroit-il croyable que Plutarque ait foupçonné les grands peintres d'hiftoire de négliger dans leurs tableaux ce qui n'étoit pas les têtes?

Permettez-moi, monfieur, de vous représenter que lorfque M. Winckelmann m'a prêté le fentiment que je montre touchant la Niobé, je ne l'avois pas encore montré, puifque je ne difois pas un mot de cette figure: je ne parlois que des filles. M. Winckelmann ne pouvant pas deviner ce que je penferois & ce que je dirois de la mere plus de dix années après, j'ai eu quelque droit de lui reprocher fon infidélité.

Je fuis fâché que cet honnête homme, vous ayant écrit mille éloges de M. Watelet en particulier, l'ait enfuite dénigré dans un écrit public: cela ne me paroît pas bien conféquent. Mais c'eft un malheur de l'humanité : une mouche nous pique, nous donnons un foufflet à celui que nous venions de careffer.

Je ne chercherai pas affurément, monfieur, à yous démontrer que la médifance eft honnête: mais chacun fait, ou doit favoir que la critique, lorfqu'elle eft jufte, peut devenir profitable, & je ne

(a) Dacier. (b) Xylander. (c) L'édition de Londres.

« AnteriorContinuar »