Imágenes de páginas
PDF
EPUB

»fes lumieres. A cet égard, le sculpteur eft plus

[ocr errors]

créateur que le peintre; mais cette vanité n'est » fatisfaite qu'aux dépens de beaucoup de réflexions » & de fatigues» (a).

Quand un sculpteur a furmonté ces difficultés, les artistes & les vrais connoiffeurs lui en favent gré fans doute; mais combien de personnes, même de celles à qui nos arts plaisent, qui, ne connoiffant pas la difficulté, ne connoîtroient pas le prix de l'avoir fur

montée !

Le nud eft le principal objet de l'étude du fculpteur. Les fondements de cette étude font la connoiffance des os, de l'anatomie extérieure, & l'imitation affidue de toutes les parties & de tous les mouvements du corps humain. L'école de Paris & celle de Rome exigent cet exercice, & facilitent aux éleves cette connoiffance néceffaire. Mais comme le naturel peut avoir fes défauts; que le jeune éleve, à force de les voir & de les copier, doit naturellement les tranfmettre dans fes ouvrages, il lui faut un guide fûr lui faire connoître les juftes proportions & les belles formes.

pour

Les ftatues grecques font le guide le plus fûr; elles font & feront toujours la regle de la précision, de la grace & de la nobleffe, comme étant la plus

(a) Extrait du Mercure de France du mois d'avril 1759.

parfaite représentation du corps humain. Si l'on s'en tient à un examen fuperficiel, ces ftatues ne paroîtront pas extraordinaires, ni même difficiles à imiter; mais l'artiste intelligent & attentif découvrira dans quelques unes les plus profondes connoiffances du deffein & toute l'énergie du naturel. Auffi les fculpteurs qui ont le plus étudié & avec choix les figures antiques, ont-ils été les plus distingués. Je dis avec choix, & je crois cette remarque fondée.

'Quelque belles que foient les ftatues antiques, elles font des productions humaines, par conféquent fufceptibles des foibleffes de l'humanité: il feroit donc dangereux pour l'artiste d'accorder indiftinctement fon admiration à tout ce qui s'appelle antiquité. I arriveroit qu'après avoir admiré dans certaines antiques de prétendues merveilles qui n'y font point, il feroit des efforts pour fe les approprier, & ne feroit point admiré. Il faut qu'un difcernement éclairé, judicieux & fans préjugés, lui faffe connoître les beautés & les défauts des anciens, & que, les ayant appréciés, il marche fur leurs traces avec d'autant plus de confiance, qu'alors elles le conduiront toujours au grand. C'est dans ce discernement judicieux que paroît la jufteffe de l'efprit; & les talents du fculpteur font toujours en proportion de cette jufteffe. Une connoiffance médiocre de nos arts fuffit pour voir que les artistes grecs avoient auffi leurs inftants de fommeil & de froideur. Le même goût

1

régnoit, mais le favoir n'étoit pas le même chez tous les artistes; l'éleve d'un fculpteur excellent pouvoit avoir la maniere de fon maître fans en avoir la tête.

[ocr errors]

De toutes les figures antiques, les plus propres donner les grands principes du nud font le GladiaLeur, l'Apollon, le Laocoon, l'Hercule Farnefe, le Torfe, l'Antinous, le grouppe de Caftor & Pollux, l'Hermaphrodite, la Vénus de Médicis. Je crois retrouver la trace de ces chef-d'œuvres dans les ouvrages de quelques uns des plus grands fculpteurs modernes. Dans Michel-Ange on voit une étude profonde du Laocoon, de l'Hercule & du Torfe. Peut-on douter, en voyant les ouvrages de François Flamand, qu'il n'ait beaucoup étudié le Gladiateur, l' Apollon, l'Antinous, Caftor & Pollux, la Vénus & l'Hermaphrodite? Le Puget a étudié le Laocoon fans doute & d'autres antiques; mais fon principal maître fut le naturel, dont il voyoit continuellement les refforts & les mouvements dans les forçats à Marseille: tant l'habitude de voir des objets plus ou moins relatifs au vrai fyftême des arts, peut former le goût ou en arrêter les progrès. Nous qui ne voyons que des ajuftements inventés à contre-fens des beautés du humain, que d'efforts ne devons-nous pas faire pour déranger le mafque, voir & connoître la nature, & n'exprimer dans nos ouvrages que ce beau indépendant de quelque mode que ce foit! C'est aux grands artiftes à qui toute la nature eft ouverte, à donner

corps

les loix du goût (a): ils n'en doivent recevoir aucune des caprices & des bizarreries de la mode.

Je ne dois pas oublier ici une obfervation importante au sujet des anciens; elle eft effentielle fur la maniere dont leurs fculpteurs traitoient les chairs, Ils étoient fi peu affectés des détails, que fouvent ils négligeoient les plis & les mouvements de la peau dans les endroits où elle s'étend & se replie felon le mouvement des membres. Cette partie de la fculpture a peut-être été portée de nos jours à un plus haut degré de perfection. Un exemple décidera si cette obfervation eft hasardée: il fera pris dans les ouvrages du Puget.

Dans quelle fculpture grecque trouve-t-on le sentiment des plis de la peau, de la mollesse des chairs & de la fluidité du fang, auffi fupérieurement rendu que dans les productions de ce célebre moderne? Qui eft-ce qui ne voit pas circuler le fang dans les veines du Milon de Versailles? Et quel homme senfible ne feroit pas tenté de fe méprendre en voyant les chairs de l'Andromede (b), tandis qu'on peut

(a) On voit bien que grands artiftes ne fignifie pas ici les, peintres & les fculpteurs feulement, & qu'il s'entend des grands maîtres dans tous les arts. Le chantre fublime de la colere d'Achille étoit un grand artifte.

[ocr errors]

(b) Ceux qui voient ce grouppe favent qu'il est composć de trois figures, Andromede, Perfée, & un petit amour qui

citer beaucoup de belles figures antiques où ces vérités ne fe trouvent pas? Ce feroit donc une forte d'ingratitude, fi, reconnoiffant à tant d'autres titres la fublimité des sculptures grecques, nous refusions nos hommages à un mérite qui fe trouve conftamment fupérieur dans les ouvrages d'un artiste françois.

La honteuse manie de relever les défauts des plus beaux ouvrages n'eft point l'objet de cette obfervation. L'artiste qui ne fentiroit pas de combien les beautés l'emportent fur les négligences & les défauts dans les monuments précieux de l'antiquité, feroit ou égaré par ce défordre effréné, enfant du délire, ou arrêté par cette exactitude que la médiocrité calcule à l'infu du génie ( a ).

Nous avons vu que c'eft l'imitation des objets naturels, foumis aux principes des anciens, qui conftitue les vraies beautés de la fculpture. Mais l'étude la plus profonde des figures antiques, la connoif

l'aide à détacher la fille de Caffiope. J'ignore où M. de Hagedorn a vu que le héros eft entouré d'amours ; & je croirai longtemps qu'il faut connoître, autrement que par des livres & des oui-dire, les productions des beaux arts, fi l'on veut en parler à-peu-près jufte. Voyez Réflexions fur la peinture, tome 1, page 113.

(a) Le lecteur pourra voir que c'eft ici le paffage honnête & jufte qu'il a plu à M. le chevalier de Jaucourt de fupprimer, pour en faire contre moi l'invective ameré dont je me plains dans une de mes notes fur Pline.

fance

« AnteriorContinuar »