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D'UN ANGLOIS.

LORSQU ORSQUE nous louons la peinture des anciens, que nous rendons à ces artistes célebres l'hommage qui leur est dû, ne laiffons pas échapper notre imagination au-delà des bornes raisonnables; n'allons pas trouver dans la peinture antique tout ce que l'Italie nous a fi éminemment développé dans les derniers fiecles. Ayons pour les Grecs l'enthousiasme que doivent nous infpirer les parties où ils ont excellé: mais, ainsi qu'un écrivain anglois ( M. Webb), ne rêvons pas que l'Italie foit en général trop médiocre pour être comparée à la Grece.

On dit unanimement que le livre original de M. Webb (a) eft très bien écrit ; la traduction françoife eft auffi d'un style aifé, qu'on lit avec plaisir: ainfi l'effet de cet ouvrage eft, comme de tous ceux

(a) La publication des lettres de Winckelmann a fait connoître que le prétendu ouvrage de M. Webb n'eft qu'un plagiat d'un des ouvrages du chevalier Mengs dont cet artiste lui avoit prêté le manufcrit. L'amateur, le connoiffeur, s'eft fait, pour quelque temps, une certaine réputation en dérobant les idées de l'artiste. Depuis que le livre de Mengs eft imprimé, & traduit en françois, j'ai reconnu par moi-même l'impudence & le brigandage du pirate, & j'ai vu que j'avois quelquefois répondu au peintre, en croyant ne parler qu'à l'amateur.

de fon efpece, de plaire au lecteur qui n'en fait pas davantage; & quand il a tout lu, il croit, avec l'auteur, planer dans la lumiere, quoiqu'il réfide encore dans les ténebres. Effayons donc un petit examen de ce livre.

Je ne citerai pas les pages; l'écrit eft peu volumineux : j'exposerai l'objet de l'auteur & fes lumieres dans l'art, en le comparant avec lui-même; j'obferverai quelques paffages en particulier; je ne répondrai pas à tout, parceque j'y avois répondu fans connoître l'ouvrage. Ce livre a un fond de phyfionomie commun à beaucoup d'autres que nous connoiffons fur cette matiere. On apperçoit auffi, en le lifant, le piege où s'est laiffé prendre le gros des lecteurs de Pline.

M. Webb a divifé fon ouvrage en presque autant de parties que la peinture en contient; favoir, 'le deffein, le coloris, le clair-obfcur, & la composition. Résumons la premiere partie. Les anciens statuaires, dit-il, ont fupérieurement deffiné, témoin l'Apollon & les figures coloffales de MonteCavallo témoin encore l'Apollon & la fille de Niobé. (Laquelle?) -Raphaël a merveilleufement imité l'antique. Raphaël ne s'eit point moulé fur les belles antiques; on ne trouve point en lui leur élégance de proportion & le jeu libre de leurs articulations. Voulez-vous voir Raphaël dans fon vrai point de vue, étudiez-le dans l'âge moyen, dans les

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vieillards, dans la nature nerveuse. -Les vieillards de Raphaël, & fes hommes de l'âge moyen, ont des traits trop fortement prononcés; & particulièrement ceux des levres & des fourcils font exagérés. -Les attitudes du Guide font forcées. (J'aimerois autant dire que celles du Tintoret font fimples.) -Le plus grand mérite des modernes confifte dans une imitation fervile de l'antique; dès qu'ils le perdent de vue, c'en eft fait d'eux. -Dans l'élégant ils font petits, dans le grand ils font chargés, ils manquent de caractere; & la beauté chez eux eft le produit de la mesure, & non le fruit de l'imagination. Si, prenant l'exagération pour l'enthoufiafme, ils vifent au fublime, ils tombent dans les concetti du Bernin, ou dans les caricatures de Michel-Ange. Voilà le précis de l'article Deffein dans le livre de M. Webb.

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Je demande aux artiftes éclairés & à tous ceux qui connoiffent les grands talents des modernes en Italie, fi, quand on fe contredit & qu'on fe méprend avec tant d'affurance, on doit dire dans fa préface: La peinture eft un art qui, de tous, eft peut'être le plus aifé à entendre; & fi l'on eft fondé à croire qu'on l'entend affez bien foi-même, pour enfeigner aux autres à l'entendre. M. Webb a fans doute cru plaire à fa nation, en ne difant pas un mot des grands artistes françois. Mais rendons plus de juftice aux Anglois; je fuis perfuadé que leurs

bons artiftes & leurs vrais connoiffeurs eftiment les Puget, les Le Sueur, les Jouvenet, les Girardon, les Le Brun, & peut-être d'autres encore que je pourrois nommer. Pour le mauvais goût, qui par fois a terni notre école, la partie faine de notre nation est la premiere à le méprifer. Voyons le coloris.

Après s'être fort étendu fur la néceffité du coloris, M. Webb, à qui tout ce que les anciens ont écrit fur l'art eft connu, ne trouve pourtant chez eux que le feul Apelles qui fût un très grand colorifte. Quand il defcend aux modernes, il donne à la vérité des éloges au Titien, & à d'autres peintres de l'école vénitienne; mais c'eft pour dire que leur mérite dans le coloris n'eft que la partie méchanique de l'art. Il fembleroit pourtant que le coloris d'Apelles, que M. Webb exalte avec tant d'enthoufiasme, n'étoit pas une partie plus diftinguée dans l'art que le coloris du Titien. Cependant notre auteur trouve dans d'autres encore qu'Apelles & le Titien, des coloriftes dont les tableaux font faits avec un art fi furprenant, qui obfervent fi exactement les jours & les ombres, que, par un mélange heureux des différentes couleurs, ils rendent la nature. Son garant eft Antoine de Solis, & ces peintres font les Mexicains, lefquels avec le plumage des oifeaux. rares qui fe trouvent dans leurs contrées, font ces ouvrages curieux. Vous ne vous feriez pas attendu

qu'à propos des Apelles & des Titien on vous eût présenté ces curieux plumages, ni qu'on voulût vous prouver que les grands coloriftes italiens pourroient bien être égalés par les peintres du Mexique. Mais apprenez du moins que l'Italie moderne & colorifte eft peu de chofe en comparaifon d'Apelles, dont ni vous ni M. Webb n'avez jamais vu & ne verrez jamais le coloris ( a ). Voyons le clair-obfcur.

Si, pour parvenir à la connoiffance de tout art & de toute fcience, on convient qu'il faut en connoître les principes, on ne fera pas fâché de trouver ici le premier principe du clair-obfcur, Lorfqu'un peintre veut donner du relief à quelque partie d'une figure, comme à la gorge d'une femme, par exemple, il jette les extrémités dans l'ombre: alors ces parties s'éloignent de l'œil, & les parties intermédiaires acquierent par là une jufte rondeur. C'est dans cette loi toute fimple que confifte toute la magie du clair-obfcur. On fera bien aife d'apprendre auffi

(a) De Solis, Cortez, & les anciens hiftoriens espagnols des Indes, affurent que les plus habiles artistes de l'Europe n'ont jamais travaillé avec plus de goût & de propreté que les Mexicains. Ces Espagnols, qui n'avoient pas beaucoup vu de peinture, devoient en être fort ignorants, & prendre pour merveilleux ce qui, felon M. Robertson, Hiftoire de l'Amérique, livre 7, n'étoit que méprifable. Il n'y a, dit-il, point d'enfant qui n'en fit autant.

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