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moins abfurde trouvoit place à Madrid en 1781 dans le fenforium de don Jofeph Nicolas de Azara, fier cavallero, qui joint à tous les titres honorifiques qu'il feroit trop long de transcrire, la qualité d'éditeur des œuvres de Mengs. Ce chevalier, connoiffeur comme M. Linguet, &, comme lui, juge irréfragable de ce qu'il n'a pas vu, s'eft imaginé que, dans le monument de St-Pétersbourg, Pierre le Grand eft représenté avec le ferpent de l'envie à la queue du cheval & une montagne élevée devant le héros: Con la ferpiente de la Invidia a la cola, y una montana de lante. Dieu permet qu'il entre quelquefois de bien fingulieres idées dans la tête des journalistes & des cavaliers. Il eft inutile d'avertir les lecteurs plus intelligents & moins paffionnés que le cavalier & le journaliste, que je n'ai point mafqué mon héros par une montagne, que le ferpent eft fous le pied & non pas à la queue du cheval, & qu'enfin la base de ma ftatue offre une pente douce & n'est pas hériffée de petits précipices.

Mais il fera peut-être vrai du moins que, dans la ftatue de Pierre I, j'ai trop affocié fon cheval au fuccès de fes efforts. Cette affociation eft-elle donc contraire à la poéfie, fœur de nos arts? Le journalifte n'a-t-il donc pas été frappé de ce passage fi touchant d'Homere qui nous repréfente les courfiers d'Achille pleurant la mort de Patrocle & portant l'attendriffement dans le cœur même du fouverain

des dieux? (Hom. Iliad. l. 17, v. 436 & fuiv.) A-t-il donc oublié ces beaux vers de Racine?

Ses fuperbes courfiers qu'on voyoit, autrefois
Pleins d'une ardeur fi noble obéir à sa voix,
L'œil morne maintenant, & la tête baiffée,
Sembloient le conformer à fa trifte penfée.

N'eft-elle pas appuyée, cette affociation, fur des témoignages hiftoriques? On en pourra trouver plufieurs dans le chap. 42 du liv. 8 de Pline. Le cheval de Nicomede, après la mort de fon maître, fe laifle mourir de faim & de douleur. Le cheval d'un Galate, pris & monté par Antiochus, entend les cris de joie du vainqueur, &, dans fa fureur il fe précipite avec fon cavalier du haut d'une roche, &c.

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Enfin eft-elle contraire à la nature? Tous les voyageurs & M. de Buffon, hist. nat. t. 3, p. 381, nous apprennent que, chez les Calmuques, il femble que les chevaux n'aient qu'un même efprit avec ceux qui les manient. On en dit autant des chevaux des Arabes.

Mais continuons d'écouter les reproches de M. Linguet. L'ambition de fondre une ftatue colossale. d'un feul jet avec le cheval, m'a forcé, dit-il, d'en revenir au procédé sûr que des artistes plus vulgaires Juivent fans orgueil. Voilà que ce juge, qui connoît fi bien nos arts & leurs procédés, ignore que, depuis plus d'un fiecle, toutes les ftatues équestres & co

loffalés fondues en Europe font d'un feul jet, & qui ignore les raifons qui ont fait préférer cette méthode plus laborieufe au procédé de l'art renaiffant. Avec quelle pitié l'auroient écouté les artiftes italiens, qui, pour la plupart, étoient en même temps architectes, peintres, fculpteurs & fondeurs! Mais laiffons-le continuer.

Si je n'avois pas eu la gloire, ajoute-t-il, de paroître étendre les bornes de mon art, je n'aurois n'aurois pas eu la honte auffi de me voir forcé réellement de reculer.

Si l'on a dû fe déterminer à fondre d'un feul jet les ftatues même coloffales, on n'a pu empêcher qu'une fi grande opération ne fût quelquefois accompagnée d'accidents. Les Kellers, célebres fondeurs de profeffion, réuffirent fort mal à la statue équeftre de Louis XIV. Celle de Bordeaux manqua jufqu'à la moitié, & l'on rejoignit la partie fupérieure précifément par le même procédé que j'ai employé pour

la mienne.

3 Il n'y paroîtra prefque pas, dit le folliculaire: quolibet qui lui a paru fort plaifant, & qui est un nouveau témoignage de fon ignorance fur les reffources de l'art. Je puis lui répondre qu'il n'y paroît pas du Tout ni à ma ftatue ni à celle de Bordeaux, & que les artistes auteurs de ces deux ouvrages, ni les ouvriers qui les ont fecondés, ne pourroient marquer que par un effort de mémoire les endroits où fe trouvent les points de jonction. Ce feroit encore une

autre ignorance de croire que cette double opération puisse nuire à la solidité de l'ouvrage.

Les ftatues pédeftres ne font pas elles-mêmes tou jours exemptes d'accident, puifque M. Meyers, très habile fondeur fuédois, manqua fans reffource la ftatue de Guftave Vafa. Je pourrois citer d'autres exemples (a): mais paffons. Je fais une chofe honnête, rifquable par fa nature, toujours pénible: il arrive un accident; je redouble de foins pour le réparer; j'y réuffis, ce qu'en aucune langue on n'appelle reculer: & un journaliste me parle de honte ! Si quelqu'un l'a engagé à barbouiller le honteux article dont il s'agit, à qui, bon dieu! prête-t-il fa plume?

Mais ce qui fur-tout choque le journaliste c'est le choix d'un rocher naturel pour fervir de bafe à la ftatue de Pierre I"; c'eft le transport de ce rocher. Il s'égaye fur cet effort des Titans ruffes, lui qui, puiffant enchanteur, a la force de transporter avec fa plume le mont Athos dans la Syrie; lui qui fe fait un jeu d'épuifer le Daiefter pour en faire

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(4) Daniel de Volterre eut un pareil accident: Ma, dic Vafari, non dimeno confiderato il tutto, trovò la via di remediare a tanto inconveniente. E cof.... gettando la feconda volta, prevalfe la fua virtù a gli impedimenti della fortuna. Ce langage eft un peu différent de celui du journaliste. C'est que Vafari étoit artifte, qu'il parloit de ce qu'il favoit, & qu'il sen parloit de bonne foi

couler

Couler les eaux dans le lit du Boryfthene; lui qui n'a qu'à tracer une ligne magique pour transformer en fleuve une forteresse ! ( a )

Mais eft-ce bien à moi qu'il s'adresse, à moi, qui n'ai eu aucune part ni au choix du rocher, ni au transport, ni à la dépense? J'avois cru que la base de ma ftatue feroit conftruite de pierres de rapport bien appareillées ; & les modeles que j'avois faits de toutes les coupes font reftés affez long-temps dans mon attelier, pour attefter qu'une pierre d'un feul bloc étoit loin de ma pensée. Mais on me la propofa, j'admirai, & je dis : Apportez, la base n'en fera que plus durable. Il ne me vint point du tout à l'idée de répondre que le prétendu rocher, quelque prodigieux. qu'il fût, n'étoit cependant qu'un amas de pierres. Et à préfent même que le journaliste a daigné m'inftruire, je ne crois pas encore qu'une roche formée par la nature ne foit pas plus folide qu'une multitude de pierres imparfaitement rassemblées par Tart (b).

(a) M. Linguet place le mont Athos dans la Syrie, & il est en Europe dans une des prefqu'ifles de la Macédoine; il prend le fort Pauxis pour une riviere, & fait naviguer M. de la Condamine fur ce fort; il prend le Dniefter pour le Dniéper ou Bo- ryfthene ; il place la Tamife à Douvres, &c. &c. &c.

(b) Un écrivain plus décifif que M. Linguet prétend que, pour mettre des pierres les unes fur les autres, il ne faut avoir Tome 111.

A a

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