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LE travail de Pline, avec ses défectuosités, est encore précieux, en ce qu'il nous tranfmet des ufages & des faits qu'on ne rencontre pas ailleurs : mais il eft incomplet à quantité d'égards. Ce laborieux compilateur parle du transport des grands obélifques, & le décrit avec quelques détails; mais, quoiqu'il fe foit beaucoup occupé de ftatues & de bronze, il nous a laiffés dans l'ignorance du procédé des anciens ftatuaires, & de la manière précise dont ils exécu toient leurs fontes. Ils y étoient fort habiles, & je doute que nous les furpaffions dans une partie qui demanderoit plus de connoiffances & de combinaifons qu'on ne doit en attendre du commun des fondeurs à qui nous confions nos ouvrages.

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M. de Boffrand dit que les anciens, veteres, après avoir fait le modele, l'écorchoient & en ôtoient l'épaiffeur qu'ils vouloient donner au bronze, qu'enfuite ils remettoient en cire, & travailloient cette épaiffeur. Par le mot anciens, nous ne pouvons favoir ce qu'a entendu M. de Boffrand. Sont-ce les anciens Grecs? J'ignore dans lefquels de leurs écrits on trouve ce procédé bizarre. Si par veteres il faut. entendre les ftatuaires des quatorze, quinze & feizieme fiecles, l'expreffion n'eft pas exacte, & priores ou majores euffent été, je crois, plus convenables.

Je trouve, dans les annotations de Vigenere fur Calliftrate, qu'après avoir fini la figure en perfection,

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on doit y appliquer une chemise de cire, de la groffeur d'un doigt ou un peu moins. Le favant Blaise de Vigenere, qui n'épargne pas ordinairement les autorités & les citations grecques & latines & latines pour appuyer ce qu'il dit, n'en produit aucune à ce fujet. Vafari dit à peu près la même chofe que Vigenere, & ne s'appuie non plus d'aucune autorité. Ainsi je penfe que, par les anciens, M. de Boffrand a voulu dire les ftatuaires qui nous ont précédés vers le temps de la renaiffance des arts en Italie. Mais eft-il croyable qu'après avoir étudié, fini un modele, on l'écorche pour y plaquer enfuite une épaiffeur de cire? Ne feroit-il pas plus vraisemblable que Vafari, Vigenere & M. de Boffrand, étoient mal informés?

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Si nous lifons, dans un écrit imprimé en 1751, que le grand modele & le moule d'une ftatue équef tre coloffale doivent être faits dans la foffe où l'ou vrage fera fondu; fi nous y lifons auffi que le fourneau se construit lorfque tout eft difpofé pour fonte dans la foffe; fi, dans une defcription imprimée en 1768, on lit qu'auffitôt après l'écoulement des cires on va boucher dans la foffe les orifices intérieurs du moule, d'où partoient les tuyaux de cuivre par où les cires s'écouloient (je fupprime la réponse à ces trois inftructions): pourquoi Vafari, Vigenere & Boffrand, n'auroient-ils pas auffi donné dans quelques erreurs? Il ne faut qu'un premier, les

autres le copient, & fouvent l'eftropient en ne croyant que le copier.

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C'est auffi du feizieme fiecle qu'il faut dater la méthode de fondre les grandes ftatues par le bas. Fra Gulielmo della Porta fut, dit Vafari, le premier qui, par de judicieuses obfervations, imagina ce moyen pour la ftatue de Paul III. Dubitando per grandezza del getto, che il metallo non raffreddaffe, onde ella non riufciffe, meffe il metallo nel bagno da baffo, per venire a beverande di fotto in foprà, e, con quefto modo inufitato, venne quel getto benissimo, è netto come era la cera. Onde la fteffa pelle, che venne dal fuoco, non hebbe punto bifogno l'effer rinetta, come in effa ftatua può vederfi. (Vafari, vita di Leone Leoni.) Qui peut affurer que cet artiste n'ait pas vu quelque fragment de bronze antique où des restes de jets encore adhérents lui auront fait connoître, par le fens dont ils étoient pofés, que les ftatuaires grecs ou romains fondoient leurs ftatues par le bas? Il fe peut auffi qu'il en foit l'inventeur; car les modernes ne doivent pas tout aux anciens. Nous pouvons donc remonter pour ce procédé jufqu'à deux cents ans, & nos recherches au-delà feroient vaines.

M. Patte, auteur des Monuments érigés en France à la gloire de Louis XV, n'avoit pas lu cet endroit de Vafari, lorfqu'il affuroit, page 33, qu'on doit cette invention au fondeur Goor. On fe fouviendra,

dit-il, à jamais, que le monument érigé au roi par la ville de Paris eft l'époque de la perfection de cet art. M. Patte ignoroit auffi que le monument de Rennes, fait par M. le Moyne, & pofé en 1754, étoit fondu felon cette méthode, avant que celui de Paris le fût en 1758. Si l'on vouloit une époque de nos jours, c'étoit la fonte de 1754 qu'il falloit citer. M. Patte, qui a daigné louer mes foibles talents, voudra bien me pardonner ce petit errata que me fuggere l'amour de la vérité; il n'exclut point ma reconnoiffance.

Quoi qu'il en foit, nous favons fondre, & fort épais, des morceaux de quinze à vingt pieds de hauteur. C'est peut-être en favoir affez, puifque nous ne hafardons pas des ftatues de cent dix ou cent vingt pieds, comme celle que fondit Zénodore. Etoitelle d'un feul jet, ou fondue par affife? nous n'en favons rien. Pline auroit dû nous dire fi la ftatue de cent dix pieds étoit ou non de pieces de rapport: il en avoit vu les modeles grands & petits chez le ftatuaire Zénodore.

Pline ayant ignoré comment fe faifoient de pareilles fontes, ou n'ayant pas jugé à propos d'en parler, je hafarderai l'idée que je me fais de cette opération. Si je m'en occupe un inftant, c'eft pour tranquillifer ceux qui ne conçoivent pas comment on pouvoit fondre des colosses de plus de cent pieds de hauteur, & qui croient que les anciens n'étoient pas affez inftruits dans l'art de la fonte pour jetter

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des machines confidérables (a). Je fuppofe que mont lecteur fait ce que c'eft qu'une fonte, & je ne prétends rien enfeigner aux ftatuaires.

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Quand le modele d'une ftatue qui doit être en bronze eft fait, on place au bas un fort chassis de charpente, qui fert à porter le moule de plâtre; il fert également à le remonter fur la place où doit être fondue la ftatue, Si par derriere le modele, que je suppose de cent pieds, on éleve d'à plomb ce même chaffis, que le moule s'y joigne dans toute fa hauteur, & qu'enfuite il foit remonté fur le chaffis pofé horizontalement, la hauteur du moule ainfi difpofé ne fera plus que de vingt-cinq ou trente pieds, felon fon épaiffeur (je suppose une figure pédeftre), & la longueur fera de plus de cent pieds, en y comprenant l'épaiffeur du moule. Comment faire parcourir le bronze dans cette étendue? La difficulté ne feroit pas infurmontable: on.conftruiroit deux fourneaux, trois s'il le falloit; le métal au même degré de fufion, les fourneaux partiroient enfemble, & la ftatue feroit tout auffi bien fondue que fi elle n'avoit que vingt-cinq ou trente pieds de hauteur. Pouvons-nous répondre que les anciens, qui faifoient tant de ftatues en bronze, ne furent pas quelquefois fondre ainfi leurs ftatues pédestres? fort finguliere,

l'idée n'eft

pas

(a) Effai fur la fculpture, par M. Dandré Bardon, pag. 97.

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