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en confcience tout ce qu'on en pouvoit faire de mieux pour l'honneur de la Grece, à qui nous devons tant de chef-d'œuvres & tant de fottifes.

J'ai trouvé de prétendus connoiffeurs qui, fe voyant ferrés de près fur le défaut des détails dans quelques médiocres ftatues antiques, croyoient se tirer d'affaire en difant que les anciens fculpteurs n'ont fouvent négligé les détails, & ne se font tenus aux formes générales, que pour donner plus de grandeur à leur travail. Sans doute qu'en tout genre, même dans les productions médiocres, le grand ftyle l'emporte fur le ftyle mefquin : mais il ne s'agit pas de faire l'apologie des ouvrages foibles; & les connoiffeurs dont je parle ne ne font pas attention que découpeurs de filhouetes s'en tiennent auffi aux formes générales, tandis que le fublime Apollon, le Laocoon, le Gladiateur, & l'Hercule qui eft coloffal, réuniffent à de' grandes formes les détails les plus convenables & les plus recherchés : tout y eft, mais enveloppé dans le plus bel enfemble.Voilà la nature; voilà le fublime de la fculpture.

les

Si vous aviez étudié les détails de votre ouvrage,

& que votre étude ne fût pas fentie par certains fpectateurs, vous feriez porté à en faire faire la comparaifon avec les mauvais détails d'un ouvrage antique & admiré qui fe trouveroit tout auprès du vôtre; justice permife, & qu'on fe doit, ne fût-ce que pour inftruire fes juges. Eh bien, favez-vous ce que vous

-

répond un arrivant d'Italie ? Il commence par être étourdi de la comparaison; puis en se rappellant ces quatre mots de fon Credo ultramontain, l'antique nè peut avoir tort, il vous dit qu'à Rome, au Capitole, tous les détails du Marc-Aurele difparoiffent. - Eh! s'ils difparoiffent, pourquoi les avoir faits? Et fi le ftatuaire a jugé à propos de s'en donner la peine, quoiqu'ils duffent ainfi difparoître, pourquoi les at-il faits mauvais? Glycon a donc bien perdu fon temps en nous laiffant de fi beaux détails dans fon Hercule, ftatue plus coloffale que celle de l'empereur.

Voilà comme le défaut de principes & la préoccupation font raifonner les gens. Si vous négligez les détails, on vous dit, Les belles ftatues antiques ne préfentent aucunes négligences; fi vous en remarquez dans de foibles productions des anciens, Cela, vous dit-on, eft perdu par la distance.

Le meûnier repartit:

Qu'on dife quelque chofe, ou qu'on ne dife rien
J'en veux faire à ma tête. Il le fit, & fit bien ( a ),

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(a) J'ai quelquefois le plaifir fi doux pour l'homme qui produit, de voir vis-à-vis de mon ouvrage des gens fenfibles & honnêtes. Ils m'ont fouvent inftruit, & m'ont bien dédommagé des autres. Si ces hommes me font utiles, s'ils méritent ma reconnoissance, imaginez combien l'attention de l'impératrice m'eft précieuse. J'ignore le vil & dangereux talent de flat

M. d'Alembert, après avoir donné la définition de la mufique, ajoute: Tout ce qu'on en doit conclure, c'est qu'après avoir fait un art d'apprendre la mufique, on devroit bien en faire un de l'écouter. (Difcours préliminaire de l'Encyclopédie, page 12.) Ce fouhait, que l'on pourra faire encore long-temps, est applicable à tous les beaux arts, particulièrement à la peinture, à l'architecture, à la sculpture, &c. Nous faifons des tableaux, des statues, des édifices, mais nous n'avons pas encore fait l'art de les voir. Un fort brave homme qui a grande envie de se connoître en peinture & en fculpture, avoit chanté la ftatue de Marc-Aurele fur parole, comme la plupart de ceux qui la chantent. Il la vit chez moi, &

ter les fouverains, mais je vous jure que S. M. I. a contribué au bien de mon ouvrage autant que qui que ce foit.

Mon modele eft fini : (j'écris ceci en avril 1770: la statue a été commencée le premier février 1768.) Je l'ai entièrement rébauchée & finie feul en dix-huit mois, malgré les jours d'hiver qui n'ont pas quatre heures de travail. J'excepte la tête du héros, que je n'ai point faite: ce portrait hardi, colossal, expreffif, & touché de caractere, eft de mademoiselle Collot, mon éleve (aujourd'hui ma bru ). Puiffé-je avoir fait un monument digne de la fouveraine qui le confacre, & du grand homme qu'il représente; qui plaise à la partie de la nation qui a le goût des beaux arts, de la fenfibilité & de l'élévation ; qui ne déshonore ni l'art ni mon pays, & enfin qui me faffe dire avec Horace, Non omnis moriar!

la jugea comme chacun l'y juge. Mais il fut un peu fâché d'avoir eu tort, parceque cela fâche toujours un peu. Vous n'imagineriez pas de quelle maniere il fe replia fur lui-même quelque temps après, & comment une légèreté le conduifoit à quelque chofe de pire. Je vais vous le conter.

Toutes vos ftatues antiques, difoit-il, vos Apollons, vos Vénus de Médicis, vos Gladiateurs, ne me touchent pas autant qu'une figure qui repréfenteroit les hommes comme ils font. Tous les hommes ont des défauts; &, felon moi, ces ftatues-là en ont un que je ne faurois leur paffer, c'eft celui de n'en point avoir. Ainsi, à égalité d'expreffion, je préférerai la statue dont les bras, les jambes, ou d'autres parties feront incorrectes, à cette grande régularité. Il me nomma d'illuftres perfonnages, à commencer par Alexandre, dont la ftature étoit défectueufe à quelques égards. Il répéta plufieurs fois qu'une figure incorrecte, à égalité d'expreffion, lui plairoit davantage que toutes ces belles proportions grecques dont on rencontre si peu d'exemples parmi les beautés avec qui on a l'honneur de vivre. Il s'extafia fur les "femmes nues de Rubens, qui plaifent tant avec leurs incorrections. Il oublioit que le charme de la palette fait tout paffer chez ce magicien, & que le fculpteur n'a point de palette (a).

(a) Le peintre facrifie quelquefois la belle forme & la juf

Mon appréciateur ne faifoit que répéter une vifion du chancelier Bacon (a), que peut-être il avoit lue dans les ouvrages de cet homme célebre, ou dans les écrits de ceux qui ont adopté & commenté fon idée : il juroit in verba magiftri, & avoit fi peu d'idée du beau abfolu, ou plutôt du beau relatif & de réunion (b), le feul que nous connoiffions, qu'il ne foup

teffe d'un contour, foit pour étendre une lumiere ou une ombre, ou lorfqu'il eft emporté par les refforts & l'harmonie de fa machine: le fpectateur, ou ne s'en apperçoit pas, ou lui en fait gré. Cependant, plus les peintres ont réuni la beauté du deffein aux autres parties de l'art, plus ils ont été de grands maîtres. Le ftatuaire pourroit auffi prendre la même liberté avec le même avantage dans fes compofitions: mais le jour venant èchanger fur l'ouvrage, il y changeroit auffi une beauté en un défaut fouvent impardonnable; il faut donc que le ftatuaire foit correct & harmonieux dans tous les points de vue, & de, quelque côté que fon ouvrage foit éclairé, excepté pourtant les jours qui font fi défavorables qu'ils empêchent de distinguer les objets.

( a ) » L'idée du peintre qui, pour représenter Vénus, dé» roba fes traits à plufieurs modeles, ne devoit faire qu'une beauté de fantaifie fort imparfaite, parcequ'elle n'imitoit pas le défordre gracieux & l'imperfection même de la nature ». (Analyfe de la philofophie du chancelier Bacon c. 41.)

(b) Le type de ce beau relatif eft confacré, pour la peinture & la sculpture, dans les précieux monuments de l'antiquité, & le naturel qui s'y rapporte eft pour nous le vrai beau.

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