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enfants, que les progrès qu'ils pourroient faire dans les habitudes vertueufes.

Cependant la pratique de l'éducation févère eft trop bien établie, & par les paffages déjà cités, & par les deux traits qui fuivent, pour être regardée comme un fimple confeil. Il eft dit au Deutéronome, xxj. 18. &c. que, s'il fe trouve un fils indocile & mutin, qui, au mépris de fes parents, vive dans l'indépendance & dans la débauche, il doit être lapidé par le peuple, comme un mauvais sujet dont il faut délivrer la terre. On voit d'un autre côté que le grand-prêtre Héli, pour n'avoir pas artété les défordres de fes fils, attira fur lui & fur fa famille les plus terribles punitions du ciel. ( Liv. I. des Rois, ch. ij.)

Il eft donc certain que la molleffe dans l'éducation peut devenir criminelle; qu'il faut par conféquent une forte de vigilance & de févérité, pour contenir les enfants & pour les rendre dociles & laborieux : c'eft un mal, j'en conviens, mais c'eft un mal inévitable. L'expérience confirme en cela les maximes de la fageffe; elle fait voir que les châtiments font quelquefois néceffaires, & qu'en les rejetant tout à fait on ne forme guère que des fujets inutiles

& vicieux.

Quoi qu'il en foit, le meilleur, l'unique tempérament qui fe préfente contre l'inconvénient des punitions, c'eft la facilité de la méthode que je propofe; méthode qui, avec une application médiocre de la part des écoliers, produit toujours un avancement raifonnable, fans beaucoup de rigueur de la part des maîtres. Il s'en faut bien qu'on en puiffe dire autant de la compofition latine : elle fuppofe beaucoup de talent & beaucoup d'application; & c'est la cause malheureuse, mais la caufe néceffaire, de tant de châtiments qu'on inflige aux jeunes latiniftes, & que les maîtres ne pourront jamais fupprimer tant qu'ils demeureront fidèles à cette méthode.

Il eft donc à fouhaiter qu'on change le fyftême des Études; qu'au lieu d'exiger des enfants avec rigueur des compofitions difficiles & rebutantes, inacceffibles au grand nombre, on ne leur demande que des opérations faciles, & en conféquence rarement fuivies des corrections & du dégoût. D'ailleurs la jeuneffe paffe rapidement ; & ce qu'il faut favoir pour entrer dans le monde, eft d'une grande étendue. C'est pour cette raifon qu'il faut faifir au plus vite le bon & l'utile de chaque chofe, & gliffer fur tout le refte; ainfi, le premier âge doit être employé par préférence à faire acquifition des connoiffances les plus néceffaires. Qu'est-ce en effet que l'éducation, fi ce n'eft l'apprentiffage de ce qu'il faut favoir & pratiquer dans le commerce de la vie? or peut-on remplir ce grand objet, en bornant l'inftruction de la Jeuneffe au travail des thêmes & des vers? On fait que tout cela n'eft dans la fuite d'aucun ufage, & que le fruit qui refte de tant d'années d'Etudes, fe réduit à peine à l'intelligence du latin: je dis à peine, & je ne dis pas affez. Il n'eft guère de latinifte qui n'avoue de bonne foi que le talent

qu'il avoit acquis au collège pour composer en profe & en vers, ne lui faifoit point entendre couraminent les livres qu'il n'avoit pas encore étudiés. Chacun, dis-je, avoue qu'après les brillantes compofitions, Horace, Virgile, Ovide, Tite-Live & Tacite, Cicéron & Tribonien, ont fouvent mis en défaut. toute fa latinité. Il falloit donc s'attacher moins à faire des vers inutiles, qu'à bien pénétrer ces auteurs par la lecture & par la traduction; ce qui peut donner tout à la fois ces deux degrés également néceffaires & fuffifants, intelligence facile du latin, éloquence & compofition françoife.

Pour entrer dans le détail d'une inftruction plus utile, plus facile, &plus fuivie, je crois qu'il faut mettre les enfants fort jeunes à l'Abécé: on peut commencer dès l'âge de trois ans ; & pourvu qu'on leur faffe de ce premier exercice un amufement plus tôt qu'un travail, & qu'on leur montre les lettres fuivant les nouvelles dénominations déja connues par plufieurs ouvrages (V.ABÉCÉ, SYLLABAIRE), ils liront enfuite couramment & de bonne heure, tant en françois qu'en latin; on fera bien d'y joindre le grec & le manufcrit. Du refte, trois ou quatre ans feront bien employés à fortifier l'enfant fur toute forte de lecture, & ce fera une grande avance pour la fuite des Etudes, où il importe de lire ailement tout ce qui fe préfente. C'eft un premier fondement prefque toujours négligé ; il en résulte que les progrès enfuite font beaucoup plus lents & plus difficiles. Je voudrois donc mettre beaucoup de foin dans les premiers temps, pour obtenir une lecture aisée & une prononciation forte & diftincte; car c'est là, fi je ne me trompe, l'un des meilleurs fruits de l'éducation. Quoi qu'il en foit, fi l'on donne aux enfants, comme livre de lecture, les rudiments latinsfrançois, ils feront affez au fait à fix ans pour expliquer d'abord le catéchifme hiftorique, puis les colloques familiers, les hiftoires choifies, l'appendix du P. Jouvency, &c.

Le maître aura foin, dans les premiers temps, de rendre fon explication fort littérale; il fera fentir la raifon des cas & les autres variétés de Grammaire, prenant tous les jours quelques phrafes de l'auteur, pour y montrer l'application des règles. On explique de même, à proportion de l'âge & des progrès des enfants, tout ce qui eft relatif à P'Hiftoire & à la Géographie, les expreffions figurées, &c. à quoi on les rend attentifs par diverfes interrogations. Ainfi, la principale occupation des étudiants durant les premières années, doit être d'expliquer des auteurs faciles, avec l'attention fi bien recommandée par M. Pluche, de répéter plufieurs fois la même leçon, tant de latin en françois que de françois en latin après même qu'on a vu un livre d'un bout à l'autre, & non par lambeaux, comme c'eft la coutume, il eft bon de recommencer fur nouveaux frais & de revoir le même auteur en entier. On fent bien qu'il ne faut pas fuivre pour cela l'ufage établi dans les collèges; d'expliquer dans le même jour trois ou

:

quatre auteurs de latinité; ufage qui accommode fans doute le libraire, & peut-être le profeffeur, mais qui nuit véritablement au progrès des enfants, lefqueis, embarraffés & furchargés de livres, n'en étudient aucun comme il faut; outre qu'ils les perdent, les vendent, & les déchirent, & conftituent des parents (quelquefois indigents) en frais pour en avoir d'autres.

Au furplus, je confeille fort, contre l'avis de M. Pluche, d'expliquer d'abord à la lettre, & conféquemment de faire la conftruction; laquelle eft, comme je crois, très-utile, pour ne pas dire indifpenfable à l'égard des commençants. Voyez MÉTHODE & INVERSION.

Quant à l'exercice de la mémoire, je ne demanderois par cœur aux enfants que les prières & le petit catéchifine, avec les déclinaifons & conjugaiions latines & françoifes: mais je leur ferois lire tous les jours, à voix haute & diftinéte, des morceaux choifis de l'Hiftoire, & je les accoutumerois. à répéter fur le champ ce qu'ils auroient compris & retenu; quand ils feroient affez forts, je leur ferois mettre le tout par écrit. Du refte, je les appliquerois de bonne heure à l'écriture, vers l'âge de fix ans au plus tard; & dès qu'ils fauroient un peu manier la plume, je leur ferois copier plufieurs fois tout ce qu'il y a d'irrégulier dans les noms & dans les verbes, des prétèrits & fupins, des mots ifolés, &c. Enfuite à mesure qu'ils acquerroient l'expédition de l'écriture, je leur ferois écrire avec foin la plupart des chofes qu'on leur fait apprendre, comme les maximes choifies, catéchifme, la fyntaxe & la méthode, les vers du P. Buffier pour l'Hiftoire & la Géographie, & enfin les plus beaux endroits des auteurs. Ainfi, j'exigerois d'eux beaucoup d'écriture nette & lifible; mais je ne leur demanderois guère de leçons, perfuadé qu'elles font prefque inutiles, & qu'elles ne laiffent rien de bien durable dans la mémoire.

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Par cette pratique habituelle, & continuée fans interruption pendant toutes les Études, on s'aflûreroit aisément du travail des écoliers, qui reculent prefque toujours pour apprendre par cœur, & dont on ne fauroit empécher ni découvrir la négligence à cet égard, à moins qu'on ne mette à cela un temps confidérable, qu'on peut employer plus utilement. D'ailleurs, bien que l'écriture exige autant d'application que l'exercice de la mémoire, elle eft néanmoins plus fatisfaifante & plus à la portée de tous les fujets; elle eft en même temps plus utile dans le commerce de la vie, & furtout elle fuppofe la réfidence & l'affiduïté: en un mot, elle fixe le corps & l'efprit, & donne infenfiblement le goût des livres & du cabinet; au lieu que le travail des lecons ne donne le plus fouvent que de l'ennui.

Outre L'explication des bons auteurs & la répétition du texte latin, faite, comme on l'a dit, fur l'explication françoife, on occupera nos jeunes latiniftes à traduire de la profe & des vers; mais

en

au lieu de prendre, fuivant la coutume, des morceaux détachés de l'explication journalière, je pense qu'il vaut mieux traduire un livre de fuite, pouffant toujours l'explication qui doit aller beaucoup plus vite. Le brouillon & la copie de l'écolier feront écrits pofément, avec de l'efpace entre les lignes, pour corriger; opération importante, qui eft autant du maître que du difciple, & à laquelle il faut être fidèle. La verfion fera donc corrigée avec foin, tant pour l'orthographe que pour le françois; après quoi elle fera mife au net fur un cahier propre & bien entretenu.

Ces pratiques formeront peu à peu les enfants, non feulement aux tours de notre langue, mais encore plus à l'écriture; acquifition précieuse, qui eft propre à tous les états & à tous les âges.

Il feroit à fouhaiter qu'on en fît un exercice claffique, & qu'on y attachât des prix à la fin de l'année. J'ajouterai fur cela, qu'au lieu de longs barbouillages qu'on exige en penfums, il vaudroit mieux demander chaque fois un morceau d'écriture correcte, &, s'il fe peut, élégante.

A l'égard du grec, l'application qu'on y donne eft le plus fouvent infructueufe, furtout dans les collèges, où l'on exige des thêmes avec la pofition des accents on pourroit employer beaucoup mieux le temps qu'on perd à tout cela; c'eft pourquoi j'en voudrois décharger la Jeuneffe, perfuadé qu'il fuffit à des écoliers de lire le grec aifément, & d'acquérir l'intelligence originale des mots françois qui en font dérivés. Si cependant on étoit à portée de fuivre le plan du P. Giraudeau, on fe procureroit par fa méthode une intelligence raifonnable des auteurs grecs, le tout fans fe fatiguer & fans nuire aux autres Études.

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Mais travail pour travail, il vaudroit encore mieux étudier quelque langue moderne, comme l'italien, l'efpagnol, ou plus tôt l'anglois, qui eft plus utile & plus à la mode : la Grammaire angloife eft courte & facile; on fe met au fait en peu d'heures. A la vérité la prononciation n'eft pas aifée non feulement par la faute des anglois, qui laiffent leur orthographe dans une imperfection, une inconféquence, qu'on pardonneroit à peine à un peuple ignorant, mais encore par la négli gence de ceux qui ont fait leurs Grammaires & leurs Dictionnaires, & qui n'ont pas indiqué, comme ils le pouvoient, la valeur actuelle de leurs lettres, dans une infinité de mots où cette valeur eft différente de l'ufage ordinaire. M. King, maître de langues à Paris, remédie aujourdhui à ce défaut; il montre l'anglois avec beaucoup de méthode, & il en facilite extrêmement la lecture & la prononciation.

Au refte, un avantage que nous avons pour l'anglois, & qui nous manque pour le grec, c'eft que la moitié des mots qui conftituent la langue moderne, font pris du françois ou du latin; prefque tous les autres font pris de l'allemand. De plus, nous fommes tous les jours à portée de con

verfer avec des anglois naturels, & de nous avancer par là dans la connoiffance de leur langue. La gazette d'Angleterre, qu'on trouve à Paris en plufeurs endroits, eft encore un moyen pour faciliter la même Étude. Comme cette feuille eft amufante, & qu'elle roule fur des fujets connus d'ailleurs; pour peu qu'on entende une partie, on devine aifément le refte: & cette lecture donne peu à peu l'intelligence que l'on cherche.

La fingularité de cette Etude, & la facilité du progrès, mettroient de l'émulation parmi les jeunes gens, à qui avanceroit davantage; & bientôt les plus habiles ferviroient de guides aux autres. Je conclus enfin que, toutes chofes égales, on apprendroit plus d'anglois en un an que de grec en trois ans; c'est pourquoi, comme nous avons plus à traiter avec l'Angleterre qu'avec la Grèce, que d'ailleurs il n'y a pas moins à profiter d'un côté que de T'autre, après le françois & le latin, je confeillerois aux jeunes gens de donner quelques moments à l'anglois.

J'ajoute que notre empreffement pour cette langue adouciroit peut-être nos fiers rivaux, qui prendroient pour nous en conféquence, des fentiments plus équitables; ce qui peut avoir fon utilité dans l'occafion.

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Du refte, il eft des exercices encore plus utiles au grand nombre, & qui doivent faire partie de l'éducation; tels font le Deffin, le Calcul & l'Écriture, la Géométrie élémentaire, la Géographie, la Mufique, &c. Il ne faut fur cela tout au plus que deux leçons par femaine; on y emploie fouvent le temps des récréations, & l'on en fait furtout la principale occupation des fêtes & des congés. Si l'on eft fidèle à cette pratique depuis l'âge de huit à neuf ans jufqu'à la fin de l'éducation, on fera marcher le Tout à la fois, fans nuire à l'Etude des langues; & l'on aura le plaifir touchant de voir bien des fujets réuffir à tout. C'eft une fatisfaction que j'ai eue moi-même affez fouvent. Auffi je foutiens que tous ces exercices font moins difficiles & moins rebutants que des thêmes, & qu'ils attirent aux écoliers beaucoup moins de punitions de la part des maîtres.

Depuis l'âge de douze ans jufqu'à quinze & feize, on fuivra le fyftême d'Etudes expofé ci-deffus; mais alors les enfants prépareront eux-mêmes l'explication: pour cela on leur fournira tous les fecours, traductions, commentaires, &c. L'ufage contraire m'a toujours paru déraisonnable; il eft en effet bien étrange que des maîtres, qui fe procurent toutes fortes de facilités pour entrer dans les livres, s'obftinent à refufer les mêmes fecours à de jeunes écoliers. Au furplus, ces enfants feront occupés à diverfes compofitions françoifes & latines: fur quoi l'une des meilleures chofes à faire en ce genre, eft de donner des morceaux d'auteurs à traduire en françois; donnant enfuite tantôt la verfion même à remettre en latin, tantôt des thêmes d'imitation fur des fujets femblables. On pourra les appliquer

également à d'autres compofitions latines, pourvu que tout le faffe dans les circonftances & avec les précautions qui conviennent. Je ne puis m'empécher de placer ici quelques réflexions que fait fur cela M. Pluche (tom. VI du Spectacle de la nature, pag. 125.

« S'il eft, dit-il, de la dernière abfurdité d'exiger des enfants de compofer en profe dans une langue qu'ils ne favent pas, & dont aucune règle ne peut leur donner le goût; il n'eft pas moins abfurde d'exiger de toute une troupe, qu'elle fe mette à méditer des heures entières pour faire huit ou dix vers, fans en fentir la ftructure ni l'agrément : il vaudroit mieux pour eux avoir écrit une petite lettre d'un ftyle aifé, dans leur propre langue, que de s'être fatigués pour produire à coup sûr de mauvais vers, foit en latin, foit en grec.

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»Il eft fenfible que plufieurs courront les mêmes rifques dans le travail des amplifications & des pièces d'Eloquence, où il faut que l'efprit fournisse tout de lui-même le fonds & le ftyle: peu y réuffiffent; s'il s'en trouve fix dans cent, quelle vraisemblance y a-t-il à exiger des autres de l'invention, de l'ordonnance, du raifonnement, des images, des mouvements, & de l'Eloquence? C'eft demander un beau chant à ceux qui n'ont ni Mufique ni gofier... Lorsqu'une heureufe facilité de concevoir & de s'énoncer encourage le travail des jeunes gens, & infpire plus de hardiffe au maître, je voudrois principalement infifter fur ce qui a l'air de délibération où de raifonnement ; j'aurois fort à cœur d'affujettir un beau naturel à ce goût d'analyfe, à cet efprit méthodique & aifé, qui eft recherché & applaudi dans toutes les conditions, puifqu'il n'y a aucun état où il ne faille parler fur le champ, expofer un projet, difcuter des inconvénients, & rendre compte de ce qu'on avu, &c.».

Quoi qu'il en foit, il eft certain que des enfants bien dirigés par la nouvelle méthode, auront va dans leur cours d'Études quatre fois plus de latin qu'on n'en peut voir par la méthode vulgaire. En effet, l'explication devenant alors le principal exercice claffique, on pourra expedier dans chaque féance au moins quarante lignes d'auteur, profe ou vers; & toujours, comme on l'a dit, en répétant de latin en françois, puis de françois en latin, l'explication faite par le maître ou par un écolier bien préparé: travail également efficace pour entendre le latin, & pour s'énoncer en cette langue; car il eft vifible qu'après s'être exercé chaque jour pendant huit ou dix ans d'humanités à traduire du françois en latin, & cela de vive voix & par écrit, on acquerra mieux encore qu'à préfent la facilité de parler latin dans les claffes fupérieures, fuppofé qu'on ne fit pas auffi bien d'y parler françois. Ce travail enfin, continué depuis fix ans jufqu'à quinze ou feize, donnera moyen de voir & d'entendre prefque tous les auteurs claffiques, les plus beaux traités de Cicéron, plufieurs de fes oraifons, Virgile & Horace en entier; de même que

les

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les Inftitutes de Juftinien, le Catéchisme du Concile de Trente, &c.

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En effet, loin de borner l'inftruction des humaniftes à quelques notions d'Hiftoire & de Mythologie, inftitution futile, qui ne donne guères de facilité pour aller plus loin, on ouvrira de bonne heure le fanctuaire des fciences & des arts à la Jeuneffe: & c'eft dans cette vûe qu'on joindra aux livres de claffe plufieurs traités dogmatiques, dont la connoiffance eft néceffaire à de jeunes littérateurs; mais de plus, on leur fera connoître, par une lecture affidue, les auteurs qui ont le mieux écrit en notre langue, poètes, orateurs, hiftoriens, artiftes, philofophes; ceux qui ont le mieux traité la Morale, le Droit, la Politique, &c. En même temps on entretiendra,, comme on a dit & cela dans toute la fuite des Etudes, l'Arithmétique & la Géométrie, le Deffin, l'Écriture, &c. Il eft vrai que, pour produire tant de bons effets, il ne faudroit pas que les enfants fuffent diftraits, comme aujourdhui, par des fêtes & des congés perpétuels, qui interrompent à chaque inftant les exercices & les Études: il ne faudroit pas non plus qu'ils fuffent détournés par des repréfentations de théatre; rien ne dérange plus les maîtres & les difciples, & rien par conféquent de plus contraire à l'avancement des écoliers, lors même qu'ils n'ont d'autre Etude à fuivre que celle du latin. Ce seroit bien pis encore dans le fyftême que je propose.

Du refte, on pourroit accoutumer les jeunes gens à paroître en public, mais toujours par des exercices plus faciles & qui fuffent le produit des Études courantes. Il fuffiroit pour cela de faire expliquer des auteurs latins, de faire déclamer des pièces d'Eloquence & de Poéfie françoife; & l'on parviendroit au même but par trations publiques fur la Sphère, l'Arithmétique, la Géométrie, &c.

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Je ne dois pas oublier ici que le goût de molleffe & de parure, qui gagne à préfent tous les efprits, eft une nouvelle raifon pour faciliter le fyftême des Études, & pour en ôter les embarras & les épines. Ce goût dominant, fi contraire à l'austérité chrétienne, enlève un temps infini aux travaux littéraires, & nuit par conféquent aux progrès des enfants. Un ufage à défirer dans l'éducation, ce feroit de les tenir fort fimplement pour les habits; mais furtout (qu'on pardonne ces détails à mon expérience) de les mettre en perruque ou en cheveux courts, & des plus courts, jufqu'à l'âge de quinze ans. Par là on gagneroit un temps confidérable, & l'on éviteroit plufieurs inconvénients à l'avantage des enfants & de ceux qui les gouvernent: ceux-ci alors, moins détournés pour fe fuperflu, donneroient tous leurs foins à la culture néceffaire du corps & de l'efprit ; ce qui doit être le but des parents & des maîtres.

Quoi qu'il en foit, les dernières années d'Humanités, employées tant à des lectures utiles & GRAMM. ET LITTÉRAT. Tome II.

fuivies qu'à des compofitions choifies & bien travaillées, formeroient une continuité de Rhétorique dans un goût nouveau; Rhétorique dont on écarteroit avec foin tout ce qui s'y trouve ordinairement d'inutile & d'épineux. Pour cela, on feroit compofer le plus fouvent dans la langue maternelle; & loin d'exercer les jeunes rhéteurs fur des fujets vagues, inconnus, ou indifférents, on n'en choifiroit jamais qui ne leur fuffent connus & proportionnés. Je ne voudrois pas même donner des verfions, fi ce n'eft tout au plus pour les prix, fans les expliquer en pleine claffe; & cela, parce que la traduction françoise étant moins un exercice de latinité qu'un premier effai d'Eloquence, déja bien capable d'arréter les plus habiles, fi on laiffe des obfcurités dans le texte latin, on amortit mal à propos la verve & le genie de l'écolier, lequel a befoin de toute fa vigueur & de tout fon feu pour traduire d'une manière fatisfaifante.

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Je ne demanderois donc à de jeunes rhétoriciens que des traductions plus ou moins libres, des lettres, des extraits, des récits, des Mémoires & autres productions femblables, qui doivent faire toute la Rhétorique d'un écolier; productions, après tout, qui font plus à la portée des jeunes gens & plus intéreffantes pour le commun des hommes, que les difcours bouffis qu'on imagine pour faire parler Hector & Achille, Alexandre & Porus, Annibal & Scipion, Céfar & Pompée, & les autres héros de l'Hiftoire ou de la Fable.

Au refte c'eft une erreur de croire que la Rhétorique foit effenciellement & uniquement l'art de perfuader. Il eft vrai que la perfuafion eft un des grands effets de l'Éloquence; mais il n'eft pas moins vrai que la Rhétorique eft également l'art d'inftruire, d'exposer, narrer, difcuter, en un mot, l'art de traiter un fujet quelconque d'une manière tout à la fois élégante & folide. N'y a-t-il point d'Eloquence dans les récits de l'Hiftoire, dans les defcriptions des poètes, dans, les Mémoires de nos Académies, &c? Voyez ELOQUENCE, ÉLOCU

TION.

Quoi qu'il en foit, l'Éloquence n'eft point un art ifolé, indépendant, & diftingué des autres arts; c'eft le complément & le dernier fruit des arts & des connoiffances acquifes par la réflexion, par la lecture, par la fréquentation des favants, & furtout par un grand exercice de la compofition; mais c'eft moins le fruit des préceptes, que celui de l'imitation & du fentiment, de l'ufage & du goût c'eft pourquoi les compofitions françoises, les lectures perpétuelles, & les autres opérations qu'on a marquées, étant plus inftructives, plus lumineufes que l'Etude unique & vulgaire du latin, feront toujours plus agréables & plus fécondes, toujours enfin plus efficaces pour atteindre au vrai but de la Rhétorique.

Quant à la Philofophie, on la regarde pour l'ordinaire comme une fcience indépendante & diftincte de toute autre; & l'on fe perfuade qu'elle

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confifte dans une connoiffance raifonnée de telle & telle matière: mais cette opinion, pour être affez commune, n'en cft pas moins fauffe. La Philofophie n'eft proprement que l'habitude de réfléchir & de raifonner, ou, fi l'on veut, la facilité d'approfondir & de traiter les arts & les sciences.

Suivant cette idée fimple de la vraie Philofophie, elle peut, elle doit même se commencer dès les premières leçons de Grammaire, & fe continuer dans tout le refte des Études. Ainfi, le devoir & l'habileté du maître confiftent à cultiver toujours plus l'intelligence que la mémoire; à former les difciples à cet efprit de difcuffion & d'examen qui caractérise l'homme philofophe; & à leur donner, par la lecture des bons livres & par les autres exercices, des notions exactes & fuffifantes pour entrer d'eux-mêmes enfuite dans la carrière des fciences & des arts. Il faut en un mot fondre de bonne heure, identifier, s'il eft poffible, la Philofophie avec les Humanités.

Cependant, malgré cette habitude anticipée de réflexion & de raifonnement, il est toujours cenfé qu'il faut faire un cours de Philofophie; mais il feroit à fouhaiter pour les écoliers & pour les maîtres, que ce cours fût imprimé. La dictée, autrefois néceffaire, eft devenue, depuis l'impreffion, une opération ridicule. En effet, il feroit beaucoup plus commode d'avoir une Philofophie bien méditée & qu'on pût étudier à fon aife dans un livre, que de fe fatiguer à écrire de médiocres cahiers toujours pleins de fautes & de lacunes.

Nous nous fervons avec fruit de la même Bible, de la vulgate qui eft commune à tous les catholiques; on pourroit avoir de même fur les fciences des traités uniformes, compofés par des hommes capables, & qui travailleroient de concert à nous donner un corps de doctrine auffi parfait qu'il eft poffible: le tout avec l'agrément & fous la direction des fupérieurs. Pour lors, le temps qui fe perd à dicter s'emploieroit utilement à expliquer & à interroger: & par ce moyen, une feule claffe de deux heures & demie tous les jours, hors les dimanches & fêtes, fuffiroit pour avancer raifonnablement ; ce qui donneroit aux maîtres & aux difciples le temps de préparer leurs leçons & de varier leurs Etudes.

Il y a plus à retrancher dans la Logique, qu'on n'y fauroit ajouter; il me femble qu'on en peut dire à peu près au ant de la Métaphyfique. La Morale eft trop négligée; on pourroit l'étendre & l'approfondir davantage. A l'égard de la Phyfique, il en faudroit auffi beaucoup élaguer; négliger ce qui n'eft que de contention & de curiofité, pour fe livrer aux recherches utiles & tendantes à l'écono

mie. Elle devroit embraffer, je ne dirai pas l'Arithmétique & les éléments de Géométrie, qui doivent venir long temps auparavant, mais l'Anatomie, le Calendrier, la Gnomonique, &c. le tout accom

pagné des figures convenables pour l'intelligence des

matières.

par

On expoferoit les queftions clairement & comme hiftoriquement, donnant pour certain ce qui eft conftamment reconnu pour tel les meilleurs philofophes; le tout appuyé des preuves & des réponses aux difficultés. Tout ce qui n'auroit pas certain caractère d'évidence & de certitude, feroit donné fimplement comme douteux ou comme probable. Au refte, loin de faire fon capital de la difpute & de perdre le temps à réfuter les divers fentiments des philofophes, on ne difputeroit jamais fur les vérités connues, parce que ces controverfes font toujours déraifonnables & fouvent même dangereufes. A quoi bon foutenir thèse fur l'exiftence de Dieu, fur fes attributs, fur la liberté de l'homme, la fpiritualité de l'ame, la réalité des corps, &c N'avons nous pas fur tout cela des points fixes auxquels on doit s'en tenir comme à des vérités premières? Ces queftions devroient être expofées nettement dans un cours de Philofophie, où l'on raffembleroit tout ce qui s'eft dit là-deffus de plus folide, mais où elles feroient traitées d'une manière pofitive, fans qu'il y eût d'exercice réglé pour les attaquer ni pour les défendre, comme il n'en eft point pour difputer fur les propofitions de Géométrie.

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Il eft encore bien des queftions futiles que l'on ne devroit pas même agiter. Le premier homme a-t-il eu la Philofophie infufe? La Logique eftelle un art ou une fcience? Y a-t-il des idées fauffes A-t-on l'idée de l'impoffible? Peut-il y avoir deux infinis de même espèce? Enfin l'univerfel à parte rei, le futur contingent, le malum quá malum, la divifibilité du continu, &c. font des queftions également inutiles & qui ne méritent guères l'attention d'un bon efprit.

Un cours bien purgé de ces chimères fcholaftiques, mais fourni de toutes les notions intéreffantes fur l'Hiftoire naturelle, fur la Méchanique & fur les arts utiles, fur les mœurs & fur les lois, fe trouveroit à la portée des moindres Étudiants ; & pour lors, avec le feul fecours du livre & du profeffeur, ils profiteroient de tout ce qu'il y a de bon dans la faine Philofophie: le tout fans fe fatiguer dans la répétition machinale des arguments, & fans faire la dépenfe ni l'étalage des thèfes, qui, à le bien prendre, fervent moins à découvrir la vérité qu'à fomenter l'efprit de parti, de contention, & de chicane.

Comme le but des foutenants eft plus tôt de faire parade de leur Étude & de leur facilité, que de chercher des lumières dans une difpute éclairée, ils fe font un point d'honneur de ne jamais démordre de leurs affertions; & moins occupés des intérêts de la vérité que du foin de repouffer leurs affaillants, ils emploient tout l'art de la fcholaftique & toutes les reffources de leur génie, pour éluder les meilleures objections, & pour trouver des fauxfuyants dont ils ne manquent guères au befoin; ce

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