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princeffe qui n'oferoient l'expofer à des hontes. Et à l'égard des princeffes qui ne difent qu'elles aiment que quand elles font sûres d'être aimées, je fais toujours le rôle de confidente à la comédie, & vingt priuceffes m'ont avoué leurs beaux feux fans être sûres de rien, & principalement l'infante du Cid.

Allons plus loin. Céfar, Céfar lui même net parle à Cléopatre que pour montrer de l'Esprit alambiqué:

Mais, ô Dieux ! ce moment que je vous ai quittée
D'un trouble bien plus grand a mon ame agitée,
Et ces foins importants qui m'arrachoient à vous
Contre ma grandeur même allumoient mon courroux;
Je lui voulois du mal de m'être fi contraire...
Mais je lui pardonnois, au fimple fouvenir
Du bonheur qu'à ma flamme elle fait obtenir :
C'eft elle dont je tiens cette haute espérance
Qui flatte mes défirs d'une illuftre apparence.
C'étoit pour acquérir un droit fi précieux,
Que combattoit partout mon bras ambitieux;
Et dans Pharfale même il a tiré l'épée,

Plus pour le conferver que pour vaincre Pompée.

Voilà donc Céfar qui veut du mal à fa grandeur de l'avoir éloigné un moment de Cléopatre, mais qui pardonne à fa grandeur en fe fouvenant que cette grandeur lui a fait obtenir le bonheur de fa flamme. Il tient la haute efpérance d'une illuftre apparence; & ce n'eft que pour acquérir le droit précieux de cette illuftre apparence que fon bras ambitieux a donné la bataille de Pharfale.

On dit que cette forte d'Efprit, qui n'eft, il faut le dire, que du galimathias, étoit alors l'Esprit du temps. C'eft cet abus intolérable que Molière prolcrivit dans fes Précieufes ridicules.

&

Ce font ces défauts trop fréquents dans Corneille que La Bruyère défigna, en dilant: J'ai cru dans ma première jeuneffe que ces endroits étoient clairs, intelligibles pour les acteurs, pour le parterre l'amphithéatre, que leurs auteurs s'entendoient eux-mêmes, & que j'avois tort de n'y rien comprendre. Je fuis détrompé.

Nous avons relevé ailleurs l'affectation fingulière où eft tombé La Motte dans fon abrégé de l'Iliade, en faifant parler avec Efprit toute l'armée des grecs à la fois.

Tout le camp s'écria dans une joie extrême :

Que ne vaincra-t-il point? il s'eft vaincu lui-même!

C'est là un trait d'Efprit, une espèce de pointe & de jeu de mots. Car s'enfuit-il de ce qu'un homme a dompté fa colère qu'il fera vainqueur dans le combat? Et comment cent-mille hommes peuventils dans un même inftant s'accorder à dire un rébus, ou, fi l'on veut, un bon mot?

En Angleterre, pour exprimer qu'un homme a beaucoup d'Efprit, on dit qu'il a de grandes

parties, great parts. D'où cette manière de parler, qui étonne aujourdhui les françois, peut-elle venir? d'eux-mêmes. Autrefois nous nous fervions de ce mot parties très - communément dans ce fens-là. Clélie, Caffandre, nos autres anciens romans ne parlent que des parties de leurs héros & de leurs héroïnes, & ces par.ies font leur Esprit. On ne pouvoit mieux s'exprimer. En effet, qui peut avoir tout: Chacun de nous n'a que fa petite portion d'intelligence, de mémoire, de fagacité, de profondeur d'idées, d'étendue, de vivacité, de fineffe. Le mot de parties eft le plus convenable pour des êtres auffi foibles que l'homme. Les françois ont laiffé échaper de leurs dictionnaires une expreffion don: les anglois fe font faifis. Les anglois fe font enrichis plus d'une fois à nos dépens.

Plufieurs écrivains philofophes fe font étonnés de ce que tout le monde prétendant à l'Esprit, perfonne n'ofe fe vanter d'en avoir.

L'envie, a-t-on dic, permet à chacun d'être le panégyrifte de fa probité & non de fon Efprit. L'envie permet qu'on faffe l'apologie de fa probité, non de fon Efprit, pourquoi? c'est qu'il eft très néceffaire de paffer pour homme de bien, & point du tout d'avoir la réputation d'homme d'Esprit.

On a ému la queftion fi tous les hommes font nés avec le même Efprit, les mêmes difpofitions pour les fciences, & que tout dépend de leur éducation & des circonftances où ils fe trouvent. Un philofophe qui avoit droit de fe croire né avec quelque fupériorité, prétendit que tous les Efprits font égaux; cependant on a toujours vu le contraire. De quatre-cents enfants élevés enfemble fous les mêmes maîtres, dans la même difcipline, à peine y en a-t-il cinq ou fix qui faffent des progrès bien. marqués. Le grand nombre eft toujours des médiocres, & parmi ces médiocres il y a des nuances; mot les Efprits different plus que les

en un

vifages.

ESPRIT faux. Il y a malheureusement bien des manières d'avoir l'Esprit faux. 1°. De ne pas exprimer fi le principe eft vrai lors même qu'on en dédui: des conféquences juftes, & cette manière eft

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ESP

méchant, mais parce qu'ils n'étoient pas affez éclairés. (VOLTAIRE.)

(N.) ESPRIT, RAISON, BON-SENS, JUGEMENT, ENTENDEMENT, CONCEPTION, INTELLIGENCE, GÉNIE. Synonymes.

Le fens littéral d'Esprit eft d'une vafte étendue: il renferme même tous les divers fens des autres mots qui lui fon: joints ici en qualité de fynonymes; & par conféquent il eft le fondement du rapport & de la reffeinblance qu'ils ont entre eux. Mais ce mot a aufli un fens particulier & d'un ufage moins étendu, qui le diftingue & en fait une des différences comprifes fous l'idée commune. C'eft felon cette idée particulière qu'il eft ici placé, défini, & caractérifé. J'ai cru ce préliminaire néceffaire pour aller au devant d'une critique trop précipitée, & pour mettre le lecteur plus au fait des caractères fuivants.

L'Esprit eft fin & délicat; mais il n'eft pas abfolument incompatible avec un peu de folie ou d'étourderie: fes productions font brillantes, vives, & ornées; fon propre eft de donner du tour à ce qu'il dit, & de la grâce à ce qu'il fai:. La Raifon eft fage & modérée; elle ne s'accommode d'aucune extravagance; tout ce qu'elle fait ne fort point de la règle; fes difcours font convenables au fujet qu'elle traite, & fes actions ont toute la décence qu'exigent les circonftances. Le Bon-fens eft droit & sûr; fon objet ne va pas au delà des choses communes; il empêche d'être la dupe des charlatans & des fripons; il ne donne ni dans le ridicule du langage affecté, ni dans le travers de la conduite capricieufe. Le Jugement eft folide & clairvoyant; il bannit l'air imbécile & nigaud; met aisément au fait des chofes; parle & agit en conféquence de ce qu'on dit & de ce qu'on propofe. L'Entendement eft méthodique & conféquent; il fe fonde fur des principes, & met en garde contre l'erreur; il ne fe fert que des termes & s'énonce avec précifion. propres, La Conception eft nette & prompte; elle épargne les longues explications; elle donne beaucoup d'ouverture pour les fciences & pour les arts; met de la clarté dans les expreffions, & de l'ordre dans les ouvrages. L'Intelligence eft habile & pénétrante; elle faifit les chofes abftraites & difficiles; rend les hommes propres aux divers emplois de la fociété civile; fait qu'on s'énonce en termes corrects, & qu'on exécute régulièrement. Le Génie eft heureux & fécond; c'eft plus un don de la nature qu'un ouvrage de l'éducation; quand on a foin de le cultiver, on en eft toujours récompensé par le fuccès; il met du caractère & du goût dans tout ce qui part de lui.

Un galant homme ne fe pique point d'Efprit; s'attache à avoir de la Raifon; veille à ne fe point écarter du Bon-fens; travaille à former fon Jugement; exerce fon Entendement; cherche à rendre fa Conception jufte; fe procure en toutes chofes le plus d'Intelligence qu'il peut; & fuit fon Génie.

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La bêtife eft l'oppofé de l'Efprit; la folie l'eft de la Raifon; la fotife l'eft du Bon-fens; l'étourderie l'eft du Jugement; l'imbécilité l'eft de l'Entendement; la ftupidité l'eft de la Conception; l'incapacité l'eft de l'Intelligence ; & l'ineptie (a) l'eft du Génie.

Il faut dans le commerce des dames, de l'Efprit, ou du jargon qui en ait l'apparence. L'on n'eft obligé qu'à fournir de la Raifon dans les cercles d'amis. Le Bon-fens convient avec tout le monde. Le Jugement eft néceffaire pour fe maintenir dans la fociété des Grands. L'Entendement est de mife avec les politiques & les courtifans. La Conception fait goûter les converfations inftructives & fayantes. L'Intelligence eft utile avec les ouvriers & dans les affaires. Le Génie eft propre avec les gens à projets & à dépenfe. Voy. GÉNIE, ESPRIT. Syn. (L'abbé GIRARD.)

ESQUISSE, f. f. Belles-Lettres. Poésie. On appelle ainfi en Peinture un tableau qui n'eft pas fini, mais où les figures, les traits, les effets de. lumière & d'ombre font indiqués par des touches légères. La même expreffion s'applique à la Poéfie: mais à l'égard de celle-ci, elle exprime réellement la grande manière de peindre; car la defcription poétique n'eft prefque jamais un tableau fini, & rarement elle doit l'être.

dans

:

Sur la toile du peintre on ne voit guère que ce que l'artiste y a mis, au lieu poétique chacun voit ce qu'il imagine c'eft le que une peinture fpectateur qui, d'après quelques touches du poète, fe peint lui-même l'objet indiqué. Réuniffez tous les peintres célèbres, & demandez-leur de copier Hélène d'après Homère, Armide d'après le Taffe, Eve d'après Milton, Corine & Déiie d'après Ovide & Tibulle, l'efclave d'Anacréon d'après le portrait détaillé qu'en a fait ce poète voluptueux; toutes ces copies auront quelque chofe d'analogue entre elles; mais de mille il n'y en aura pas deux qui fe reffemblent au point de faire deviner que l'original eft le même. Chacun fe fait une Eve, Armide, une Hélène, & c'eft un des charmes de la Poéfie de nous laiffer le plaifir de créer. Inceffu patuit dea, me dit Virgile. C'eft à moi à me peindre Vénus.

une

Stat fonipes, ac frana ferox Spumantia mandit. C'eft à moi à tirer de là l'image d'un courfier fuperbe.

Mille trahens varios adverfo fole colores.
Ne croit-on pas voir l'arc-en-ciel?

Hic gelidi fontes, hic mollia prata, Lycori,
Hic nemus; hic ipfo tecum confumerer ævo.

(a) Selon le Didion. de l'Académ. 1762, Ineptie veut dire abfurdité, fotife, impertinence : penfée de l'auteur. Je crois qu'il a voulu dire Inaptitude, ce ne peut être la défaut d'aptitude ou de difpofition à quoi que ce foit. (M. BEAUZEE.)

Il n'en faut pas davantage pour le représenter un payfage délicieux. Nunc feges ubi Troja fuit. In claffem cadit omne nemus. Voilà des tableaux elquiffés d'un feul trait.

Le Taffe parle en maître fur l'art de peindre en Poéfie avec plus ou moins de détail, felon le plus ou le moins de gravité du ftyle, en quoi il compare Virgile & Pétrarque.

Dederatque comas diffundere ventis,

dit Virgile, en parlant de Vénus déguifée en chaffereffe. Pétrarque dit la même chofe, mais d'un style plus fleuri:

Erano i capei d'oro à l'aura sparsi,
Ch' in mille dolci nodi gli avolgea.

'Ambrofiaque coma divinum vertice odorem
Spiravêre.
Virgile.

E tuto il ciel, cantando il fuo bel nome,
Sparfer di rofe i pargoletti amori. Pétrarque.

E l'uno, e l'altro conobbe il convenevole nella fua
Poefia. Perche Virgilio fuperò tutti poete heroici di gra-
vità, il Petrarca tutti gli antichi lirici di vaghezza.
Le Taffe.

Le poète ne peut ni ne doit finir la peinture de la beauté phyfique: il ne le peut, manque de moyens pour en exprimer tous les traits avec la correction, la délicateffe que la nature y a mise, & pour les accorder avec cette harmonie, cette unité, d'où dépend l'effet de l'enfemble; il ne le doit pas en eût-il les moyens, par la raison que plus il détaille fon objet, plus il affujettit notre imagination à la fienne. Or quelle est l'intention du poète? Que chacun de nous fe peigne vivement ce qu'il lui préfente. Le foin qui doit l'occuper eft donc de nous mettre fur la voie, & il n'a befoin pour cela que de quelques traits vivement touchés.

Belle fans ornement, dans le fimple appareil
D'une Beauté qu'on vient d'arracher au fommeil.

Qui de nous, à ces mots, ne voit pas Junie comme Néron vient de la voir? Mais il faut que ces traits qui nous indiquent le tableau que nous avons à peindre, foient tels que nous n'ayons aucune peine à remplir les milieux. L'art du poète confifte alors à marquer ce qui ne tombe pas fous les fens du commun des hommes, ou ce qu'ils ne faififfent pas d'eux-mêmes avec affez de délicateffe ou de force; & à paffer fous filence ce qu'il eft facile d'imaginer. (M. MARMONTEL.)

ET, conjonction copul. Grammaire. Ce mot marque l'action de l'efprit qui lie les mots & les phrafes d'un difcours, c'est à dire, qui les confidère Tous le même rapport. Nous n'avons pas oublié cette particule au mot CONJONCTION; cependant il ne inutile d'en parler ici plus particulièrement. 1o. Notre & nous vient du latin &. Nous l'écrivons de la même manière, mais nous n'en pronon

Tera pas

çons jamais le t, même quand il eft fuivi d'ane voyelle : c'eft pour cela que, depuis que notre Poéfie s'eft perfectionnée, on ne met point en vers un & devant une voyelle, ce qui feroit un báillement ou hiatus que la Poéfie ne fouffre plus; ainfi, on ne diroit pas aujourdhui :

Qui fert & aime Dieu, possède toutes choses.

2o. En latin le t de l'& eft toujours prononcé; de plus l'& eft long devant une confonne, & il eft bref quand il précède une voyelle :

Qui mores hominum multorum vidit ět ŭrbēs. Horat. de Arte poëtica, v. 143.

Reddere qui voces jam feit puer, et pědě certo Signat humum; geftit paribus colludere, et īrām Colligit et ponit temerè, et mutatur in horas.

Ibid. v. 158.

3°. Il arrive fouvent que la conjonction & paroît d'abord lier un nom à un autre, & le faire dépendre d'un même verbe; cependant quand on continue de lire, on voit que cette conjonction ne lie que les propofitions, & non les mots. Par exemple, Céfar a égalé le courage d'Alexandre, & fon bonheur a été fatal à la république romaine: il femble d'abord que bonheur dépende d'égalé, auffi bien que courage; cependant bonheur eft le fujet de la propofition fuivante. Ces fortes de conftructions font des phrafes louches, ce qui eft contraire à la netteté.

4. Lorfqu'un membre de période eft joint au précédent par la conjonction &, les deux corrélatifs ne doivent pas être féparés par un trop grand nombre de mots in:ermédiaires, qui empêchent d'appercevoir aifément la relation ou liaifon des deux corrélatifs.

5°. Dans les dénombrements la conjonction & doit être placée devant le dernier fubftantif; la foi, l'ef pérance, & la charité. On met auffi & devant le dernier membre de la période on fait mal de le mettre devant les deux derniers membres, quand il n'eft pas à la tête du premier.

Quelquefois il y a plus d'énergie de répéter &: je l'ai dit & à lui & à ja femme.

6°. Et même a fuccédé à voire même, qui est aujourdhui entièrement aboli.

7°. Et done: Vaugelas dit (Remarque 459.) que Coeffetau & Malherbe ont ufé de cette façon de parler: Je l'entends dire tous les jours à la Cour, pourfuit-il, à ceux qui parlent le mieux; il obferve cependant que c'eft une expreffion gafconne, qui pourroit bien avoir été introduite à la Cour, dit-il, dans le temps que les gafcons y étoient en règne aujourdhui elle eft entièrement bannie. Au refte, je crois qu'au lieu d'écrire & donc, on devroit écrire hé donc ce n'eft pas la feule occafion où l'on a écrit & au lieu de l'interjection hé, & bien au lieu de hé bien, &c.

:

8°. La conjonction & eft renfermée dans la

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que 9°. Souvent, au lieu d'écrire & le refte, ou bien & les autres, on écrit par abréviation &c. c'est à dire, & cætera. (M. DU MARSAIS.)

(N.) ÉTENDUE, f. f. En Grammaire & en Logique il eft effenciel de remarquer deux chofes dans les noms; la compréhenfion de l'idée (Voyez CoмPRÉHENSION), & l'Etendue de la fignification.

noms.

Par l'Etendue de la fignification, on entend la quantité des individus auxquels on applique actuellement l'idée de la nature énoncée Pour bien entendre ceci, il faut obferver qu'il n'exifte les par réellement dans l'univers que des individus ; que chaque individu a fa nature propre & incommunicable; & nulle que la nature commune n'exifte part feule, telle qu'elle eft énoncée par le nom appellatif (Voyez APPELLATIF): c'est une idée factice que l'efprit humain compofe en quelque forte, de toutes les idées des attributs femblables qu'il diftingue par abftraction dans les individus ; & elle demeure ainfi abftraite dans les noms appellatifs, pris en eux-mêmes, de manière qu'ils n'énoncent rien autre chofe que l'idée générale qui en constitue la fignification, à moins que, par le fecours de quelque autre mot ou au moyen des circonftances de la phrafe, ils ne foient déterminément appliqués aux individus, dont ils font par 'eux-mêmes abstraction.

Le nom appellatif homme, par exemple, ne montre, pour ainfi dire, que la compréhenfion de l'idée générale dont il eft le figne. Quand on dit agir en homme; cela fignifie agir conformément à la nature humaine, & il n'eft abfolument queftion d'aucun individu; l'abstraction eft générale, & le nom homme eft ici fans Étendue. C'est tout autre chofe, fi l'on dit l'avis d'un homme, la mort de cet homme, la vigilance de mon homme, le témoignage de trois hommes, une garde de plufieurs hommes, les caprices des hommes, &c. Dans les trois premiers exemples, le nom appellatif homme est appliqué à un feul individu, diversement défigné par les mots un, cet, mon; dans le quatrième, le nom eft appliqué à trois individus, fans autre détermination que la précifion numérique; dans le cinquième, il eft appliqué à un nombre vague d'individus, défigné par plufieurs ; & dans le fixième, à la totalité des individus auxquels peut convenir l'idée générale de ce nom. Ainfi, la fignification du même nom appellatif peut en effet recevoir différents degrés d'Etendue,felon la différence des moyens qui la déterminent.

Moins il entre d'idées partielles dans celle de la nature générale énoncée par le nom appellatif, plus il y a d'individus auxquels elle peut convenir; & plus au contraire il y entre d'idées partielles, moins il y a d'individus auxquels la totalité puiffe convenir.

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7

Par exemple, l'idée de figure eft applicable à un plus grand nombre d'individus que celle de triangle, de quadrilatère, &c; parce que cette idée ne renferme que les idées partielles d'efpace, de bornes, de côtés, & d'angles, lefquelles fe retrouvent toutes dans les idées de triangle, de quadrilatère, &c; au lieu que l'idée de triangle qui renferme les mêmes idées partielles, comprend encore l'idée précife de trois cô.és & de trois angles, ce qui exclut les quadrilatères, les pentagones, &c; l'idée de quadrilatere, outre les mêmes idées partielles qui conftituent celle de figure, renferme de plus celle de quatre côtés & de quatre angles, ce qui exclut les triangles, les pentagones, &c.

D'où il fuit 1°. que tous les noms appellatifs n'étant pas applicables à des quantités égales d'individus, on peut dire qu'ils n'ont pas la même latitude d'Etendue ; & l'on voit bien que j'appelle ainfi la quantité plus ou moins grande des individus auxquels peut convenir chaque nom appellatif.

2. Que, fi l'on compare des noms qui expriment des idées fubordonnées les unes aux autres, comme animal & homme, figure & triangle, la compréhenfion de ces noms & la latitude de leur Étendue font, fi je peux le dire ainfi, en raison inverse l'une de l'autre parce que, comme je viens de le remarquer, moins il entre d'idées partielles dans la compréhenfion, plus il y a d'individus auxquels on peut appliquer l'idée générale ; & qu'au contraire plus la compréhenfion renferme d'idées partielles, moins il y a d'individus auxquels on puiffe l'appliquer.

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3. Que tout changément fait à la compréhenfion d'un nom appellatif, fuppofe & entraîne un changement contraire dans la latitude de l'Etendue; que par exemple, l'idée d'homme eft applicable à plus d'individus que celle d'homme favant, par la raifon que celle-ci comprend plus d'idées partielles que la première.

4°. Que la latitude de l'Étendue des noms propres, fi l'on peut dire qu'ils en ayent une, treinte qu'il foit poffible; puifqu'ils défignent les eft la plus refêtres par l'idée d'une nature individuelle : que par conféquen: la compréhenfion de ces noms eft au contraire la plus complexe & la plus grande, & qu'il n'eft pas poffible d'y ajouter aucune autre idée partielle, fans ceffer de regarder comme nom propre celui dont on augmenteroit ainfi la compréhenfion. Ainfi, quand on dit le riche Luculle, on regarde Luculle comme un nom appellatif, commun a plufieurs individus, & l'on diftingue de tout autre celui dont on parle, par l'idée ajoutée de riche : mais fi on dit le favant Newton, en confidérant Newton comme un nom propre; alors favant ne tombe pas fur Newton, il tombe fur le nom appellatif foufentendu homme ou philofophe, comme fi l'on difoit le favant (philofophe) Newton. (M. BEAUZEE.)

(N.) ÉTHOPEE, f. f. Efpèce particulière de

defcription (Voyez DESCRIPTION), qui a pour objet l'ame & toutes fes qualités bonnes ou mauvaises, fes vertus & fes vices, fes talents & fes défauts. H'borola, morum fictio: RR. H3éos, mos, indoles, & Пuw, facio, fingo.

Lucius Catilina, Lucius Catilina, forti nobili genere natus, d'une maison illuftre, avoit fuit magna vi & animi une ame très forte & un & corporis, fed inge- corps vigoureux, mais il nio malo pravoque. étoit d'un caractère méHuic ab adolefcentia chant & dépravé. Dès fes bella inteftina, cædes, premières années, les difrapina, difcordia ci- fentions inteftines, les vilis grata fuere ; ibi- meurtres, les vols, la que juventutem fuam difcorde civile eurent pour exercuit. Corpus pa- lui des attraits; & ce furent tiens inedia, algoris, les exercices de fa jeuvigilia, fupra quam neffe. Il eft incroyable à cuiquam credibile eft. quel point il fupportoit la Animus audax, fub- faim, le froid, & les veildolus, varius, cujuf-les. C'étoit un homme libet rei fimulator ac hardi, artificieux, fouple, deffimulator, alieni capable de tout feindre & appetens, fui profu- de tout diffimuler, avide fus, ardens in cupidi- du bien d'autrui, prodigue tatibus; fatis loquen- du fien, emporté dans fes tia, fapientiæ parum. paffions, parlant avec affez Vaftus animus im- de facilité, mais peu pourvu moderata, incredibi- de jugement. Son génie lia, nimis alta femper vafte le portoit toujours à cupiebat. des chofes exceffives, incroyables, trop élevées.

C'eft Sallufte (Bell. Catil. V.) qui peint Catilina par cette belle Éthopée: mais pour en voir le dèvelopement, il eft bon de lire ce que le même hiftorien ajoûte (cap. 14, 15, 16); & pour avoir une idée entière du fcélérat dont il s'agit, on peut rapprocher de cette Éthopée, celles qu'en a faites Cicéron, dans fa harangue pour M. Cœlius (v. vI. nn. 12. 13. 14.), & dans fa feconde Catilinaire (IV. V. nn. 7. 8. 9. ). Il est avantageux d'ailleurs de comparer les différentes manières de l'hiftorien & de l'orateur.

Ecoutons un des nôtres ; c'eft Boffuet, qui, dans fon Oraifon funèbre de la reine d'Angleterre, parle ainfi de Cromwel. Un homme s'eft rencontré d'une profondeur d'efprit incroyable; hypocrite raffine, autant qu'habile politique; capable de tout entreprendre & de tout cacher; également actif & infatigable dans la paix & dans la guerre; qui ne laifoit rien à la fortune de ce qu'il pouvoit lui ôter par confeil & par prévoyance; mais, au refte, fi vigilant & fi prêt à tout, qu'il n'a jamais manqué les occafions qu'elle lui a préfentées; enfin, un de ces efprits remuants & audacieux, qui femblent être nés pour changer le monde.

Hiftoriens, orateurs, les uns & les autres s'en

tiennent aux traits caractéristiques & principaux, & n'ont garde de s'appefantir fur des détails trop minutieux : ils ne montrent que ce qui fait à leurs vûes. Les poètes ont le même foin; jugez-en par cette Éthopée allégorique de M. de Voltaire, qui peint fi bien la politique (Henr. IV. 225.).

Ce monftre ingénieux, en détours fi fertile,
Accablé de foucis, paroît fimple & tranquile;
Ses yeux creux & perçants, ennemis du repos,
Jamais du doux fommeil n'ont fenti les pavots:
Par fes déguisements à toute heure elle abufe
Les regards éblouïs de l'Europe confufe:
Toujours l'autorité lui prête un prompt fecours :
Le menfonge fubtil règne en tous fes difcours ;
Et pour mieux déguifer fon artifice extrême,
Elle emprunte la voix de la vérité même.

Ce font les hiftoriens qui font & qui ont befoin de faire le plus d'ufage de l'Ethopée; mais ils font d'ordinaire plus étendus, parce qu'ils doivent au lecteur la vérité toute entière. Tacite, riche en ce genre, eft regardé avec raifon comme le plus grand peintre de l'antiquité; Sallufte nous fourniroit moins d'exemples, mais quelle force & quelle vérité! Parmi les modernes, on peut dire que les Mémoires du cardinal de Retz font une magnifique galerie de tableaux parfaits, & qu'il y en a, dans Le Télémaque de l'immortel Fénélon, une autre collection non moins précieufe. (M. BEAUZEE).

(N.) ÉTONNEMENT, SURPRISE, CONSTERNATION. Synonymes.

Un évènement imprévu, fupérieur aux connoiffances & aux forces de l'ame, lui caufe les fituations humiliantes qu'expriment ces trois mots. Mais l'Étonnement eft plus dans les fens, & vient de chofes blâmables ou peu approuvées. La Surprife eft plus dans l'efprit, & vient de chofes extraordinaires. La Confternation eft plus dans le cœur, & vient de chofes affligeantes.

Le premier de ces mots ne fe dit guère en bonne part; le fecond fe dit également en bonne & en mauvaife part; & le troisième ne s'emploie jamais qu'en mauvaife part. La beauté d'une femme ne caufe point d'Etonnement, & fa laideur produit quelquefois cet effet. La rencontre d'un ami, comme celle d'un ennemi, peut caufer de la Surprife. Un accident qui attaque l'honneur ou qui dérange la fortune, eft capable de jeter dans la Confternation.

L'Etonnement fuppofe dans l'évènement qui le produit une idée de force; il peut frapper jufqu'à fpendre l'action des fens extérieurs. La Surprife y fuppofe une idée de merveilleux; elle peut aller jufqu'à l'admiration. La Confternation y en fuppofe une de généralité; elle peut pouffer la fenfibilité jufqu'à un entier abattement.

Les cœurs bien placés font toujours étonnés des perfidies, quelque fréquentes qu'elles foient. Le peuple eft furpris de beaucoup d'effets naturels, dont il enrichit la lifte des miracles ou des fortilèges.

Dans

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