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veut exceller dans fon art, doit pofféder au plus haut degré le talent de s'exprimer: il faut qu'il fache, à l'aide des mots & de leur arrangement, exciter précisément l'idée ou le mouvement qu'il fe propofe, & dans le degré de clarté ou de force que fon but exige. La chofe n'eft rien moins que facile, furtout dans des langues qui n'ont pas encore toute la perfection dont elles font fufceptibles, qui ne font pas encore affez riches pour fuffire à tous les befoins de l'artifte.

L'Expreffion fera parfaite, lorfque les termes défigneront précisément ce qu'ils doivent fignifier, & qu'en même temps le tour de l'Expreffion répondra exactement au caractère de la notion générale ou du fentiment qui refulte de l'affemblage des idées que chaque mot féparé fait naître. Quand chaque terme en particulier & la période entière auront cet:e double propriété, l'Expreffion fera ce qu'elle doit être.

Il y a donc deux chofes à confidérer dans l'Expreffion, le fens & le caractère ; & cela tan: à Tégard des fimples mots, qu'à l'égard des phrafes & des périodes complettes: même dans le difcours ordinaire, on exige, par rapport au fens, que 1'Expreffion foit jufte, précife, claire, & d'une certaine brièveté. Toutes ces propriétés doivent donc fe retrouver dans un degré plus éminent, dès qu'il eft queftion d'un ouvrage de l'art, d'un morceau de Poéfie ou d'Éloquence; le fon même des mots doit y être afforti.

Les mots confidérés comme de fimples tons, ne doivent rien avoir d'indécis, d'obfcur, de trop ferré ni de trop trainant. L'efprit ne conçoit que comme les fens font affectés: ce qui n'eft pas diftinct à la vûe, ne produit dans l'ame qu'une idée confufe; par la même raifon, les idées que nous recevons par l'ouïe feront plus juftes, , plus claires, plus déterminées, lorfque les tons euxmêmes auront ces qualités: une fyllabe équivoque, un mot dur à prononcer, nuifent à la clarté du difcours ou à fon effet.

Une Expreffion jufte, précise, & claire, excite, non feulement l'idée qu'on a en vue, mais elle donne encore à cette idée une énergie esthétique (ou de fentiment), lorfque l'Expreffion a ces qualités dans un degré éniinent, parce que toute perfection a un charme qui plaît. Sans égard à l'importance de la chofe dont or nous parle, nous fentons du plaifir à entendre nommer chaque chofe par fon nom propre; même lorfqu'un objet eft fous nos yeux, que nous en avons déja une idée jufte, fa defcription, fi elle eft bonne, nous eft encore agréable: combien plus ferons-nous charmés, lorfque le poète ou l'orateur dèvelopera par la jufteffe de l'Expreffion, des idées qui n'étoient jufqu'alors que vagues, embrouillées, & obfcures dans notre efprit?

Le langage eft de toutes les inventions de l'efprit hunain la plus importante, au prix de laquelle

toutes les autres ne font rien. C'eft d'elles que dépendent la raifon, les fentiments, les mœurs, qui, diftinguant l'homme de la claffe des êtres matériels, l'élèvent à un rang fupérieur. Perfectionner les langues, c'eft placer l'homme un un échelon plus haut. Quand l'Eloquence & la Poéfie n'auroient que cet avantage, ces deux arts mériteroient déja la plus grande confidération.

Pour aquérir la jufteffe de l'Expreffion, deux chofes font également indifpenfables; la connoiffance des mots d'une langue, & la fcience philofophique de leur fignification. Inutilement fauroiton penser jufte, fi l'on ne fait pas trouver les termes pour rendre chaque idée; mais en vain connoîtroit-on tous les termes, fi l'on ignore leur fignification exacte. L'étude du langage doit néceffairement embraffer ce double objet. Pour être en état de s'exprimer toujours bien, il faut avoir aquis, par la converfation & par la lecture l'abondance des termes, & avoir examiné avec fagacité le vrai fens qui convient à chacun d'eux : c'eft par là que les grands orateurs & les poètes célèbres fe font diftingués de la foule.

La jufteffe, cette première qualité effencielle a l'Expreffion, ne concerne pas fimplement le choix des mots, mais auffi leur arrangement & le tour de la phrafe entière; fouvent une particule déplacée, un mot tranfpofé, fuffit pour rendre la phrafe louche: cela dépend quelquefois d'une minutie prefque imperceptible. On apperçoit de ces inadvertances dans nos meilleurs poètes ; & fi nous en remarquons moins dans les anciens, c'eft apparemment parce que nous n'entendons plus affez leurs langues pour en bien juger. Ce n'eft qu'à force de limer & de polir un ouvrage, que l'auteur le plus pénétrant peut fe mettre en garde de ce côté-là. Si l'on pèche contre la jufteffe de l'Expreffion, ou le poète manque fon but & dit ce qu'il n'a pas voulu dire, ou, lorfque la fagacité du lecteur y fupplée, il en résulte au moins un fentiment défagréable. On voit que l'auteur vouloit exprimer telle chofe, on fent en même temps que fon Expreffion ne répond point à fa pensée ; & ce contrafte choque.

La feconde qualité effencielle, c'eft la clarté; c'eft même la première, felon Quintilien: Nobis prima fit virtus perfpicuitas (VIII. ij. 22.). Le poète & l'orateur doivent s'emparer de toute l'attention de leurs auditeurs, & la clarté de L'Expreffion peut feule foutenir cette attention. (Voyez CLARTÉ ). Une Expreffion obfcure ne fait pas feulement perdre les idées qu'elle envelope d'un nuage, elle affoiblit encore celles qui fuivront, parce que l'attention s'eft rebutée. Pour que le difcours foit clair, il faut que chaque mot ait une fignification exactement connue & que la liaifon des idées foit facile à faifir. L'une & l'autre de ces conditions fuppofent qu'il règne une grande clarté dans l'efprit de l'orateur mème. De la nous pofons pour première règle, qu'on

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ne doit jamais fonger à l'Expreffion avant d'avoir conçu bien clairement la chofe qui doit être exprimée. Les penfées qu'on veut communiquer aux autres doivent premièrement former un tableau net & diftinct dans l'efprit de celui qui parle. C'eft ainfi qu'Homère voyoit fans doute chaque objet qu'il nous décrit. Le talent de penfer avec claré ne s'aquiert pas par des règles: c'eft un don précieux que la nature accorde à certains efprits; ils ne goûtent aucun repos, jufqu'à ce qu'ils ayent diffinctement conçu tout ce qui s'offre à leur penfée. Quand on lit de ces auteurs qui possèdent dans un degré éminent l'art d'être clairs; quand on voit comment ils favent rendre lumineufes tant de penfées que nous avions déja fouvent cues, mais que nous n'avions jamais conçues fi clairement on eft tenté de croire que ce qui diftingue leur génie du nôtre, ce n'eft que leur opiniâtreté à méditer chaque matière, à s'arréter fur chaque objet jufqu'à ce qu'ils l'ayent parfaitement conçu : c'eft cette infatiguable fagacité, qui, appliquée aux notions générales, conftitue le génie philofophique, & qui, tournée vers les objets des fens, fait le génie de l'artiste. Pour que, dans les arts de la parole, l'Expreffion foit lumincufe, il faut favoir réunir les deux génies à la fois.

Un des meilleurs moyens de fortifier le talent de s'énoncer avec clarté, c'eft la lecture affidue des auteurs qui ont eu ce don à un haut degré, Pour l'Expreffion des objets fenfibles, on doit lire Homère, Virgile, Sophocle, & Euripide; & pour celle des objets moraux & philofophiques,

a Ariftophane, Plaute, Horace, Cicéron Quintilien, parmi les anciens, & d'entre les modernes, Voltaire, & Rouffeau de Genève.

Il y a encore diverfes remarques à faire fur ce fujet. Quintilien a raffemblé en peu de mots toutes les qualités qui concourent à donner de la clarté à l'Expreffion. Propria verba, reclus ordo, non in longum dilata conclufio; nihil neque defit, neque fuperfluat: ita, fermo & doctis probabilis & planus imperitis erit. (Inft. or. vIII. ij.) Il n'eft cependant pas toujours indifpenfable, pour la clarté du difcours, que l'Expreffion foit prife dans le fens propre; fouvent une idée eft plus lumineufe, elle fait un tableau plus net, forfqu'on l'exprime par un terme impropre : c'eft ainfi que Haller a pu dire: un efprit gâté répand Pabfynthe de tous côtés. Le terme propre n'eft requis pour la clarté, que lorfqu'il s'agit d'idées fimples: mais dès qu'elles font complexes, que la penfée a une certaine étendue, l'Expreffion mé aphorique & pittorefque contribue infiniment à la clarté; elle nous épargne un developement trop circonftancié, qui, par la longueur, rendroit le difcours moins clair. Il n'y a qu'une image qui puiffe exprimer diftinctement plufieurs chofes à la fois; c'eft donc une règle, qui peut-être n'admet point d'exception, que toute pensée qui renferme plufieurs idées partielles, doit être

exprimée par quelque image bien choisie. Où eft le terme propre qui pût rendre avec la même clarté ce que Cicéron a fi heureufement nonimé, Nundinatio juris ac fortunarum? (De lege agrar. Or. 1.)

La partie la plus importante de la règle de Quintilien, que nous avons rapportée, c'eft celle qui preferit d'éviter également l'excès & le défaut : Pexcès confifte à exprimer des idées acceffoires qui n'éclairciffent point la chofe, ou que tout auditeur attentif pouvoit fuppléer; le défaut, c'eft Pomiffion de quelque idée eflencielle.

La dernière des qualités qu'on exige d'une Expreffion, c'eft qu'elle foit correcte ou conforme aux règles de la pureté grammaticale. Une manière de s'exprimer qui n'eft pas ufitée, peut produire un bon effet par fa nouveauté; mais fi elle eft contraire à l'ufage reçu, elle choque, parce qu'elle heurte des principes dont on eft déja

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Tepeepyla. Expreffion trop recherchée.*
Kanilov. Le précieux.

On ne finiroit pas cet article, fi on vouloit énumérer tous les défauts de l'Expreffion & en citer des exemples. Ceux que nous avons rapportés peuvent fuffire pour avertir les jeunes poètes & les orateurs novices, d'être plus attentifs à faire un bon choix des termes & à éviter les Expreffions vicieuses.

:

C'eft déja beaucoup faire que de s'exprimer fans défaut mais en Eloquence & en Poélie, il faut faire plus; il faut donner à l'Expreffion une force efthétique (ou de fentiment), & précisément celle qui convient au fujet. L'énergie esthétique eft en général fubdivifée en trois espèces: l'une agi: fur l'entendement; l'autre, fur l'imagination; & la troisième, fur le cœur.

Tout ce qui dans un degré éminent eft vrai, bien placé, lumineux, nouveau naïf, fin, ou délicat, donne à l'Expreffion une énergie esthétique (ou de fentiment), qui affecte l'entendement & qui frape l'efprit. On en vera des exemples dans les articles qui traitent de ces diverses qualités.

L'imagination fe plaît aux Expreffions pittorefques, ingénieufes, aux images fortes ou gracieuses: une idée acceffoire qu'on ne fent que très - obfcurément peut même donner de l'agrément à l'Expreffion. Quintilien dit, ple, que dans ces vers de l'Eneide,

Cafa jungebant fœdera porca,

que le

par exem

il fentoit une aménité qui auroit manqué à l'Expreffion, fi Virgile avoit fubftitué porco à porcâ. La raifon en eft fans doute d'un nom réveille dans l'imagination quelque féminin genre chofe de plus gracieux. C'eft ce qu'un fcholiafte avoit déja remarqué à l'occafion de ce paffage d'Horace ;

Nunc & in umbrofis Fauno decet immolare lucis,
Seu pofcat agnâ, feu malit hædo :

il dit fur le mot agná; Nefcio quomodo quædam elocutiones per fæmininum genus gratiores fiunt.

Enfin le cœur eft touché par les Expreffions où il entre du fentiment; elles doivent répondre a la paffion qu'elles expriment, être tendres ou pathétiques, douces ou vehementes, comme celleci. ( M. SULZER. )

(N.) EXTÉNUATION, f. f. Figure de pensée par raifonnement, qui confifte à mettre, à la place de la véritable idée de la chofe, une autre idée du même genre, mais d'un degré inférieur par rapport à la qualité bonne ou mauvaise l'on veut défigner: comme fi l'on n'appeloit que févère celui qui eft cruel, qu'économe celui qui eft avare, &c; ou fi l'on donnoit à un criine

que

énorme le nom de faute légère, à une méchanceté atroce celui de fragilité pardonnable, &c. Cette figure eft oppofée à l'Exagération; & ce qui eft vrai de l'une l'eft également de l'autre par rapport à l'ufage. Voyez EXAGERATION.

Quelques rhéteurs donnent à l'Exténuation le nom de Tapinofe, qui en grec a le même fens: nous préférons le premier de ces mots comme plus françois (M. Beauzée. )

(N.) EXTÉRIEUR, DEHORS, APPARENCE. Synonymes.

L'Extérieur est ce qui fe voit; il fait partie de la chofe, mais la plus éloignée du centre. Le Dehors eft ce qui environne; il n'est pas proprement de la chofe, mais il en approche le plus. L'Apparence eft l'effet que la vue de la chofe produit, ou l'idée qu'on s'en forme par cette vue.

Les toits, les inurs, les jours, & les entrées font l'Extérieur d'un château; les foffés, les cours, les jardins, & les avenues en font les Dehors; la figure, la grandeur, la fituation, & le plan de l'architecture en font l'Apparence.

Dans le fens figuré, l'Extérieur fe dit plus fouvent de l'air & de la phyfionomie des perfonnes; Dehors eft plus ordinaire pour les manières & pour la dépenfe; & Apparence femble être plus d'ufage à l'égard des actions & de la conduite,

L'Extérieur prèvenant n'eft pas toujours accompagné du vrai mérite. Les Dehors' brillants ne font pas des preuves certaines d'une fortune folide. Les pratiques de dévotion font des Apparences qui ne décident rien fur la vertu. (L'abbé GIRARD.)

EXTRAIT, f. m. Belles-Lettres. Il fe dit d'une expofition abrégée ou de l'épitome d'un plus grand ouvrage. Voyez ÉPITOME.

Un Extrait eft ordinairement plus court & plus fuperficiel qu'un abrégé. Voyez ABRÉGÉ.

Les journaux & autres ouvrages périodiques qui paroiffent tous les mois & où l'on rend compte des livres nouveaux, contiennen: ou doivent contenir des Extraits des matières les plus importantes, ou des morceaux les plus frapants de ces livres. Voyez JOURNAL. (L'abbé MALLET.)

L'Extrait d'un ouvrage philofophique, hiftorique, &c, n'exige, pour être exact, que de la jufteffe & de la netteté dans l'efprit de celui qui le fait; exprimer la fubftance de l'ouvrage, en préfenter les raifonnements ou les faits capitaux dans leur ordre & dans leur jour, c'eft à quoi tout l'art fe réduit: mais pour un Extrait difcuté, combien ne faut-il pas réunir de talents & de lumières ? Voyez CRITIQUE.

On fe plaignoit que Bayle en impofoit à fes lecteurs, en rendant intéreffant l'Extrait d'un

livre qui ne l'étoit pas : il faut avouer que la plupart de fes fucceffeurs ont bien fait ce qu'ils

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ont pu pour éviter ce reproche; rien de plus fec que les Extraits qu'ils nous donnent non feulement des livres fcientifiques, mais des ouvrages littéraires. Nous ne parlerons point des Extraits dont l'ignorance & la mauvaife foi ont de tout temps inondé la Littérature. On voit des exemples de tout; mais il en eft qui ne doivent point trouver place dans un ouvrage férieux & décent, & nous ne devons nous occuper que des journalistes eftimables. Quelques uns d'entre eux, par égard pour le Public, pour les auteurs, & pour euxmêmes, fe font une loi de ne parler des ouvrages qu'en hiftoriens du bon ou du mauvais fuccès ne prenant fur eux que d'en expofer le plan dans une froide analyfe. C'eft pour eux que nous hafardons ici quelques réflexions que nous avons faites ailers fur l'art des Extraits, appliquées au genre dramatique, comme à celui de tous qui eft le plus généralement connu & le plus légèrement critiqué.

La partie du fentiment eft du reffort de toute perfonne bien organifée; il n'eft befoin ni de combiner ni de réfléchir pour favoir fi l'on eft ému, & le fuffrage du cœur eft un mouvement fubit & rapide: le Public à cet égard eft donc un excellent juge. La vanité des auteurs mécontents peut bien fe retrancher fur la légèreté françoife: fi contraire à l'illufion, & fur ce caractère enjoué qui nous diftrait de la fituation la plus pathétique, pour faifir une allufion ou une équivoque plaifante. La figure, le ton, le gefte d'un acteur, un bon mot placé à propos, ou tel autre incident plus étranger encore à la pièce, ont quelquefois fait rire où l'on eût dû pleurer : mais quand le pathétique de l'action eft foutenu, la plaifanterie ne fe foutient point; on rougit d'avoir ri, & l'on s'abandonne au plaifir plus décent de verfer des larmes. La fenfibilité & l'enjouement ne s'excluent point; & cette alternative eft commune aux françois avec les athéniens, qui n'ont pas laiffé de couronner Sophocle. Les françois frémiffent à Rodogune, & pleurent à Andromaque: le vrai les touche, le beau les faifit; & tout ce qui n'exige ni étude ni réflexion, trouve en eux de bons Critiques. Le journaliste n'a donc rien de mieux à faire que de rendre compte de l'impreffion générale pour la partie du fentiment. Il n'en eft pas ainfi de la partie de l'art peu la connoiffent, & tous en décident ; on entend fouvent raifonner là-deffus, & rarement parler raifon. On lit une infinité d'Extraits & de Critiques des ouvrages de Théâtre le jugement fur le Cid eft le feul dont le goût foit fatisfait; encore n'eft-ce qu'une Critique de détail, ou l'Académie avoue qu'elle a fuivi une mauvaise méthode en fuivant la méthode de Scudéri. L'Académie étoit un juge éclairé, impartial, & poli; peu de perfonnes l'ont imitée. Scudéri étoit un cenfeur malin, groffier, fans lumières, fans goût; il a eu cent imitateurs.

Les plus fages, effrayés des difficultés que prefente ce genre de Critique, ont pris modeftement

le parti de ne faire des ouvrages de Théâtre que de fimples analyfes: c'eft beaucoup pour leur commodité particulière, mais ce n'eft rien pour l'avantage des Lettres. Suppofons que leur Extrait embraffe & dèvelope tout le deflein de l'ouvrage, qu'on y remarque l'ufage & les rapports de chaque fil qui entre dans ce tiffu; l'analyse la plus exacte & la mieux détaillée fera toujours un rapport infuffifant, dont l'auteur aura droit de fe plaindre. Rappelons-nous ce mot de Racine, Ce qui me distingue de Fradon, c'est que je fais écrire: cet aveu eft fins doute trop modefte; mais il eft vrai du moins que nos bons auteurs diffèrent plus des mauvais par les détails & le coloris, que par le

fonds & l'ordonnance.

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Combien de fituations, combien de traits, de caractères, que les détails préparent, fondent adouciffent, & qui révoltent dans un Extrait? Qu'on dife fimplement du Mifanthrope, qu'il eft amoureux d'une coquette, qui joue cinq ou fix amants à la fois; qu'on dife de Cinna, qu'il confeille à Augufte de garder l'Empire, au moment où il médite de le faire périr comme ufurpateur; quoi de plus choquant que ces difparates? Mais qu'on life les fcènes où le Mifanthrope fe reproche fa paffion à lui-même, où Cinna rend raifon de fon deffein à Maxime, on trouvera dans la nature ce qui choquoit la vraisemblance. Il n'eft point de couleurs qui ne fe marient: tout l'art confifte à les bien nuancer; & ce font ces nuances qu'on néglige de faire appercevoir dans les linéaments d'un Extrait. On croit avoir affez fait, quand on a donné quelques échantillons du ftyle; mais ces citations font très-équivoques, & ne laiffent préfumer que très-vaguement de ce qui les précède ou les fuit, vu qu'il n'eft point d'ouvrage où l'on ne trouve quelques endroits au deffus ou au deffous du ftyle général de l'auteur. On eft donc injufte fans le vouloir, peut-être même par la crainte de l'être, lorfqu'on fe borne au fimple Extrait & à l'analyfe hiftorique d'un ouvrage de Théâtre. Que penferoiton d'un critique qui, pour donner une idée du S. Jean de Raphael, fe borneroit à dire qu'il eft de grandeur naturelle, porté fur une aigle, tenant une table de la main gauche, & une plume de la main droite: 11 eft des traits fans doute dont la beauté n'a befoin que d'être indiquée pour être fentie: tel eft, par exemple, le cinquième acte de Rodogune; tel eft le coup de génie de ce peintre, qui, pour exprimer la douleur d'Agamennon au facrifice d'Iphigénie, l'a repréfente le vifage couvert d'un voile: mais ces traits font auffi rares que précieux. Le mérite le plus général des ouvrages de Peinture, de Sculpture, de Poéfie, eft dans l'exécution; & dès qu'on fe bornera à la fimple analyfe d'un ouvrage de goût pour le faire connoître, on fera auffi peu railonnable que fi l'on prétendoit, fur un plan géométral, faire juger de l'architecture d'un palais. On ne peut donc s'interdire équitablement, dans un Extrait litté raire, les réflexions & les remarques infèparables

de la bonne Critique. On peut parler en fimple hiftorien des ouvrages purement didactiques; mais on doit parler en homme de goût des ouvrages de goût. Suppofons que l'on eût à faire l'Extrait de la tragédie de Phèdre; croiroit-on avoir bien inftruit le Public, fi, par exemple, on avoit dit de la fcène de la déclaration de Phèdre à Hippolyte : « Phèdre vient implorer la protection d'Hippolyte pour fes enfants, mais elle oublie à fa vue le deflein qui l'amène : le cœur plein de fon » amour, elle en laiffe échaper quelques marques.

Hippolyte lui parle de Théfée, Phèdre croit le >> revoir dans fon fils;-elle fe fert de ce détour pour » exprimer la paffion qui la domine. Hippolyte >> rougit & veur fe retirer; Phèdre le retient, ceffe » de diffimuler, & lui avoue en même temps la » tendreffe qu'elle a pour lui, & l'horreur qu'elle a » d'elle-même ».

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Croiroit-on de bonne foi trouver dans fes lecteurs une imagination affez vive pour fuppléer aux détails qui font de cette efquiffe un tableau admirable Croiroit-on les avoir mis à portée de donner à Racine les éloges qu'on lui auroit refufés, en ne parlant de ce morceau qu'en fimple hiftorien ? Quand un journaliste fait à un auteur l'honneur de parler de lui, il lui doit les éloges qu'il mérite, il doit au Public les Critiques dont l'ouvrage cft fufceptible, il fe doit à lui-même un ufage honorable de l'emploi qui lui eft confié : cet ufage confifte à s'établir médiateur entre les auteurs & le Public; à éclairer poliment l'aveugle vanité des uns, & à rectifier les jugements précipités de l'autre. C'eft une tâche pénible & difficile; mais avec des talents, de l'exercice, & du zèle, peut faire beaucoup pour le progrès des Lettres, du goût, & de la raifon. Nous l'avons déja dit, la partie du fentiment a beaucoup de connoiffeurs, la partie de l'art en a peu, la partie de l'efprit en a trop. Nous entendons ici par efprit, cette perf picacité qui analyse tout & même ce qui ne doit être analyfé.

on

pas

Si chacun de ces juges fe renfermoit dans les bornes qui lui font prefcrites, tout feroit dans l'ordre mais celui qui n'a que de l'efprit, trouve plat tout ce qui n'eft que fenti; celui qui n'eft que fenfible, trouve froid tout ce qui n'eft que penfé; & celui qui ne connoît que l'art, ne fait grâce ni aux pensées ni aux fentiments, dès dès qu'on a péché contre les règles: voilà pour la plupart des juges. Les auteurs, de leur côté, ne font pas plus équitables; ils traitent de bornés ceux qui n'ont pas été frapés de leurs idées, d'infenfibles ceux qu'ils n'ont pas émus, & de pédants ceux qui leur parlent des règles de l'art. Le journaliste eft témoin de cette diffention, c'est à lui d'être le conciliateur. Il faut de l'autorité, dira-t-il : oui fans doute; mais il lui eft facile d'en aquérir. Qu'il fe donne la peine de faire quelques Extraits, où il examine les caractères & les mœurs en philofophe, le plan & la contexture de l'intrigue en homme de l'art, les détails & le style

en homme de goû:: à ces conditions, qu'il doit être en état de remplir, nous lui fommes garants de la confiance générale. Ce que nous venons de dire des ouvrages dramatiques, peut & doit s'appliquer à tous les genres de Littérature. ( Voyez CRITIQUE.)

On a calculé qu'à lire quatorze heures par jour, il faudroit huit-cents ans pour épuifer ce que la bibliothèque du roi contient fur T'Hiftoire feulement. Cette difproportion défefpérante de la durée de la vie avec la quantité des livres, dont chacun peut avoir quelque chofe d'intéreffant, prouve la néceffité des Extraits. Ce travail bien dirigé feroit un moyen d'occuper utilement une multitude de plumes que l'oifiveté rend nuifibles; & bien des gens, qui n'ont pas le talent de produire, avec l'intelligence que la nature donne, & le goût qui peut s'aquérir, réuffiroient à faire des Extraits précieux. Ce feroit en Littérature un atelier public, où les défœuvrés trouveroient à vivre en travaillant les jeunes gens commenceroient par là; & de cet atelier il fortiroit des hommes inftruits & formés en différents genres.

:

Il n'y a point de mauvais livres dont on ne puiffe tirer de bonnes chofes, difent tous les gens d'efprit & de goût. Il n'y a pas non plus de fi bon livre dont on ne puifle faire un Extrait malignement tourné, qui défigure l'ouvrage & l'aviliffe c'eft le miférable talent de ceux qui n'en ont aucun; c'eft l'induftrie de la baffe malignité, & l'aliment le plus favoureux de l'envie; c'est par cette lecture que les fots fe vengent de l'homine d'efprit qui les humilie, & qu'ils goûtent le plaifir fecret de le voir humilié à fon tour. C'eft là qu'ils prennent l'opinion qu'ils doivent avoir des productions du génie, le droit de le juger eux-mêmes, & des armes pour l'attaquer. De là vient que, dans un certain monde, les plus chéris de tous les écrivains, quoique les plus méprifés, font des barbouilleurs de feuilles périodiques, qui travaillent les uns honteufement & en fecret & les autres à découvert avec une fière impudence, à dénaturer par leurs Extraits les productions du talent. On reproche à Bayle d'avoir fait d'excellents Extraits de mauvais livres, & d'avoir trompé les lecteurs par l'intérêt qu'il favoit préter aux ouvrages les plus arides; les Critiques dont nous parlons ont trouvé plus facile de dépouiller que d'enrichir, & le reproche qu'on fait à Bayle eft le feul qu'ils ne méritent pas.

Suggon l'ifteffo fior, ne prati Hiblei,
Ape benigna e vipera crudele ;

E fecondo gl'inflinti, o buoni, o rei,

L'una in tofte il converte, & l'altra in melle. (M. MARMONTEL.)

EXUBÉRANCE, f. f. Belles Lettres. En Rhétorique & en matière de Style, ce mot fignifie, une abondance inutile & fuperflue, par laquelle on emploie beaucoup plus de paroles qu'il n'en faut pour exprimer une chofe. Voyez PLÉONASME.

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