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ont un grand nombre d'efclaves, & il y a tel Seigneur qui en a plus de cent à fes maifons de campagne. Ceux qu'ils ont en Ville ne font pas nourris dans leurs logis ou leurs Hôtels, mais on leur donne fort petitement ce qu'ils ont à dépenser, avec quoi ils ne peuvent pas faire grand chere. Les Maîtres difpofent de leurs efclaves comme de leurs meubles, un pere même peut vendre fon fils, & l'aliener à fon profit ; mais les Mofcovites font fi glorieux, qu'ils n'en viennent pas volontiers à ces extremitez, & ils aiment mieux les voir mourir de faim chez eux, que de fouffrir qu'ils aillent fervir ailleurs. Il n'y a que les dettes qui les obligent fouvent à ces extremitez, d'autant plus que les enfans font obligez aux dettes de leurs peres, & de fouffrir le cruel traitement que l'on fait au mauvais payeur, ou de fe vendre eux-mêmes à leurs creanciers pour les acquitter.

La fujetion en laquelle ils font nez, & la nourriture groffiere que l'on leur donne, ou la frugalité à laquelle on les accoûtume dès leur premiere jeuneffe, font qu'on y trouve de bons foldats, capables de rendre de fort bons fervices, fur tout dans une Place affiegée &

étant bien difciplinez, nous avons vû depuis quelques temps, de quoi ils font capables, même dans les batailles rangées.

Les Mofcovites reglent leur menage fur le bien qu'ils poffedent, & d'ordi naire ils ne font pas grande dépense. Leurs meubles ne font pas plus précieux que leurs appartemens, & ne confiftent le plus fouvent qu'en trois ou quatre pots, & autant d'écuelles de bois & de terre. Il y en a qui en ont d'étain, mais fort peu, & à la referve de quelque taffe ou gobelet, il n'y a prefque point du tout d'argent : ils ne fçavent pas même ce que c'eft que d'écurer la vaiffelle; & felon Olearius celle qui fert au Grand Duc, n'eft pas mieux entretenuë que les pots de Taverne, que l'on ne nettoye qu'une fois l'an. Les plus aisez ne garniffent les murailles que de nattes.

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Ils n'ont point de lits de plumes : ils ne couchent que fur des matelats, ou fur des paillaffes, & même fur de la paille, où fur leurs habits, qu'ils accommodent l'êté fur un banc ou fur une table, & l'hiver fur les poiles, qui font plats comme en Livonie. C'est là où l'on trouve le maître & la maîtresse, les ferviteurs & les fervantes, les uns avec

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les autres; & même à la campagne les poules & les pourceaux fe retirent ordinairement dans une même chambre avec le maître du logis.

Ils ne connoiffent point nos ragoûts, & ne font point accoûtumez à nos viandes délicates : d'ordinaire ils ne vivent

qie de gruau, de navers, de navets, de choux &

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de concombres confits au fel & au vinaigre. Ils font pareillement leurs délices du poiffon falé. Ils ne peuvent manquer de bœuf, ni de mouton, vû les bons pâturages qui fe voyent par toute la Mofcovie & les forêts y nourriffent une fi grande quantité de pourceaux, qu'il ne fe peut qu'ils ne foient à bon marché : mais d'autant qu'ils craignent la dépenfe, & que d'ailleurs leur année eft compofée de plus de jours maigres que de gras, ils le font fi bien accoûtumez au poiffon & aux légumes, qu'ils méprifent la viande. Les Jeûnes frequens qu'ils ont les ont accoutumez à donner tant de façon à leur poiffon, à leurs herbes & aux légumes, & à les accommoder à tant de fauffes, qu'ils méprifent & fe paffent aisément des viandes que l'on eftime le plus ailleurs.

Le Peuple ne boit d'ordinaire que d'une petite biere qu'ils appellent Zuas,

ou

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de l'hydromel; mais ils ne font point de repas qu'ils ne commencent & ne finiffent par l'eau-de-vie commune. Les perfonnes de condition font leurs provifions de bonne biere double, de vin d'EL pagne & de toute autre forte de vin. La bonne biere fe braffe au mois de Mars, & ils la confervent l'êté dans des glacieres, où ils font une couche de glace & de neige mêlées ensemble, & enfuite une rangée de tonneaux.

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Ils n'eftiment, ni le vin du Rhin, ni celui de France, ne les trouvant pas affez forts; mais ils aiment l'hydromel, qu'ils préparent avec des cerifes, des fraifes des meures ou des framboifes: celui qu'ils font avec des framboifes eft le plus agréable de tous. Pour le bien faire ils laiffent tremper les framboifes dans de l'eau fraîche pendant deux ou trois nuits, & jufqu'à ce qu'elles en ayent attiré le goût & la couleur. Ils détrempent dans cette eau du miel vierge, mettant fur chaque livre de miel trois ou quatre li vres d'eau. Selon que l'on veut faire l'hydromel, doux ou fort, l'on y jette une rôtie frotée de lie ou de levure de biere, que l'on ôte dès que l'hydromel commence à cuver, de crainte qu'il ne prenne un mauvais goût : fi on defire qu'il

cuve long-tems, on le laiffe dans un lieu chaud; ou dans un lieu frais, fi on le veut boire plus promtement. Pour lui donner un goût relevé, l'on y met dans un linge un peu de canelle, cardamon avec quelques clous de geroffle. Il y en a qui au lieu d'eau font détremper les framboifes vingt-quatre heures dans de l'eau-de-vie commune, qui donne un goût merveilleux.

L'hydromel commun fe fait avec du miel, où la cire eft encore attachée, qu'ils battent dans de l'eau tiede, le remuant fort; & après l'avoir laiffé repofer pendant fept ou huit heures, ils le paffent dans un fas, le font bouillir, l'écument; & fans y apporter d'autre fa-. çon ils l'expofent en vente.

Les perfonnes de condition font obligées de paroître dans leur fuite & dans leur dépenfe; mais elle n'eft pas fi grande que l'on fe pourroit imaginer. Car encore qu'ils ayent jufqu'à cinquante ou foixante efclaves & plus, que leur écurie foit bien garnie, & que même fouvent ils faffent de grands feftins, où on fert quantité de viande, de biere, de vin, d'hydromel, leurs maifons de campagne & leurs maitairies fourniffent prefque tout ce qu'il faut pour la table, & ils

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