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de materiaux. Le Prince fut fi irrité de cette difgrace qu'il devint mon ennemi irreconciliable, & comme il étoit allié aux plus grandes Familles, fon credit me porta beaucoup de préjudice auprés du Seigneur fous qui je fervis enfuite.

Outre le dégoût general que prefque tous les vieux Boyars avoient pour tous les nouveaux deffeins où le Czar s'engageoit par l'avis des Etrangers, au delà de ce que fes Predeceffeurs avoient entrepris, le Prince Gollitzen avoit une raison particuliere de regarder ce travail avec chagrin; voici pourquoi. Aprés que le CoIonel Breckell eut fi mal pris fes mefures pour la premiere éclufe qu'il fit, laquelle manqua d'abord par les fondemens, & fe trouva, s'il faut ainfi dire, en l'air; comme il comprit qu'il n'avoit l'habileté neceffaire pour un ouvrage de cette nature, & qu'il craignoit les dangereufes confequences qui en pourroient refulter contre lui dans un Gouvernement arbitraire, il deferta, comme je l'ai déja dit, & écrivit enfuite au Czar une lettre de plaintes contre le Prince Gollitzen, dans laquelle il alleguoit qu'on ne lui avoit jamais fourni ce qui étoit neceffaire pour cet ouvrage, & fe plaignoit en particulier du mauvais traitement qu'il avoit reçû de ce Sei

pas

gneur, qui étoit fort oppofé à ce travail, & qui l'avoit frappé de fa canne, & menacé de le faire pendre. Ceci arriva pendant que le Czar étoit dans fes Voyages hors de fes Etats. A fon retour fa Majefté ayant accufé ce Seigneur de n'avoir pas répondu à la confiance qu'elle avoit eue en lui, celui-ci devint fouverainement prevenu contre cet ouvrage, & le décrioit comme une chofe dont il étoit impoffible de venir à bout. Il le reprefentoit comme étant à charge au Païs, à cause du grand nombre d'hommes qu'il falloit employer, & faifoit tous fes efforts pour le faire regarder comme impoffible, dans la penfée où il étoit, disoitil, que Dieu avoit affigné un certain cours aux rivieres, & que c'étoit trop de prefomption aux hommes de croire qu'ils pourroient leur en faire prendre un autre.

Dés que je fus arrivé à Mofcou, en vertu de l'ordre dont j'ai parlé, je presentai un Placet pour demander les appointemens qui m'étoient dûs, que j'avois efperé de recevoir, & dont on ne m'avoit pas encore payé un fou, n'ayant eu jufqu'alors que 25 Rubles * par mois pour ma fubfi

* Un Ruble eft 100 Copexs de Mofcovie, dont chacun valoit alors un fou d'Angleterre; mais depuis que le Czar a fait reformer fa monnoye, ce n'eft plus qu'un peu au de-là de la moitié de la valeur precedente.

ftance, qui m'avoient été accordez par ordre exprés du Czar à mon arrivée dans le Païs, & qui me devoient être payez à part, outre les 300 livres sterling par an que je demandois.

Dans ce temps là, Monfieur Apraxim, à qui le Czar avoit donné peu auparavant la Surintendance du travail pour la communication des Fleuves, qui avoit alors l'inspection en chef de la conftruction des Vaiffeaux, & qui fut fait depuis Grand Amiral, voulut bien s'entretenir avec moi au fujet des Vaiffeaux de fa Majefté qui étoient à Veronize, * lefquels étant faits de bois verd, étoient en peu de temps tombez dans une fi grande décadence, qu'ils ne pouvoient être mis en carêne pour recevoir le radoub, & étoient prêts à s'enfoncer dans la riviere. Sur cela je dis à ce Seigneur qu'il y avoit une metho

de

que je croyois qu'on pourroit mettre en pratique fur cette riviere, ou quelque autre part auprés, fans mettre les Vaiffeaux en carêne, ou fans les trop ferrer en les mettant fur le fec pour leur donner le radoub; ce qu'on pourroit executer en arrêtant le cours de la riviere par le moyen d'un batardeau, & faifant une grande

Veronize est une Ville fituée fur la riviere de ce nom qui fe jette dans le Don.

éclufe pourvûë de portes, & fuffifante pour l'écoulement des eaux, & une autre éclufe à deux grandes portes où les Vaiffeaux puffent paffer, & qu'on fermeroit quand on voudroit, & qu'ainfi l'eau croîtroit affez haut pour porter les plus gros Vaiffeaux fur terre, & pour les en tirer en tout temps. Ce Seigneur me répon dit que fi ce que je difois fe pouvoit executer, ce feroit rendre un fervice trésagreable dans cette occafion, & m'aflura qu'en cela je ferois beaucoup mieux fourni d'hommes & de materiaux, que je ne l'avois été par le Prince Gollitzen; & que non feulement il me payeroit exactement mes appointemens pendant que je ferois fous fon commandement, mais que même il feroit mon Patron, & m'aideroit pour me faire recevoir tous mes arrerages que je demandois, dés que j'aurois fait cet ouvrage qui feroit d'une grande utilité au Czar pour l'établiffement de la Flotte qu'il deftinoit contre les Turcs.

Je fus donc envoyé à Veronize en 1702, & je choifis à l'embouchure de la riviere un endroit qui me parut le plus commode pour faire monter l'eau à la hauteur requife, afin d'y pouvoir mettre les Vaiffeaux à fec fur les blocs, au-deffus de la furface ordinaire de la riviere. Dans un

peu plus de feize mois j'achevai cet ou vrage d'une maniere dont on fut fatisfait, ayant, dés que les éclufes eurent été fermées, mis quinze Vaiffeaux à terre, parmi lefquels il y en avoit de cinquante pieces. Ces Vaiffeaux furent mis tout droits fur des blocs pour être radoubez, comme nous faifons en Angleterre dans nos chantiers. Ceux qui se trouverent defectueux furent dépouillez & reparez: on changea la charpente de quelques-uns, & à d'autres la Poupe & l'Estambord, & dés qu'ils étoient remis à flot, on en mettoit d'autres à leur place.

Cependant bien que cet ouvrage fût achevé, & qu'on en fût fort fatisfait, lorfque je demandai mes appointemens avec les arrerages qui m'étoient dûs, & que j'avois efperé de recevoir, felon la promeffe qui m'en ayoit été faite, l'Amiral Apraxim me renvoya à un autre temps, c'est-à-dire, jufqu'à ce que j'euffe fait un autre ouvrage qu'on m'ordonna fur la même Riviere, me promettant que lorfque celui-ci feroit fini, je recevrois fans faute tout mon argent.

Dans le temps que l'ouvrage dont j'ai parlé fut achevé, le Czar vint lui-même à Veronize, & donna fes ordres pour la réparation des Vaiffeaux qui étoient à

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