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de l'approcher, je lui fus recommandé par Mylord Marquis de Carmarthen, aujourd'hui Duc de Leeds, par M. Dummers alors Infpecteur de la Marine, & par quelques autres, comme un homme qui pourroit lui être de quelque utilité à divers égards, par rapport au deffein qu'elle avoit formé d'équiper une Flotte, de rendre fes Rivieres navigables, &c. Aprés qu'elle fe fut entretenue avec moi, particuliérement fur les moyens de faire une communication entre le Fleuve Wolga & le Don, je fus pris à fon fervice par fon Ambassadeur le Comte de Gollow in, qui convint avec moi qu'on me donneroit 300 livres fterling, outre les frais tant des Voyages que je ferois obligé de faire que de ma fubfiftance, à quoi que je puffe être em. ployé, & une recompenfe dont je ferois content pour chaque ouvrage que j'acheverois.

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Bien-tôt aprés que mon accord eut été conclu, le Czar partit pour la Hollande, & je fus à fa fuite. Je fis en ce Païs-là des obfervations autant que j'en pus trouver l'occafion; aprés quoi je fus envoyé directement à Mofcou, avec des ordres de me dépêcher inceffamment vers la Pro

* La livre fterling valloit pour lors i3 à 14 livres, monnoye de France.

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vince d'Aftracan, éloignée de Moscou d'environ mille Wurft, ou miles de Ruffie, pour y examiner un ouvrage que Sa Majesté Czarienne avoit projetté, & auquel une autre perfonne avoit été employée, afin de procurer cette communication dont j'ai parlé entre la Mer Cafpienne & la Mer Noire, de telle forte que des Vaiffeaux tant de Guerre que Marchands puffent paffer de l'une dans l'autre par le moyen du Wolga & du Don. Le premier de ces grands Fleuves, aprés avoir coulé entre trois & 4000 miles de Ruffie dans les Etats du Czar, fe jette dans la Mer Cafpienne; & l'autre, dont le cours eft d'environ la moitié moins long, tombe dans la Mer Noire par le Palus Meotide ou Mer de Zabache.

Ces deux grandes Rivieres font éloignées l'une de l'autre d'environ 140 miles de Mofcovie; mais cette diftance eft fort diminuée par deux petites Rivieres, dont l'une appellée Lavla se jette dans le Don, & l'autre qu'on nomme Camishinka fe perd dans le wolga. C'étoit dans ces deux dernieres Rivieres qu'il falloit faire

* Un Vrft, ou mile de Ruffie eft de 1504 pieds d'An gleterre, ce qui fait environ deux tiers du mile d'Angle terre, & le mille d'Angleterre eft environ le tiers d'une heure de chemin, de forte qu'il faut cinq VVurk pour une heure de chemin.

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des éclufes pour les rendre navigables, aprés quoi il n'y avoit qu'à ouvrir un Canal, à travers les terres, dans l'endroit où ces deux Rivieres s'approchent le plus, ce qui n'eft qu'un efpace d'environ 4 miles de Ruffie. Si cet ouvrage étoit conduit à fa perfection, il feroit extrémement avantageux au Païs du Czar, principalement en cas de guerre avec les Turcs, les Tartares de la Črimée, la Perse ou quelqu'un des Païs voifins de la Mer Caf pienne. Le deffein de cette communicarion fe voit dans la carte generale qu'on trouve dans ce Livre.

Cet ouvrage avoit été commencé par un M. Breckell, Allemand de nation, qui étoit Colonel dans l'Armée du Czar, & qui avoit la reputation d'être fort bon Ingenieur par rapport aux fortifications & autres chofes de cette nature; mais il avoit fans doute fort peu de connoiffance de ce dont il s'étoit chargé, car il traça le Canal d'une maniere étrange à ne pouvoir pas fe juftifier, & la premiere éclufe qu'il fit étoit comme en l'air; c'eft-à-dire, qu'il laiffa un espace vuide fous les fondemens, par où l'eau prit fon cours dés qu'on eut fermé les portes de l'éclufe. Cela fit qu'en arrivant à Moscou l'hyver fuivant, il de

Un peu plus de trois quarts d'heure de chemin,

manda un Paffeport pour un de fes domef tiques qui devoit, à ce qu'il faifoit entendre, aller querir quelque chofe dont il avoit befoin pour fon ouvrage, & il fe fervit lui-même de ce Paffeport pour échaper & fortir du Païs.

Le Czar en fut averti dans le temps qu'il étoit en Angleterre, ce qui l'obligea à me faire partit avant lui pour aller examiner fi l'ouvrage pouvoit être executé. Je me rendis donc fur les lieux felon fes ordres, & je pris infpection de tout, dans la même année que j'étois entré au fervice de fa Majefté. J'en fis un deffein & un devis que j'eus l'honneur de lui prefenter à Mofcou, lorfqu'elle fut de retour de fes Voyages, & je lui reprefentai que l'ouvrage commencé par M. Breckell n'avoit pas été bien entendu. Sa Majefté qui comprit fort bien les raifons que je lui alleguois, voulut bien m'ordonner de me charger de cet ouvrage, & de faire commencer un Canal dans un autre endroit que j'avois propofé comme plus praticable, & où il y avoit beaucoup moins de travail & moins à creufer, & qui étoit en même temps beaucoup plus propre à y placer des éclufes.

Je fus occupé à cet ouvrage pendant trois êtez confecutifs. J'avois demandé

pour cela 30000 hommes; mais je n'en ai jamais eu la moitié, & la derniere année on ne m'en donna pas 10000, ni les ouvriers & les materiaux qui auroient été neceffaires. Tous les Hivers, lorfque j'étois de retour à Moscou, je reprefentois par un memoire au Czar lui-même, la neceffité qu'il y avoit que je fuffe mieux pourvû de ce dont j'avois befoin, particulierement pour faire des éclufes. Mais le Czar ayant perdu environ ce temps-là une bataille à Narva, & la Guerre contre la Suede, qui demandoit alors un plus grand nombre de troupes & plus d'argent, continuant toûjours, je reçûs ordre fur la fin de l'an 1701, de faire celler cet ouvrage pour quelque temps, de laiffer là l'un des Officiers qui m'affiftoient, pour avoir l'œil fur ce qui étoit déja fait, & de m'en revenir à Mofcou avec les autres, quoiqu'il y eut des éclufes prefque achevées, & que le Canal fut à demi creusé. De là je fus envoyé à Veronize pour un autre ouvrage, & le Czar ôta au Kneaz (ou Prince) Allexyeavich Gollitzen le Gouvernement du Royaume d'Aftracan, où fe faifoit la communication des deux Fleuves, pour avoir formellement découragé cet ouvrage, & ne m'avoir pas fourni ce qui m'étoit neceffaire d'hommes &

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