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Énée déplore son malheur en ces termes :

Ceux vraiment sont heureux

Qui n'ont pas le moyen d'estre fort malheureux, Et dont la quafité, pour estre humble et commune, Ne peut pas illustrer la rigueur de fortune. La Grange a laissé aussi quelques poésies d'un style aussi naïf que sa tragédie. A. J.

Parfaict frères, Histoire du Théâtre-Français, t. II, p. 380.- Du Verdier de Vauprivaz, Biblioth. française. LA GRANGE D'ARQUIEN DE MONTIGNY (François DE), maréchal de France, né en 1554, mort le 9 septembre 1617. Élevé près de Henri III, il devint successivement gentilhomme ordinaire de sa chambre, capitaine de cent gentilshommes de sa maison et son premier maître d'hôtel. En 1575 il était gouverneur de Bourges et capitaine d'une compagnie de gendarmes. A la bataille de Coutras, le 20 octobre 1587, il fut fait prisonnier par le roi de Navarre, et rendu à la liberté sans rançon. Il reçut une blessure à l'attaque du faubourg de Tours, le 7 mai 1589. Nommé gouverneur et lieutenant général en Berry, le 11 juin, il combattit à Ivry, le 14 mars 1590. En 1591 il obligea La Châtre de lever le siége d'Aubigny, et accompagna le roi au siége et à la prise de Chartres. Secondé par d'Entragues, il battit du Coudray, près d'Orléans, marcha sur la Normandie, et se signala au combat d'Aumale. Il assista au siége de Rouen en 1592. En février 1594 il se démit du gouvernement du Berry, qui fut rendu à La Châtre. La même année il défit, près de La Fère, une escorte espagnole qui conduisait un convoi à Laon. Créé chevalier des Ordres du Roi en 1595, il suivit le roi au combat de Fontaine-Française, le 5 juin. Le 28 juillet il fut nommé mestre de camp général de la cavalerie légère, et il commanda cette arme au siége d'Amiens en 1597. Le 20 juillet de la même année il reçut le brevet de maréchal de camp. Après la paix conclue en 1598 il obtint la lieutenance générale du gouvernement de Paris le 2 juin 1600, puis la lieutenance générale du pays Messin le 11 mai 1607, et le gouvernement de Verdun le 29 juin suivant. Nommé, le 20 juin 1610, lieutenant général et commandant la cavalerie de l'armée sous les ordres du maréchal de La Châtre, dans le pays de Julliers, il tomba malade, et n'arriva que deux jours avant la réduction de Julliers. En 1611 il se démit de la charge de mestre de camp général de cavalerie en faveur de son gendre, le comte de Saint-Aignan, et en 1613 de la lieutenance générale du pays Messin en faveur de son fils. En 1615 il fut employé dans l'armée du duc de Guise contre les princes mécontents. Fait maréchal de France le 1er septembre 1616, et capitaine de cent hommes d'armes, il prit le commandement de l'armée royale en Berry, força la grosse tour de Bourges à capituler, et soumit à l'obéissance toutes les places de cette province qui tenaiant pour le prince de Condé. Il commanda ensuite l'armée du Bourbonnais et du Nivernais, et prit,

en 1617, Coisy, Clamecy, Donzy et Antrain, et s'empara du prince de Porcien, second fils du duc de Nevers. J. V.

Pinard, Chronologie militaire, tome II, p. 422. Père Daniel, Histoire de France. P. Anselme, Histoire chron. et généal. de la Maison de France, des Pairs, des Grands-Officiers de la Couronne. Sully, Mémoires. Moréri, Grand Dict. Hist. -De Courcelles, Dict. hist. et biog. des Généraux Français.

LAGRANGE D'ARQUIEN ( Henri DE), prélat français, né à Calais, en 1613, mort le 24 mai 1707, à Rome. Descendant d'une ancienne maison établie dans le Berry au milieu du quinzième siècle, il embrassa la carrière des armes, et devint capitaine des gardes suisses de Philippe, duc d'Orléans, frère de Louis XIV. Il épousa Françoise de La Châtre de Brillebaut, dont il eut plusieurs enfants. Sa fille cadette, Marie-Casimire, épousa Jacob de Radziwill, prince de Zamosk et palatin de Sandomir. Devenue veuve, elle épousa, le 6 juillet 1665, Jean Sobieski, grand maréchal de Pologne, qui fut élu roi de ce pays, le 20 mai 1674. Le marquis d'Arquien passa alors en Pologne. Sa fille tenta de le faire nommer duc et pair de France, mais elle n'y réussit pas; elle fut plus heureuse du côté de l'Église, et Innocent XII le créa cardinal en 1695. Sobieski mourut l'année suivante; la reine, n'ayant pu faire élire sen fils, se retira à Rome avec son père. Sept ans après la mort du cardinal d'Arquien, sa fille revint en France; le roi lui donna pour résidence le château de Blois, où elle mourut le 30 janvier 1716. Son corps fut porté à Varsovie et inhumé auprès de celui de son mari. J. V.

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P. Anselme, Histoire chron. et généal. de la Maison de France, des Pairs, Grands-Officiers de la Couronne.- La Thaumassière, Histoire de Berry. Duchesne Mémoires manuscrits de la Maison de La Grange. Moréri, Grand Dict. Histor. LA GRANGE-CHANCEL (François-Joseph de Chancel, dit DE), poëte dramatique français, né le 1er janvier 1677 (1), au château d'Antoniat, près de Périgueux, mort au même lieu, le 26 décembre 1758. La vocation du jeune Joseph fut des plus prématurées, s'il faut en croire les curieux détails autobiographiques de la préface de Jugurtha. « Je ne sçavois pas lire que je sçavois rimer. » A peine sut-il lire qu'il se passionna pour les tragédies de Corneille et les romans de La Calprenède, et leur dut ses premières larmes. Le père de La Grange, décidé à lui imposer la carrière des armes, ne cessait de gourmander ces goûts romanesques, que l'indulgence maternelle favorisait en les partageant. Le père, inflexible et positif, ne tarda pas à mourir, et les fréquents auto-da-fé qu'il avait faits dans l'espoir de dégoûter son fils des romans dont il se nourrissait lui firent sentir moins vivement, de son propre aveu, la perte qu'il faisait. La Grange put, sous la tolérante domination de cette mère dont il était le favori et que son affection pour ses enfants détermina à un perpétuel veuvage, se replonger

(1) Et non en 1676, comme disent quelques biographes.

de nouveau dans les tragédies et dans les romans. Son entrée au collège de Périgueux, tenu par les jésuites, interrompit seule et naturellement la liberté de ces essais informes et de ces lectures solitaires. Le petit La Grange-Chancel devint facilement le héros du collège de Périgueux, où il domina ses camarades et étonna ses maîtres par une intelligence et une malignité précoces. A huit ans l'enfant prodige était en cinquième et faisait des vers sur tous les sujets qu'on lui proposait. A huit ans il corrigeait lui-même, non sans s'en moquer, les vers de son maître dans une décla mation où il devait jouer le premier rôle. Aigries de bonne heure par ces premières et domestiques persécutions qui froissent à jamais les âmes tendres, encouragées d'ailleurs par d'imprudents applaudissements, ces dispositions poétiques et satiriques du jeune La Grange ne connurent bientôt plus de frein et commencèrent à porter leurs fruits. C'est à Bordeaux, où la mère de La Grange, enivrée d'éloges et d'espérances, avait conduit son fils et s'était fixée elle-même, dans le but de procurer à son génie naissant un plus vaste et plus digne théâtre, que le jeune écolier vit pour la première fois et voulut aussitôt jouer la comédie. La mère, idolâtre, fit construire dans une salle basse un théâtre en miniature, sur lequel, les jours de congé, quatre ou cinq bambins comme lui montèrent publiquement et déclamèrent les essais dramatiques du jeune impresario devant un auditoire composé des sommités de la province, attirées par la nouveauté d'un tel spectacle. Par un précoce instinct de ce génie de l'actualité et de la satire qui devait lui valoir tant de succès et tant de malheurs', le jeune La Grange, avec cette audace d'un âge qui se sait inviolable, avait traduit sur sa scène novice les héros d'une aventure arrivée depuis peu. Les ridicules provinciaux sont peu endurants de leur nature. Les premières victimes, de l'enfant terrible se fâchèrent tout rouge, et un certain gentilhomme d'Agénais, plus courroucé que les autres, menaça tout net l'auteur de lui donner le fouet. La Grange en fut quitte pour la peur; mais la mère, effrayée, fit démonter ces téméraires tréteaux, et son fils ne joua plus la comédie qu'au collége. Il en sortit à l'âge de quatorze ans, après les succès d'usage, et partit aussitôt pour Paris, avec la tragédie de rigueur. Cette tragédie, inspirée par la lecture de Salluste, s'appelait alors Jugurtha et devait s'appeler Adherbal. M. de La Chapelle, voisin au Temple de la famille expatriée, reçut la confidence de cet ouvrage, et s'empressa d'être indiscret. De confidence en confidence et d'indiscrétion en indiscrétion, La Grange se vit mandé à la cour, et après une exhibition solennelle et victorieuse de ses talents, reçut alors une place de page auprès de la princesse de Conti, fille de Louis XIV et de Mile de La Vallière, récompense du chef-d'œuvre des bouts rimés. La princesse sa maîtresse, devenue aussitôt sa protectrice, ne négligea rien

pour lui multiplier les admirateurs et les amis. Louis XIV voulut voir l'imberbe poëte, qui sut se montrer non moins précoce courtisan. A la suite d'une seconde épreuve, non moins décisive que la première en faveur de sa présence d'esprit, il fut résolu qu'on ne négligerait rien pour former ce génie extraordinaire, et Racine lui-même fat chargé d'élever cet enfant, sublime espoir de la tragédie. C'est grâce à ses conseils que la tragédie de Jugurtha fut mise en état d'être représentée et fut représentée (sous le nom d'Adherbal, changement nécessité par l'échec de mauvais augure d'une tragédie de Péchantré qui venait de tomber), le 8 janvier 1694, sur le théâtre des Fossés-Saint-Germain. Le prince de Conti voulut y avoir l'anteur à ses côtés sur les bancs de la scène, afin, disait-il, que son âge désarmât les critiques, et le succès de la pièce fut consacré par les applaudissements de Racine pénitent, revenu sur l'ancien théâtre de sa gloire pour y saluer le premier la gloire naissante de son élève. Cette visite du grande poëte fut son dernier adieu aux choses profanes. De 1694 à 1713, La Grange, qui réussissait également au théâtre et à la cour, traversa une assez longue série de succès et d'emplois. Tour à tour pourvu, grâce à l'active sollicitude de sa protectrice, la princesse de Conti, d'une lieutenance au régiment du Roi, passé de là aux mousquetaires, corps plus sédentaire et où l'attirait l'espoir de loisirs nécessaires à ses études et à ses goûts, l'ex-page paraît enfin s'être fixé dans la charge de maître d'hôtel honoraire de Madame, duchesse d'Orléans, et mère du futur régent. Au théâtre, Oreste et Pylade (1697), Méleagre (1699), Athénaïs (1699), Amasis (1701), Alceste (1703), signalèrent la veine heureuse et féconde de notre poëte, qui, en 1702 et en 1706, ajouta encore les deux opéras de Méduse et de Cassandre à sa gerbe dramatique. En 1709, La Grange, faisant trêve aux hymens tragiques, se maria bien et dûment pour son propre compte. Il épousa, durant un de ses voyages en province, Mlle du Cluzel de La Chabrerie, sœur (1) du fermier général de ce nom. C'est surtout vs 1713 que La Grange, qui était déjà en possession de sa charge auprès de Madame, semble s'être lié avec le duc de La Force, qui, tour à tour son ami et son ennemi, son Mécène et son plagiaire, devait jouer dans la vie de notre poëte des rôles si importants et si divers. Cette intimité allat-elle même jusqu'à cette noble domesticité dont les grands seigneurs d'alors faisaient un des priviléges de leur rang et de leur fortune? La Grange fut-il, comme l'insinue le Journal de Mathieu Marais, l'intendant, le secrétaire, le commis du duc de La Force? L'orgueil du poëte lui a fait dérober à la curiosité souvent maligne des biographes tout détail à cet égard, et nos

(1) Et non fille, comme le prétendent quelques biographes.

recherches n'ont pu suppléer à ce silence. C'est en 1713 que La Grange publia Ino et Mélicerte, qui est, avec Amasis, sa meilleure tragédie. De son propre aveu, un ami peu scrupuleux, trahissant à la fois l'honneur et l'amitié, avait abusé de sa confiance au point de prendre les devants et de faire représenter la pièce sous son nom. Obligé de rendre sa pièce, devant les énergiques réclamations du poëte frustré, le duc bel esprit se serait offert dans une préface louangeuse, qu'il signa La Grange Chancel, le pardon et le dédommagement de sa fraude. Telle fut, selon La Grange lui-même, la cause première et assez légitime, il le faut reconnaître, de cette haine mutuelle dont les Philippiques furent la foudroyante explosion. C'est encore La Grange qui s'est chargé de nous apprendre que ce pamphlet infernal fut beaucoup moins dirigé contre le prince régent que contre un indigne favori auquel il avait, par insouciance ou par calcul, donné raison contre la victime. C'est sans doute dans la solitude aigrie de son exil du Périgord, où le crédit du duc l'avait envoyé attendre l'issue d'un procès ainsi violemment interrompu, que La Grange combina le plan de son immortelle vengeance. C'est là qu'il aiguisa et réunit en un faisceau ces trois odes philippiques, dont les frondeurs de la ville et de la cour, du parlement et des cafés, exaspérés par le système et enhardis par l'impunité, murmuraient déjà quelques fragments mis en circulation par les indiscrétions intéressées de quelque familier de Sceaux, ой l'ambition de la duchesse du Maine préparait dans des fêtes hypocrites une conspiration qu'elle se flattait en vain de voir dégénérer en révolution. C'est pour aider au succès de cette échauffourrée, dite complot de Cellamare, ou pour en pallier l'échec, qu'un jour du milieu de l'année 1720 éclatèrent tout à coup ces fameuses strophes pleines de toutes les colères et de toutes les espérances de cette mesquine opposition qui s'était ralliée aux princes bâtards. Tous les moyens furent bons pour précipiter cette div'ration si rapide, si populaire, qu'elle couvrit en un instant la France de copies du libelle. La philosophique insouciance du régent n'aida pas peu, en la bravant, l'industrieuse rancune de ses ennemis. Bien loin de s'effrayer de ce libelle, dont ses amis n'osaient parler qu'en tremblant, le prince exigea du duc de Saint-Simon la pénible communication de ces horreurs réunies, et c'est à grand peine qu'il put trouver dans ce fidèle ami un courage à la hauteur du sien. Il faut lire dans SaintSimon cette fameuse scène de la lecture «< dans le petit cabinet d'hiver » du duc d'Orléans. Le prince calomnié ne perdit point le sang-froid qui avait abandonné le lecteur, et il osa trouver beaux les vers qui le déchiraient, jusqu'au moment où une insulte, plus habile que les autres, trouva le chemin de son cœur, et en fit jaillir des larmes qui suffiraient à la défense NOUV. BIOGR. GÉNÉR.

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F. XXVII.

d'un homme qui eut tous les vices sans être jamais capable d'un crime. Et de quel crime? D'un régicide accompli sur la personne de Louis XV enfant. Pendant ce temps La Grange, pour se créer sans doute une espèce d'alibi moral, troublait par le projet d'une académie la tranquillité des habitudes périgourdines, et dans les intermèdes de cette petite révolution littéraire écrivait à Voltaire cette épître sur dipe qui, si elle arriva à son adresse, demeura sans réponse. Cependant le duc d'Orléans, à qui la voix publique dénonçait le coupable, eût voulu l'épargner. Peut-être l'eût-il fait, si la haine du duc de La Force ne fût venue au secours de la sienne, prête à oublier. C'est grâce aux instigations du duc et aux poursuites de cet ennemi acharné que La Grange, traqué par les exempts du maréchal de Berwick, commandant en Guienne, faillit tomber entre leurs mains. Il fut assez heureux pour leur échapper, et pour passer à Avignon, terre d'asile, où, bien accueilli par le légat, il eût pu braver, à l'abri de l'inviolabilité pontificale, toute persécution, si, ne pouvant être pris par la force, il n'eût été livré par la trahison. Enfermé aux îles Sainte-Marguerite, le satirique y resta près de deux ans, ne songeant qu'aux moyens d'en sortir. Aussi souple qu'insolent, le pamphlétaire, devenu flatteur, sut s'y concilier la confiance du gouverneur, qui lui accorda quelques adoucissements qu'une Ode au duc d'Orléans lui-même ne contribua pas peu à multiplier. Dès qu'il vit ses liens relâchés le poëte, prétendu repentant, profita de ces bonnes dispositions pour préparer et exécuter une évasion incroyable, dans laquelle il eut l'art d'entraîner jusqu'à son escorte. Jeté par la tempête sur les côtes de Sardaigne, il y reçut du roi une généreuse mais impatiente hospitalité. Il s'embarqua bientôt pour l'Espagne, où ses services dans l'intrigue et la satire lui paraissaient devoir trouver une récompense qui ne vint pas. On éluda les promesses, on essaya de se débarrasser par le poignard de cet hôte incommode et de ce solliciteur farouche. La paix conclue avec la France enleva au poëte vagabond sa dernière espérance, et la Hollande vit aborder sur ses côtes le héros déçu de tant d'odyssées. Déclaré citoyen d'Amsterdam, La Grange aftendit, en faisant représenter ses tragédies et en composant la quatrième Philippique, une délivrance que pouvait seule accomplir la mort du régent. C'est quinze mois environ après le trépas subit de ce prince, salué par la cinquième Philippique, qu'en dépit des offres brillantes du roi de Pologne, Stanislas, La Grange revint à Paris, dont le duc de Bourbon, reconnaissant de certains renseignements secrets dont le proscrit avait payé la rançon de l'exil, lui rouvrit l'accès. Il ne tarda pas à revenir en Hollande, pour certaine commission assez mal définie, et ce n'est qu'à partir de 1729 qu'il est permis de signaler son retour, suivi de très-près de la représenta

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tion des Jeux Olympiques (12 novembre 1729). Les Jeux Olympiques, tragi-comédie, et Erigone, tragédie, sont les deux derniers témoignages d'une verve qui s'éteint. La tragédie pieuse de Cassius et Victorinus consacre l'adieu dit à la Muse profane. C'est le : « Je suis chrétien !'» du poëte satirique repentant. Cette pièce est précédée d'une ode à la princesse de Conti, d'un souffle lyrique bien supérieur à celui des Philippiques, où l'on sent souvent, faute de conviction, l'inspiration défaillir. Dégoûté par le double échec d'Orphée, qui ne put être représenté à Fontainebleau, et de Pygmalion, nettement refusé par les comédiens, La Grange abandonna la tragédie et se réfugia dans l'histoire.

Nous dirons peu de chose de ses travaux en ce genre inédits, et qui ne méritent pas de cesser de l'être. On peut consulter du reste à la Bibliothèque impériale les fragments de cette Histoire du Périgord que, de concert avec Chevalier de Coblens, son collaborateur, il avait poussée jusqu'aux comtes héréditaires. Tout ce qui restera de La Grange historien, c'est cette fameuse lettre à Fréron, où il voit et cherche en vain à faire voir dans le duc de Beaufort le véritable titulaire de ce Masque de fer qu'on a prêté à tant de personnages divers. Hélas! le meilleur titre de La Grange en histoire n'est qu'un roman. Toute la dernière partie de la vie de La Grange fut absorbée par cette entreprise, par un nouvel essai, infructueux comme le premier, de fondation d'une académie à Périgueux, par des procès qui perpétuèrent la haine de ses ennemis et surtout par des querelles domestiques qui ne le cèdent en rien en âprêté à ses querelles littéraires. Il était réservé à son fils, le seul que lui eût laissé la fatale journée de Dettingen, de recevoir les derniers assauts de cette humeur morose et de cette impatiente intolérance qui distinguaient cet homme, qui avait cependant tant besoin d'indulgence pour lui-même. Un mariage imprudemment contracté, sans l'aveu paternel, réveilla sur la tête de M. de Nisor, fils du poëte, ces foudres satiriques auxquelles J.-B. Rousseau, La Motte, Roy et Voltaire avaient tour à tour servi de but. Ce qu'il y eut en effet dans ce procès, que La Grange perdit, de plus triste ou de plus drôle, comme on voudra, c'est que le père et le fils au scandale de leurs débats ajoutèrent cette singularité unique qu'ils plaidèrent leur cause en vers. Ce trait termine dignement une biographie de l'auteur des Philippiques, dont il ne nous reste plus qu'à mentionner la mort, arrivée dans les bras de ce fils, qu'il eut le temps de bénir après l'avoir maudit. Le poëte laissait a là postérité, dans une édition définitive de ses œuvres, son testament littéraire. Comme poëte satirique, La Grange a laissé une œuvre qui, en dépit de ses imperfections, de son défaut d'unité et surtout de foi, de ses défaillances d'inspiration, de ses trop criantes injustices et de ses calomnies éhontées, est le monument de la satire en France.

Comme poëte dramatique, il est le dernier des héritiers de Corneille et de Racine, au-dessous de Crébillon et de Voltaire, de La Fosse lui-même, entre Longepierre et Campistron. Outre les tragédies et opéras sus mentionnés, La Grange est encore auteur de La Fille supposée, tragédie en trois actes et en vers, de la même année, mais non du même mérite qu'Ino et Mélicerte; d'Ariane, tragédie lyrique en cinq actes et en vers, avec un prologue (en collaboration avec Roy); de La Mort d'Ulysse; du Crime Puni, cinq actes et en vers, et, s'il faut en croire le savant bibliographe dramatique Duval, d'une Sophonisbe, d'un opéra des Fêtes de Thétis, et de Pyrame et Thisbé, qui ne sont pas dans ses œuvres et qui lui sont probablement attribués à tort. Il est aussi le père d'un Joas et d'un Pygmalion, restés inédits. Il existe une foule de copies manuscrites des Philippiques. Peu de bibliothèques publiques et de collections particuliers en manquent. Parmi les éditions de ce pamphlet célèbre, on peut citer après l'édition de Hollande (1723), l'édition de 1795 (an vi de la liberté), de l'imprimerie de Didot jeune, in-12 de 132 pages, dont 65 pour les notes; celle de 1797, Bordeaux, donnée par le fils de l'auteur, est la plus mauvaise de toutes, au moins pour la Notice et les Notes. Qu'on nous permette de citer aussi celle que nous avons donnée nousmême; Paris, 1858, in-12. Les éditions principales des œuvres complètes sont celles de 17341735, Paris, quatre parties en 3 vol. in-12 avec figures, et celle de 1758, Paris, 5 vol. in-12. M. DE LESCURE.

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LA GRANGE (Le Lièvre de), nom d'une ancienne famille française, connue par l'importance de ses services, par la grandeur de ses alliances et par la richesse de ses possessions. Ses membres principaux sont :

Gilles, seigneur DE MÉRÉVILLE : il aida le roi Jean à chasser les Anglais de la Normandie; le prince l'en récompensa par une rente considérable sur la forêt d'Orléans, qu'il céda, le 3 avril 1358, à Philippe de France, duc d'Orléans.

Robin Ier, frère de Gilles, était en 1370 l'un des écuyers du connétable Bertrand du Guesclin. Aubin, fils de Gilles, capitaine de cent lances et gouverneur du château de Saint-Ange, maintint les Romains dans l'obéissance du pape Boniface IX.

Robin II, grand-bailli de Sens et conseiller de Charles VI dans son conseil étroit, commanda la noblesse de son bailliage à la bataille d'Azincourt, où Philippe LE LIÈVRE, seigneur DE MÉRÉ

VILLE, son père, fut tué, le 25 octobre 1415, étant alors âgé de plus de soixante-et-dix ans. A. E. L.

Lainė, Archives Généalogiques et Historiques, t. V. ~ Mercure de France pour 1766, p. 196. - Notice sur la Famille Le Lièvre, par l'abbé d'Estrées.

LA GRANGE ( Jean LE LIÈVRE), seigneur DE BOUGIVAL, petit-fils du précédent, né vers l'an 1460, mort en 1525. Il fut le premier de sa famille qui, renonçant à la profession des armes, entra dans la magistrature; il s'y distingua tellement que Louis XII lui confia la réforme des coutumes du royaume. Le sieur de Bougival accomplit cette mission délicate avec autant de diligence que de capacité. Nommé premier avocat général au parlement de Paris, en 1510, le concordat conclu en 1517, entre Léon X et François Ier, lui fournit l'occasion de montrer l'indépendance de son caractère; il protesta énergiquement contre l'abolition de la pragmatique, comme attentatoire aux libertés de l'Église gallieane, aux droits de la couronne et aux lois fondamentales de la monarchie; quant au concordat, il y trouvait de grands inconvénients et requérait «< qu'attendu l'importance de la question, le parlement nommât des commissaires; » c'était un ajournement et peut-être un rejet, car le délai accordé par le pape pouvait expirer sans que la cour se fût prononcée. Le roi, pour presser les délibérations, exigea qu'elles eussent lieu en présence de son oncle, le bâtard de Savoie, et lorsque le parlement lui envoya ses députés, il ne voulut point écouter leurs remontrances, et les congédia brutalement; enfin, il commit La Trémouille, son grand-chambellan, pour faire enregistrer le concordat de gré ou de force. Aussi Jean Le Lièvre vint-il déclarer aux chambres assemblées que le seigneur de La Trémouille l'avait mandé en particulier, le menaçant de le traiter comme un rebelle et d'exercer contre la cour une vengeance terrible. «< S'il ne s'agissait, ajouta-t-il, que de nos biens, de notre liberté et de nos têtes, nous les sacrifierions volontiers pour une cause si sainte et si juste; mais la vengeance s'étend plus loin, il s'agit de la conservation ou de la ruine de la cour, de la ville de Paris et peut-être même de l'État tout entier, qui serait violemment agité par la révolution dont on nous menace. Et puisque nous en sommes réduits à choisir entre deux maux, qui pourra nous reprocher d'avoir imité la conduite de ces sages nautonniers qui jettent à la mer leurs marchandises et jusqu'à leurs effets les plus précieux pour conserver le vaisseau et leur propre vie? Considérez, Messieurs, que quelle que soit la puissance des rois, ils ne peuvent changer la nature des choses, faire qu'un abus de pouvoir devienne une loi, qu'une loi devienne un abus : le concordat, de quelque nom qu'on veuille le décorer, ne sera jamais qu'un acte violent, où deux puissances se sont mutuellement cédé ce qui ne leur appartenait point.

L'Église de France, qu'ils ont dépouillée sans la consulter, conserve ses droits, et ne manquera pas de les réclamer dans des conjonctures plus favorables. Ce n'est point la première attaque qu'ait essuyée la pragmatique : nos pères la virent un moment abolie sous le règne violent de Louis XI. Mais bientôt le monarque ouvrit les yeux, et reconnut la faute où l'avaient entraîné les conseils intéressés de deux ministres perfides. La pragmatique fut rétablie, et le prétendu concordat qui devait en tenir lieu tomba dans un éternel oubli. Pourquoi donc n'espérerions-nous pas que ce qui s'est fait ne puisse encore se renouveler? >> Après ce discours mémorable, que l'histoire nous a conservé, le premier avocat général déclara qu'il cessait de s'opposer à l'enregistrement, mais à condition: « 1° que la cour y apposerait la clause du très-exprès commandement du roi, plusieurs fois réitéré; 2o qu'on dérogera à l'expression de la vraie valeur des bénéfices; 3o que la cour déclarera qu'elle n'entend porter par là aucun préjudice à la pragmatique ; 4° qu'elle gardera au fond de son cœur la ferme résolution de toujours conformer ses jugements aux maximes établies par cette sainte constitution. » Les paroles de Jean Le Lièvre ne furent pas une vaine protestation; ses prévisions se réalisèrent, et si le parlement enregistra le concordat, il ne l'exécuta point; la pragmatique ne fut pas non plus entièrement abolie, mais l'on continua à s'y conformer en ce qui concernait les bénéfices.

A. E. L.

Garnier, continuateur de Vély, Histoire de France, t. XXIII. Hutteau, Des Concordats de 1517 et de 1817. — Félibien, Histoire de Paris, t. II, p. 137.

LA GRANGE (Gilles II LE LIÈVRE), seigneur DE BOUGIVAL, petit-fils du précédent, mort en 1595, embrassa la Ligue avec ardeur, et fut l'un des signataires du manifeste Principem contra pro Deo, daté du 4 juillet 1592. Revenu à des sentiments plus modérés, il fut du nombre des catholiques influents qui, reconnaissant les droits de Henri de Navarre, s'entremirent pour lui faciliter l'accession au trône s'il abjurait le calvinisme, et qui firent passer au parlement ce fameux arrêt de 1593, par lequel tout prince étranger était exclu de la couronne de France. Néanmoins Gilles Le Lièvre fut exilé par Henri IV en 1594, après la réduction de Paris, et se retira à l'abbaye de Marmoutiers, où il mourut, l'année suivante. Le père Houbignant et dom Michel de Villeneuve parlent du seigneur de Bougival comme d'un homme « habile et discret, inébranlable et de la plus haute vertu ». Laîné, Archives Généalogiques et Historiques.

LA GRANGE (Nicolas LE LIÈVRE DE ), neveu du précédent, mort en 1636. Président honoraire et doyen des maîtres en la chambre des comptes, il fut l'ami de saint François de Sales. Parmi les lettres de ce prélat, la cent-huitième du recueil lui est adressée. On voit dans l'établissement du Carmel français que Nicolas Le Lièvre avait

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