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des écrits publiés d'âge en âge, & confervés de mains en mains: par des traditions qui ont paffé des peres aux enfans: par des affemblées folemnelles en chaque province, & en chaque ville, pour l'exercice de cette religion: & par les bâtimens deftinés à ces ufages, dont quelques-uns fubfiftent depuis mille ans : tout cela fans aucune interruption. Depuis que S. Pierre & S. Paul ont fondé l'églife Romaine, il y a toujours eu à Rome un pape chef des chrétiens; nous en fçavons toute la fuite & tous les noms jufqu'à Innocent XII. Nous avons la fuite de tous les évêques de Jérufalem, d'Antioche, d'Alexandrie, de Conftantinople. Pour venir chez nous, nous connoiffons les évêques de Lyon depuis S. Pothin, & S. Irénée : de Toulouse depuis S. Saturnin: de Tours depuis S. Gatien: de Paris depuis S. Denis ; & les églifes même dont l'origine eft plus obfcure, ont une fucceffion connue depuis environ mille ans. C'eft la preuve la plus fenfible de la vraie religion. Toute église qui remonte jufqu'aux premiers fiécles, montrant une fuite de pafteurs toujours unis de communion avec les autres églifes, & principalement avec l'églife romaine, toute églife qui a cet avantage eft catholique. Au contraire, on connoît les fociétés des hérétiques, parce qu'en remontant on trouve plutôt ou plus tard le tems précis auquel ils fe font féparés de l'église où ils étoient nés. La doctrine nouvelle ou particuliere eft fauffe: la véritable eft celle qui a toujours été enfeignée par toute l'églife.

C'eft la matiere de l'Hiftoire Eccléfiaftique : cette heureuse fucceffion de doctrine, de difcipline, de bonnes mœurs. Si cette connoiffance n'est pas également néceffaire à tous, du moins il n'y a perfonne à qui elle ne foit très-utile. Rien n'eft plus propre à nous confirmer dans la foi, que de voir la même doctrine que nous enfeignons aujourd'hui, enfeignée dès le commencement par les martyrs, & confirmée par tant de miracles. Plus la difcipline eft ancienne, plus elle eft vénérable; foit dans la forme des prieres, foit dans la pratique des jeûnes, foit dans l'administration des sacremens, & les autres faintes cérémonies. Enfin les exemples des Saints nous font voir en quoi confifte la folide piété, & détruifent nos mauvaises excuses, en montrant que la perfection chrétienne eft poffible, puifqu'ils l'ont effectivement pratiquée. Ce font les trois parties que je me fuis propofé de représenter dans toute la fuite de cette hiftoire, la doctrine, la difcipline, les mœurs.

teur.

II.

Mon deffein n'eft pas de repaître la vaine curiofité de ceux qui ne cherchent qu'à voir des faits nouveaux ou extraordinaires, ou qui lifent par Deffein de l'au fimple amusement pour se défennuyer: ils ont des hiftoires profanes & des livres de voyages. J'écris pour les chrétiens, qui aiment leur religion, qui veulent s'en inftruire de plus en plus, & la réduire en pratique. Je n'écris pas toutefois pour les théologiens & les gens de lettres : ils apprendront mieux l'hiftoire eccléfiaftique dans les auteurs originaux dont je l'ai tirée. Si ce n'eft que quelqu'un encore nouveau dans cette étude, veuille s'aider de mes citations, pour trouver plus facilement les piéces qu'il doit confulter. J'écris principalement pour ceux, de quelque condition qu'ils foient, qui n'ont ni les connoiffances néceffaires, ni le loifir, ni la commodité de lire tant de livres ; mais qui ont de la foi, du bon fens, de l'amour Tome I.

b

pour la vérité: qui lifent pour apprendre des vérités ütiles, & en devenir meilleurs qui veulent connoître le chriftianifme grand & folide comme il eft, & en léparer tout ce que l'ignorance & la fuperftition y ont voulu mêler de tems en tems. Je vois bien que cette histoire ne plaira pas aux petits efprits attachés à leurs préjugés, & toujours prêts à condamner ceux Tim. IV. 3. 4. qui les veulent défabufer: détournant leurs oreilles de la vérité, pour fe tourner à des fables, cherchant des docteurs felon leurs defirs. Ils ne trouveront que trop d'autres livres felon leur goût. C'est pour me rendre utile au commun des perfonnes fenfées, que j'écris en françois, au hasard de ne pas affez bien exprimer la force du latin & du grec, & de m'écarter de la pureté de ma langue.

III.

Je ne compte pour preuves que les témoignages des auteurs originaux, Choix des faits. c'eft-à-dire, de ceux qui ont écrit dans le tems même, ou peu après. Car la mémoire des faits ne fe peut conferver long-tems fans écrire : c'est beaucoup, fi elle s'étend à un fiécle, depuis que la vie des hommes eft bornée à foixante ou quatre-vingts ans. Un fils peut fe fouvenir après cinquante ans, de ce que fon pere, ou fon aïeul lui auront raconté cinquante ans après l'avoir vu. Les faits qui paffent par plufieurs degrés, n'ont plus la même fûreté : chacun y ajoute du fien, même fans y penfer. C'est pourquoi les traditions vagues de faits très-anciens, qui n'ont jamais été écrits, ou fort tard, ne méritent aucune créance: principalement quand elles répugnent aux faits prouvés. Et qu'on ne dife point que les hiftoires peuvent avoir été perdues, car comme on le dit fans preuve, je puis dire auffi qu'il n'y en a jamais eu. Il en eft de même à proportion des auteurs qui ont écrit des faits plus anciens qu'eux de plufieurs fiécles: s'ils ne citent leurs auteurs, on a droit de les foupçonner d'avoir cru trop légerement des bruits populaires. Mais quand un auteur grave nomme les auteurs plus anciens, dont il a tiré ce qu'il raconte, il en doit être cru, quoique les auteurs plus anciens foient perdus. Ainfi Eufébe tient lieu d'original pour les trois premiers fiécles: parce qu'il avoit quantité d'écrits que nous n'avons plus, dont fouvent il rapporte les propres paroles; & par ceux qui nous reftent, nous voyons qu'il cite fidélement. Toutefois quand un auteur ancien en cite un plus ancien que nous avons, il faut toujours confulter l'original: & cette précaution eft encore plus néceffaire, quand celui qui cite eft moderne. Ainfi quoique Baronius non-feulement cite fes auteurs, mais en tranfcrive les pallages, je ne voudrois pas me contenter de fon autorité. Quiconque veut fçavoir fûrement l'hiftoire eccléfiaftique doit confulter les fources d'où Baronius l'a tirée; d'autant plus qu'il a donné pour autentiques des piéces dont la fuppofition a été reconnue depuis, & que les verfions des auteurs grecs, dont il s'eft fervi, ne font pas toujours fidéles. Son travail ne laiffe pas d'être d'une très-grande utilité à l'églife; & je reconnois que c'eft fur ce fonds principalement que j'ai travaillé, tâchant d'y joindre tout ce que les fçavans ont découvert depuis un fiécle.

Les auteurs même contemporains ne doivent pas être fuivis fans examen ; & c'est tout cet art d'examiner les preuves, que les gens de lettres nomment Critique. Premierement il faut fçavoir fi les écrits font vérica¬

blement de ceux dont ils portent les noms, Car on en a fuppofé plufieurs, principalement pour les premiers fiécles. Quiconque eft un peu inftruit, ne s'arrête plus aujourd'hui aux prétendus actes de S. Pierre par S. Lin & de S Jean par Prochore, aux faux Hégéfippes, aux décrétales attribuées aux premiers papes: on a reconnu entre les ouvrages de la plupart des peres de l'églife, des fermons, & d'autres pièces, qu'on avoit fait mal à propos paffer fous leur nom. Quand l'auteur eft certain, il faut encore examiner s'il eft digne de foi, à peu près comme on examine des témoins en juftice. Celui dont le ftyle montre de la vanité, peu de jugement, de la haine, de l'intérêt, ou quelqu'autre paffion, mérite moins de créance qu'un auteur férieux, modefte, judicieux, donc la vertu & la fincérité font d'ailleurs connues. Les hommes trop fins ou trop groffiers font prefque également fulpects: ceux-ci ne fçavent pas dire ce qu'ils veulent, ceux-là donnent fouvent pour vérités leurs penfées & leurs conjectures. Celui qui a vu, eft plus croyable que celui qui a feulement oui dire: & à proportion on doit préférer l'habitant du pays à l'étranger, celui qui rapporte Les propres affaires, aux perfonnes indifférentes. Car chacun doit être cru fur fa doctrine, fur l'hiftoire de fa fecte: nul autre n'en eft jamais fi bien informé les étrangers & les ennemis font fufpects; mais on prend droit fur ce qu'ils difent de favorable au parti contraire. Ce qui eft contenu dans les lettres & les autres actes du tems, doit être préféré au récit des hiftoriens. C'est par ces regles que l'on doit fe déterminer fur les contradictions des écrivains contemporains. S'il n'y a que de la diverfité, il faut les concilier: s'il eft impoffible, & que le fait foit important, il faut choifir. Je fçais qu'il eft plus commode pour l'hiftorien de rapporter les différentes opinions des anciens, & en laiffer le jugement aux lecteurs. Mais ce n'eft pas le plus agréable pour eux. La plupart cherchent des faits certains: ils ne veulent pas étudier, mais profiter des études d'autrui, & n'aiment pas à douter, parce que c'eft toujours ignorer. C'est ce qui m'a fait prendre le parti d'omettre la plupart des faits douteux, d'autant plus que je ne manquois pas de matiere.

Mais je n'ai pas cru devoir rapporter tous les faits qui font bien prouvés : j'ai laiffé ceux qui m'ont paru inutiles à mon deffein ; c'est-à-dire, à montrer la doctrine de l'églife, fa difcipline & fes mœurs. Il est vrai que dans les premiers fiécles, tout m'a paru précieux, & j'ai mieux aimé en mettre plus que moins. J'ai même paffé les bornes de la fimple narration, en inférant des paffages ou des extraits affez longs des auteurs anciens. Mais j'ai confidéré que l'hiftoire même profane ne confifte pas feulement en des faits extérieurs, & fenfibles. Elle ne fe contente pas de rapporter les voyages, les batailles, les prifes de villes, la mort ou la naiffance des princes, elle explique leurs deffeins, leurs confeils, leurs maximes; cette partie eft d'ordinaire la plus agréable aux gens fenfés, & c'est toujours la plus utile. A plus forte raison l'hiftoire de la religion ne doit pas feulement confifter à marquer les dates de l'élection ou de la mort des papes & des évêques, à raconter des miracles, ou les fupplices des martyrs, ou les auftérités des moines. Tout cela y doit entrer: mais il eft encore plus néceffaire d'expliquer quelle étoit cette doctrine que les miracles autori

IV.

foient, & que les martyrs foutenoient par leur témoignage. Il ne fuffit pas de dire qu'en tel tems & en tel lieu on tint un concile, ou un tel hérétique fut condamné: Il faut, autant qu'on le peut, expliquer les dogmes de cet hérétique, quelle couleur il leur donnoit, & par quelles preuves on les réfutoit. Si on écrivoit l'hiftoire de la philofophie, on ne fe contenteroit pas de raconter la vie des philofophes, & leurs actions, on expliqueroit leurs dogmes. Or l'hiftoire eccléfiaftique eft l'hiftoire de la vraie philofophie, & les faits les plus importans qui la compofent, c'est que dès un tel tems on enfeignoit telle doctrine, & on fuivoit telle maxime.

Quant aux menus faits fans liaison entre eux, ou fans rapport au but principal de toute l'hiftoire, j'eftime que l'on doit hardiment les négliger. Il ne s'agit pas de montrer que nous avons tout lu, & que rien n'a échappé à nos recherches; ce feroit une vanité puérile. Il s'agit d'édifier l'églife & d'employer utilement notre loifir pour le foulagement de nos freres. Il ne faut mêler rien d'étranger au fujet, quelque curieux qu'il nous paroiffe, & ne pas faire comme Platine, qui, faute de matiere, remplit les vies des premiers papes de l'hiftoire des empereurs païens du même tems. On doit foigneufement diftinguer, même dans les princes chrétiens, ce qu'ils ont fait comme chrétiens, de ce qu'ils ont fait comme princes. Et depuis que les évêques & les papes ont eu grande part aux affaires féculieres, ou qu'ils ont été princes temporels, il ne faut pas prendre le change, ni charger l'hiftoire eccléfiaftique de ce qu'ils ont fait en une autre qualité que d'évêques & de chrétiens. J'ai cru feulement devoir marquer la fuite des empereurs, comme un fil pour conduire la chronologie; & j'ai raconté quelques faits de l'hiftoire profane, qui avoient rapport à mon fujet, principalement les morts tragiques des perfécuteurs. Autant qu'il faut retrancher les faits inutiles, autant faut-il avoir foin de circonftancier les faits utiles. Non que je vouluffe me donner la liberté d'ajouter la moindre particularité, fous prétexte qu'elle feroit vraisemblable. Cette licence n'appartient qu'aux poètes: l'hiftorien doit mettre l'exacte vérité pour fondement de fon travail. Mais il doit recueillir exactement toutes les circonftances qu'il trouve dans les originaux, afin de peindre les faits importans, & les mettre, autant qu'il peut, devant les yeux. Outre le plaifir que donnent ces peintures, l'utilité en eft grande: elles frappent vivement l'imagination, & entrent profondément dans la mémoire, tenant l'efprit arrêté long-tems fur un même objet. Quand je n'écrirois qu'un abrégé, je voudrois raconter ainfi les faits que je jugerois dignes d'y entrer, retranchant les autres abfolument pour leur faire place; & c'eft principalement le défaut de cette obfervation qui rend tant d'histoires féches & ennuyeuses.

On croit y remédier par l'élégance du ftyle, par les fentences & les réQualité du style. flexions ingénieufes. Souvent les ignorans y font pris, & ne laiffent pas d'admirer & de louer une hiftoire qui les ennuie, & dont ils ne retiennent rien. Les gens fenfés ne se paient ni d'épithètes, ni de grandes phrases, ni de jeux d'efprit, ni de fentences, ni en un mot de tout ce qui n'eft que de l'auteur: ils cherchent des faits folides, fur lefquels ils puiffent euxmêmes porter leur jugement. Pour peu que l'auteur foit judicieux, il doit

penfer que plufieurs de fes lecteurs le feront plus que lui: il ne doit pas les prévenir, ni leur ôter le plaifir de faire leurs réflexions: fon devoir eft feulement de leur en fournir la matiere. D'ailleurs s'il fe donne la liberté de juger des perfonnes & des actions, ou feulement de les qualifier par des épithètes, il témoigne de la paffion, il prend parti, & le rend fufpect. Le plus für eft donc de s'en tenir à la fimple narration, & ne faire depuis le commencement de l'ouvrage jufqu'à la fin, que raconter des faits, fans préambule, fans tranfitions affectées, fans réflexions: enforte que le lecteur ne foit occupé que des chofes qu'il apprend, comme fi elles fe paffoient réellement devant fes yeux, & qu'il n'ait pas le loifir de penfer fi elles font bien où mal écrites, fi elles font écrites, s'il a un livre entre les mains, s'il y a un auteur au monde. C'eft ainfi qu'Homere écrivoit ; & c'est ainsi, pour nous propofer un modéle plus digne, qu'écrivoient Moïse, Samuel, & les autres hiftoriens facrés: quiconque fçait les gouter, trouve qu'ils ont atteint la perfection de l'hiftoire, par le choix judicieux des faits, la clarté de la narration, la vivacité des peintures, & la fimplicité du ftyle qui leur attire la créance.

S'il faut retrancher les réflexions, à plus forte raifon les differtations & les difcuffions de critique. Après qu'un bâtiment eft achevé, on ôte les échaffauts, les machines, & enfin les ceintres des voûtes. Ce n'eft pas que tous ces fecours n'aient été nécessaires pour le bâtiment, & qu'on n'ait pu les employer fans beaucoup d'induftrie & de dépense: mais ils ne feroient plus qu'embarraffer & défigurer l'ouvrage. Ainfi l'hiftorien doit examiner avec tout le foin poffible les faits qui méritent d'entrer dans fon hiftoire n'y rien mettre, & n'en rien rejetter que pour de bonnes raifons. Mais il ne doit pas en rendre compte au public, pardes digreffions fréquentes & incommodes au lecteur qui ne recherche que des faits. Sur tout quand par l'examen on trouve que des faits font faux ou inutiles, j'eftime que la critique ne doit aboutir qu'à les pafler fous filence: & rien ne me paroît plus fatigant dans une hiftoire, qu'une longue differtation qui fe termine à ne m'apprendre rien. Car encore qu'il foit vrai que les autres fe font trompés, je ne compte pas pour connoiffance utile par rapport à l'hiftoire, cette connoiffance de leurs erreurs: je m'attache au fonds & aux faits qu'il faut croire ou rejetter. L'auteur doit donc prendre fur lui toute la peine, pour procurer au lecteur le plaifir d'apprendre facilement des faits utiles. Il eft vrai qu'en fuivant cette méthode, la plus grande partie du travail de l'auteur demeurera cachée: mais il lui importe peu s'il eft raifonnable, & moins encore s'il eft chrétien, & s'il n'attend la récom penfe que de celui qui voit dans le fecret.

que.

V.

Dans l'examen des faits je vois deux excès à éviter, l'un de crédulité, l'autre de critique. Or ce n'eft pas feulement la fimplicité qui rend trop cré-Regles de crij dule: il y a des gens qui le font par politique, & par mauvais rafinement. Ils croient le peuple incapable ou indigne de connoître la vérité, & regardent comme néceffaire de l'entretenir dans toutes les opinions qu'il a reçues fous le nom de religion, craignant d'ébranler le folide en attaquant le frivole. Dans le fonds ces politiques fuperbes font eux-mêmes trèsignorans: faute de connoître la religion, ils ne l'apprennent point férieu

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