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feroient preuve en juftice. Par le plaifir qu'ils m'ont donné, j'ai jugé qu'ils en donneroient à quiconque aime le vrai & le naturel, & je ne vois point de lecture plus propre à nourrir la piété. Ces avantages m'ont paru préférables à l'uniformité & à l'élégance du ftyle. Après les martyrs, les plus grands fpectacles font les moines: c'eft pourquoi j'ai mis affez au long la vie des premiers & des plus illuftres, m'arrêtant plus aux vertus qu'aux miracles. Quoique ces vies foient affez connues, & entre les mains de tout le monde, j'aurois cru, en les omettant, omettre une partie confidérable de mon fujet, qui ne comprend pas moins les mœurs, que la difcipline & la doctrine. Or les mœurs s'apprennent bien mieux par les exemples finguliers, que par des obfervations générales : rien ne fait tant connoître les hommes, que le détail de leurs difcours & de leurs actions. Au refte je ne me propofe point de ne dire que des chofes nouvelles.

Je n'ai pas cru devoir remonter jufqu'à la naiffance de Jefus-Chrift, parce que fon hiftoire eft affez connue des chrétiens, & on ne la peut mieux apprendre, que par la lecture continuelle des évangiles. Quiconque s'imagine la pouvoir mieux écrire, ne l'entend pas: & nous n'en fçavons rien, ou prefque rien, que ce qui eft dans le texte de l'écriture. Il n'en eft pas de même de l'hiftoire des apôtres : outre les actes, il y a plufieurs faits confidérables dans les épîtres de S. Paul, & dans les auteurs étrangers du même tems, comme Jofeph & Philon. Jofeph fur-tout eft précieux, par le foin qu'il a pris d'écrire la ruine de Jérufalem, & de vérifier ainfi fans y penfer les prophéties de Jefus - Chrift.

Quant à l'ordre des tems, je n'ai pas cru m'y devoir attacher trop fcrupuleufement. Il ne convient qu'à un hiftorien contemporain comme Tacite, de faire des annales: écrivant des faits qu'il connoît dans un grand détail, & dont la proximité rend les dates certaines. Ainfi qui fe propoferoit à d'écrire l'Hiftoire Eccléfiaftique depuis le concile de Trente, ou même depuis celui de Conftance, auroit raison de la ranger par annales. Mais de vouloir réduire ainfi des faits très-anciens, dont fouvent on ne fçait le tems que par conjecture, & fouvent on l'ignore abfolument, c'eft fe donner une grande peine, au hafard de fe tromper & d'induire les autres en erreur. Auffi malgré l'érudition profonde & le travail immenfe de Baronius, on a trouvé de grands mécomptes dans fa chronologie, & le R. P. Pagi, entre les autres, vient de nous donner un gros volume pour corriger ceux des quatre premiers fiécles. Toutefois Baronius lui-même n'a pu fixer tous les faits: il y en a un grand nombre qu'il n'a rangé fous certaines années que par occafion, fans leur donner de date certaine, parce qu'en effet il eft impoffible de la fçavoir: comme quand il place la retraite de S. Bafile & de S. Grégoire de Nazianze l'an 2 63, après la mort de Julien l'apoftat: il auroit pu la mettre tout auffi bien cinq ou fix ans plutôt. Cependant le lecteur qui veut être déterminé, s'arrête à cette autorité, & croit fans l'examiner que chaque fait eft arrivé dans l'année qu'il voit en tête de la page. Dans les faits même les plus certains, il n'eft pas toujours à propos de fuivre exactement l'ordre des années; autrement l'hiftoire tombera dans une extrême féchereffe, étant interrompue à tous momens, & comme hachée en menues parcelles, dont chacune fera peu

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VIII.

Regles de chro nologie.

d'impreffion, & ne donnera aucun plaifir. Il faudra paffer inceffamment d'Orient en Occident, de Rome a Antioche: quitter un concile commencé en Italie, pour en voir un autre en Afrique: intérer une ligne pour marquer la mort d'un pape ou d'un empereur : tout cela fans liaison, ou par des tranfitions forcées. Il vaut bien mieux anticiper quelques années, ou y remonter pour reprendre un fait important des fon origine, & le conduire jufqu'à la fin. Le meilleur ordre eft celui qui conduit l'eiprir le plus naturellement, pour entendre les chofes & les retenir; & l'on remédie à la confufion en marquant les dates.

Mais il eft de la bonne foi de ne les marquer que quand on les fçait, & il n'eft pas du devoir d'un hift rien de pafler fa vie à les rechercher. Cependant l'émulation des fçavans du dernier fiécle, a pouffé la chronologic à une telle exactitude, que la vie de Noé n'y fuffiroit pas. Il faudroit calculer exactement toutes les éclipfes dont on a connoillance, & fixer leurs places dans la période Julienne: Sçavoir les époques de toutes les nations, leurs différentes efpéces d'années & de mois, & en faire la réduction aux nôtres examiner toutes les infcriptions des marbres antiques, & des médailles; corriger les faftes confulaires: conférer toutes les dates qui fe trouvent dans les hiftoriens ; & quand on defcend plus bas, venir aux cartulaires, & aux titres particuliers. Quand finiront ces recherches? Et comment s'affurera-t-on de ne s'être point mécompté? Encore peut-on les fouffrir dans les faits dont il importe de fçavoir le tems; mais combien y en a-t-il qui ne font d'aucune conféquence? Combien de difputes fur le fens d'une infcription ou fur l'occafion d'une médaille, qui au fonds ne nous apprend rien pour fçavoir l'âge d'un empereur, le jour précis de fa mort, & d'autres faits femblables, dont on ne veut rien conclure, finon que 3.Tim. v1.4. Baronius ou Scaliger fe font trompés ? N'eft-ce point-là ce que S. Paul

:

appelle languir après des queftions qui ne produifent que des jaloufies & des querelles? On retient bien plus les faits que les dates : dans notre propre vie, fouvent nous nous fouvenons d'avoir fait ou dit telle chofe, en tel lieu, avec relle perfonne, en telle faison, fans nous fouvenir du jour, ni de l'année. La plupart des historiens, & fur-tout les historiens facrés, ont écrit ainsi, & n'ont marqué les tems que quand ils étoient néceffaires, comme les dates des prophéties. Il importe pour la fuite de la tradition, de fçavoir la fucceffion continue des papes & des autres évêques des fiéges apoftoliques: auffi les anciens nous l'ont-ils fidélement confervée; mais il eft impoffible de fçavoir la durée de chaque pape, pendant les deux premiers fiécles; & quand on la fçauroit, l'utilité en feroit petite; puifqu'on ne fçait prefque rien de leurs actions.

Voila les raifons qui m'ont empêché de m'enfoncer dans les recherches de chronologie, afin d'avoir plus de tems pour examiner la fubftance des faits, & les mettre en évidence. Je me fuis fervi du travail de ceux qui m'ont précédé, fans toutefois les fuivre aveuglément: j'ai marqué les dates qui m'ont paru folidement établies; je n'en ai point mis aux faits dont je n'ai point trouvé le tems certain, & je les ai placés dans les intervalles les plus vrai-femblables, tou ours prêt à corriger mes fautes quand je les aurai reconnues. J'ai fuivi les mêmes regles pour la géographie: je

m'en fuis rapporté à ceux qui en ont fait une étude particuliere. Mais j'ai foigneufement obfervé de nommer les lieux, conformément à l'ufage de chaque tems: pendant les premiers ficcles, je dis tou ours la Gaule, la Germanie, la Grande Bretagne, la Lufitanie. Il me femble que c'eft faire un anacroniline, de parler autrement, & de nommer France ou Angleterre, les pays où les François & les Anglois n'étoient pas encore. J'ai été plus embarraffé pour la traduction des noms propres, qui ne font pas familiers en notre langue, & j'ai mieux aimé pour la plupart les laiffer entiers, comme on les prononce en grec & en latin, que de les trop défigurer, ou en rendre la prononciation incommode. Quant aux noms de dignités & de fonctions, ou de certaines chofes qui regardent les mœurs, je les ai fouvent laiffés dans leur langue originale, les expliquant par circonlocution, plutôt que de les rendre par les mots qui fignifient parmi nous des chofes approchan tes, mais qui tiennent trop de nos mœurs. Ainfi je ne dis point un colonel, mais un tribun : je dis des licteurs plutôt que des fergens; je ne parle, nide gentilshommes ni de bourgeois; mais de nobles, de citoyens, d'esclaves: enfin je conferve le caractere des mœurs antiques, autant que notre langue peut fouffrir, & peut-être avec un peu trop de hardieffe.

le

IX. Pourquoi fi peu

Tome 1, praf.

En général, j'ai fait moins d'attention à l'exactitude du ftyle qu'au fonds des chofes, & j'efpere que le lecteur équitable prendra le même efprit: d'écrits des pres qu'il ne cherchera dans l'Hiftoire Eccléfiaftique que ce qui y eft; & qu'il miers fiécies." s'appliquera plutôt à en profiter, qu'à la critiquer. Quelques-uns trouvent mauvais que l'hiftoire ne dife pas tout. Pourquoi, difent ils, avonsnous fi peu de chose des apôtres, de leurs premiers difciples, des premiers papes ? Pourquoi les anciens ne nous ont-ils pas expliqué plus en détail les cérémonies, la difcipline & la police des églifes, les dogmes même de la religion? C'étoit la plainte des centuriateurs. Aveugles, qui ne voyoient pas que ces plaintes attaquent la providence divine & la promeffe de Jefus - Chrift, d'affifter perpétuellement fon églife! Adorons avec un profond refpect la conduite de la fagelle incarnée, fans rien defirer au-dela de ce qu'il lui a plu de nous donner. C'eft fans doute par de très-folides raifons que Jefus-Chrift lui- même n'a rien écrit, & que les apôtres ont écrit fi peu. Il y en a sept dont nous n'avons pas un mot, & plusieurs dont nous ne fçavons que les noms. Mais ce que les Actes nous racontent de S. Pierre & de S. Paul fuffit pour nous faire juger des autres. Nous y voyons comment ils prêchoient aux Juifs, aux gentils, aux ignorans, aux fçavans : leurs miracles, leurs fouffrances, leurs vertus. Quand nous fçaurions le même détail des actions de S. Barthélemi ou de S. Thomas nous n'en tirerions pas d'autres inftructions: la curiofité feulement feroit plus fatisfaite; mais elle eft de ces paffions que l'évangile nous apprend à mortifier. Au contraire, le filence des apôtres eft d'une grande inftruction pour nous Rien ne prouve mieux qu'ils ne cherchoient point leur propre gloire, que le peu de foin qu'ils ont pris de conferver dans la mémoire des hommes les grandes chofes qu'ils ont faites. Il fuffifoit pour la gloire de Dieu, & pour l'inftruction de la postérité, qu'une petite partie fût connue: l'oubli qui enfevelit le refte eft plus avantageux aux apôtres que roures les hiftoires: puifqu'il ne laiffe pas d'être conftant, qu'ils avoient

Ex fcript, elect. 8.27.

x.

Utilité de l'Hif

que. Doctrine,

converti des peuples innombrables. Tant d'églifes que nous voyons dès le fecond fiécle dans tous les pays du monde, ne s'étoient pas formées toutes feules; ce n'étoit pas par hafard qu'elles confervoient toutes la méme doctrine & la même difcipline. La meilleure preuve de la fageffe des architectes, & du travail des ouvriers, eft la grandeur & la folidité des édifices.

Les difciples des apôtres fuivirent leurs maximes: S. Clément Alexandrin, fi proche de leur tems, en rend ce témoignage remarquable: Les anciens n'écrivoient point, pour ne fe pas détourner du foin d'enseigner, ni employer à écrire le tems de méditer ce qu'ils devoient dire. Peut-être auffi ne croyoient-ils pas que le même naturel pût réuffir en l'un & en l'autre genre. Car la parole coule facilement, & enleve promptement l'auditeur; mais l'écrit eft expofé à l'examen rigoureux des lecteurs. L'écrit fert à affurer la doctrine, faifant paffer à la poftérité la tradition des anciens mais comme de plufieurs matieres l'aiman n'attire que le fer, ainfi de plufieurs lecteurs les livres n'attirent que ceux qui font capables de les entendre. Ce font les paroles de S. Clément. Il faut avouer toutefois que nous avons perdu un grand nombre d'anciens écrits: fans compter ceux dont Eufébe & les autres font mention expreffe, on ne peut douter que les évêques des grands fiéges, & les papes en particulier, n'écriviffent fouvent des lettres fur diverfes confultations. On en peut juger par celles

du

pape S. Corneille que S. Cyprien & Eufébe nous ont confervées, & par celles du pape S. Jules au fujet de S. Athanafe. Mais la perte de tant d'écrits fi précieux, n'eft pas arrivée fans cette même providence fans la quelle un paffereau ne tombe pas à terre.

Laiffant donc les vains defirs, appliquons-nous à profiter de ce qui toire Ecclefiafti- nous refte, & confidérons dans toute la fuite de l'Hiftoire Eccléfiaftique la doctrine, la difcipline, les mœurs. Ce ne font point ici des raisonnemens ni de belles idées, ce font des faits pofitifs, qui n'en font pas moins vrais, foit qu'on les croie ou non: qu'on les étudie ou qu'on les néglige. On voit une églife fubfiftante fans interruption par une fuite continuelle de peuples fidéles, de pafteurs & de miniftres; toujours vifible à la face de toutes les nations: toujours diftinguée non-feulement des infidéles par le nom de Chrétienne, mais des fociétés hérétiques & fchifmatiques par le nom de Catholique ou univerfelle. Elle fait toujours profeffion de n'enfeigner que ce qu'elle a reçu d'abord, & de rejetter toute nouvelle doctrine: que fi quelquefois elle fait de nouvelles décifions & emploie de nouveaux mots, ce n'eft pas pour former ou exprimer de nouveaux dogmes, c'eft feule ment pour déclarer ce qu'elle a toujours cru, & appliquer des remédes convenables aux nouvelles fubtilités des hérétiques. Au refte elle fe croit infaillible, en vertu de la promeffe de fon fondateur, & ne permet pas aux particuliers d'examiner ce qu'elle a une fois décidé. La regle de fa foi eft la révélation divine, comprise non- feulement dans l'écriture, mais dans la tradition, par laquelle elle connoît même l'écriture.

XI.

Difcipline.

Quant à la difcipline, nous voyons dans cette hiftoire une politique toute fpirituelle & toute célefte: Un gouvernement fondé fur la charité, ayant uniquement pour but l'utilité publique, fans aucun intérêt de ceux qui gouvernent, Ils font appellés d'en haut; la vocation divine fe déclare par

le choix des autres pafteurs, & par le confentement des peuples. On les choifit pour leur feul mérite, & le plus fouvent malgré eux: la charité feule & l'obéiffance leur font accepter le miniftere, dont il ne leur revient que du travail & du péril; & ils ne comptent pas entre les moindres périls celui de tirer vanité de l'affection & de la vénération des peuples, qui les regardent comme tenant la place de Dieu même. Cet amour refpectueux du troupeau fait toute leur autorité: ils ne prétendent pas dominer comme les puiffances du fiécle, & se faire obéir par la contrainte extérieure: leur force eft dans la persuasion: c'eft la fainteté de leur vie, leur doctrine, la charité qu'ils témoignent à leur troupeau par toutes fortes de fervices & de bienfaits, qui les rendent maîtres de tous les cœurs. Ils n'ufent de cette autorité que pour le bien du troupeau même, pour convertir les pécheurs, réconcilier les ennemis, tenir tout âge, tout fexe, dans le devoir & dans la foumiffion à la loi de Dieu. Ils font maîtres des biens comme des cœurs, & ne s'en fervent que pour affifter les pauvres, vivant pauvrement eux-mêmes, & fouvent du travail de leurs mains. Plus ils ont d'autorité, moins ils s'en attribuent: ils traitent de freres les prêtres & les diacres; ils ne font rien d'important fans leur confeil, & fans la participation du peuple. Les évêques s'affemblent fouvent pour délibérer en commun des plus grandes affaires, & fe les communiquent encore plus fouvent par lettres: enforte que l'églife répandue par toute la terre habitable, n'eft qu'un feul corps parfaitement uni de créance & de maximes.

La politique humaine n'a aucune part à cette conduite. Les évêques ne cherchent à fe foutenir par aucun avantage temporel, ni de richesses, ni de crédit, ni de faveur auprès des princes & des magiftrats, même fous prétexte du bien de la religion. Sans prendre de parti dans les guerres civiles, fi fréquentes en un empire électif, ils reçoivent paifiblement les maîtres que la providence leur donne, par le cours ordinaire des chofes humaines: ils obéiffent fidélement aux princes païens & perfécuteurs, & réfiftent courageufement aux princes chrétiens, quand ils veulent appuyer quelque erreur, ou troubler la difcipline. Mais leur réfiftance fe termine à refufer ce qu'on leur demande contre les regles, & à fouffrir tout & la mort même, plutôt que de l'accorder. Leur conduite eft droite & fimple, ferme & vigoureufe fans hauteur; prudente fans fineffe ni déguisement. La fincérité eft le caractere propre de cette politique célefte; comme elle ne tend qu'a faire connoître la vérité, & à pratiquer la vertu, elle n'a befoin ni d'artifices ni de fecours étrangers, elle fe foutient par elle-même. Plus on remonte dans l'antiquité eccléfiaftique, plus cette candeur & cette noble fimplicité y éclatent : enforte que l'on ne peut douter que les apôtres ne l'aient infpirée à leurs plus fidéles difciples, en leur confiant le gouvernement des églifes: s'ils avoient eu quelqu'autre fecret, ils leurs auto ent enfeigné, & le tems l'auroit découvert. Et qu'on ne s'imagine point que cette fimplicité fût un effet du peu d'efprit ou de l'éducation groffiere des apôtres & de leurs premiers difciples: les écrits de S. Paul, a ne les regarder même que naturellement, ceux de S Clément pape, de S. Ignace, de S Polycarpe, ne donneront pas une opinion médiocre de leur efprit ; & pendant les fiécles fuivans on voit la même fimplicité de conduite, jointe à la plus grande fubtilité d'efprit, & à la plus puiffante éloquence.

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