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J'ai dit qu'il y a peu d'ordre dans ce livre, & que l'on n'y parle que d'un petit nombre de Princes. Il ne contient en effet que très imparfaitement l'ancienne Histoire de la Chine; il n'y eft fait mention que de vingt Empereurs, qui ne fe fuccedent pas immédiatement, & quelques-uns de ceux-là même n'y font qu'indiqués. On commence par Yao & par Chun, enfuite on vient à la premiere Dynastie nommée Hia: on ne fait mention que de cinq de fes Empereurs, les douze autres font omis; pour la feconde Dynastie, de vingt-huit Empereurs, on ne parle que de huit: enfin pour la troifieme, jufqu'au regne de Ping-vang, 770 ans avant J. C., il n'eft queftion que de fix Empereurs, & on garde le filence für les huit autres; du reste on n'y fixe aucune époque ni aucune date, & en général on n'y mar que point la durée des regnes, fi l'on en excepte ceux de quatre ou cinq Princes. Lecycle chinois n'y eft employé que pour défigner les jours & non les années, comme les Hiftoriens poftérieurs ont fait.

Tel eft l'état du Chou-king; mais pour donner une idée plus exacte de l'ancienne Histoire de la Chine, j'ai rapporté, entre les différents Chapitres de ce livre ancien, 19. l'Hiftoire des Princes même dont le Chouking fait mention, parcequ'elle n'y eft pas complette, & que tous les événements, fuppofés connus, n'y font pas indiqués. 2°. Celle des Princes qui y font entierement omis; c'eft pourquoi, entre les différents Chapitres du Chou-king, j'ai joint un article que j'intitule Addition au Chou-king: ainfi on pourra lire ce livre feul & tel qu'il nous a été confervé, & ceux qui voudront joindre

à cette lecture celle des Additions, auront une idée beaucoup plus exacte de ce qui nous refte de l'ancienne Hiftoire Chinoife. J'ai tiré toutes ces additions d'un ancien livre Chinois intitulé Tou-chou, compofé avant l'incendie des livres, c'est-à-dire, vers l'an 297 avant J. C., & découvert environ l'an 285 de l'Ere Chrétienne. J'ai joint, mais en les diftinguant, quelques remarques tirées d'un Ouvrage authentique, eftimé universellement à la Chine, & qui porte le titre de Kang-mo: ces remarques ferviront à faire connoître les variations & les incertitudes de la Chronologie Chinoise. J'ai mis en marge des Chapitres du Chou-king le commencement & la fin du regne de chaque Prince, suivant le calcul des deux Ouvrages que je viens de citer, en les rapportant à l'Ere Chrétienne. Enfin, aux notes que le P. Gaubil a faites fur le texte, notes qui font en grand nombre, & toutes tirées des Commentateurs Chinois, j'en ai ajoûté quelques-unes qui m'ont paru nécessaires, & que j'ai diftinguées par deux crochets. Mais pour ne pas trop les multiplier, j'ai renvoyé à la fin de l'ouvrage une fuite de notes qui forment une espece d'effai fur les Antiquités Chinoises; je les ai tirées du Dictionnaire intitulé Tching tfe-tong, qui renferme beaucoup de traits historiques, & d'un autre livre qui a pour titre Lo-kingtou, c'est-à-dire, recueil des figures qui fe trouvent dans les King. On y voit gravés tous les vafes, les inftruments & habits, les cartes, les détails des cérémonies dont il est parlé dans les King. Le P. Gaubil paroît n'avoir pas connu cet excellent Ouvrage, puifqu'il dit quelquefois,

dans les notes, qu'il a été arrêté pour les noms de certains inftruments: il ne s'agiffoit que de confulter cet Ouvrage, qui présente à cet égard le sentiment des Chinois fur ces monuments anciens. C'est d'après ce livre que l'on a gravé les inftruments dont il est fait mention dans le Chou-king; j'ai choisi les principaux, que j'ai diftribués fur quatre planches, pour les ajoûter à cette traduction, qui par-là devient plus conforme aux Editions Chinoiles de ce livre, à la tête defquelles on les trouve toujours, parceque ces figures font nécessaires pour l'intelligence du texte.

Avant que d'achever ce qui concerne le Chou-king, je crois devoir dire un mot de fon style, qui est appellé par les Chinois Kou-ven, c'est-à-dire, ancienne compofition. Il surpasse en simplicité, en noblesse & en élévation, tout autre ftyle: il confifte à dire beaucoup de chofes en peu de mots; toutes les pensées y portent l'empreinte de maximes importantes: par-tout on y voit régner la vérité dans les idées & l'élégance dans l'expreffion. Souvent chaque membre d'une phrase est composé d'un même nombre de caracteres qui riment & jouent, pour ainsi dire, entr'eux. Par exemple, pour dire qu'il faut toujours être sur ses gardes, & que c'eft dans le tems que l'on ne craint rien qu'on a plus fujet de craindre, le Chou-king s'exprime ainfi en quatre mots Fo goei, ge-goei, que l'on peut rendre littéralement par ces mots non timenti advenit timor. On me permettra citer encore un second exemple; après avoir dit que le Ciel ne change jamais de conduite à l'égard des hom

de

mes, pour faire entendre que le bien ou le mal qui nous arrivent ne dépendent que de la maniere dont nous nous comportons, l'Auteur s'exprime ainsi :

Tço-chen, kiang-tchi-pe-tfiang,

Tço-po-chen, kiang-tchi-pe-yang;

c'est-à-dire, celui qui fait le bien eft comblé de biens, celui qui fait le mal eft accablé de maux.

fon,

Ce qui contribue beaucoup à rendre ce (tyle ferré & en même-tems très difficile à entendre, c'eft qu'en Chinois il n'y a aucune marque de déclinaison, de conjugaide tems, de personnes, ni presque point de particules; en un mot, tout ce que nous avons imaginé pour rendre le langage plus clair, en eft banni. Les deux dernieres phrases que je viens de citer, rendues en françois littéralement, font faire bien, arriver lui cent bonheurs, faire non bien, arriver lui cent malheurs telle eft la maniere de s'exprimer des Chinois. L'abfence des formes grammaticales fert à rendre ce style plus sententieux; delà réfulte que, ce qui dans les autres Langues ne s'adresse qu'à une feule perfonne, devient, en Chinois, une propofition générale & une maxime dite pour tout de. Au refte, la forme de conftruction que nous venons de voir, eft la même que celle des Langues Orientales, & principalement de l'Arabe. J'ajoûte que les Hébreux, & actuellement les Arabes, font encore dans l'ufage de rimer leur profe, foit à la fin des phrases, foit aux différents membres de la même phrase. On voit par le Chouking, & l'on fait d'ailleurs, que chez tous les anciens Peuples, les inftructions, & ce que l'on vouloit trans

le mon

mettre à la poftérité, étoit mis en musique & chanté; c'eft vraisemblablement pour cette raifon que cet ancien style se reffent encore de cette efpece de poéfie profaïque, rimée & à-peu-près mesurée. Les maximes & les préceptes n'en étoient que plus aifés à retenir. Les Hebreux, les Arabes & les Chinois l'ont confervée dans leur profe. Nous appercevons de ces rimes dans la Genese, l'Alcoran en eft rempli; elles font un monument de la plus haute antiquité qui s'est conservé dans le style. L'Hiftoire, destinée à inftruire les hommes par les exemples des fiécles paffés, plutôt qu'à les amufer, étoit écrite ainfi. L'Historien ne cherchoit pas à intéresser son Lecteur par des defcriptions agréables, il se bornoit à rendre en peu de mots les événements, ou plutôt à les indiquer fimplement; auffi voyons-nous que les anciens écrits font peu étendus : cette brieveté eft la marque de leur ancie nneté. Confucius, né vers l'an 550 avant J. C., a écrit une Hiftoire de fon pays qui eft admirée par tous les Chinois, & regardée comme un vrai modele: cependant cette Hiftoire, écrite dans le ftyle du Chou-king, ne pafferoit chez nous que pour une fimple table chronologique; c'est qu'à la Chine on a confervé le goût & la maniere des anciens peuples de l'Orient, & que nous avons imité, les Grecs & les Romains. Chez les Chinois, l'Hiftoire contenoit les Loix de l'Empire, & la Morale; auffi le Chou-king en recommande-t-il fréquemment la lecture. Tout homme qui eft en place, dit-il, doit être inftruit de l'antiquité: avec cette connoiffance il parle à propos, il ne fe trompe pas dans fes décifions: des Magiftrats qui ne font pas inftruits font comme deux murailles qui fe regardent.

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