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C'eft une folie, ajoûte-t-il, de dire, comme les jeunes gens: nos Ancêtres ne favoient rien. L'Hiftoire en Egypte étoit regardée fous le même point de vue, & tous les jours le Souverain étoit obligé d'en entendre la lecture pour apprendre à gouverner.

Des Peuples qui ont eu une fi grande idée de l'Hiftoire, ont dû ne rien négliger pour la tranfmettre à la postérité. Les Chinois prétendent en effet que dès la plus haute antiquité, l'Empereur & les Princes tributaires avoient chacun leurs Hiftoriens publics, ainsi la rédaction de l'Hiftoire n'étoit pas abandonnée à toutes fortes de perfonnes. Sous les deux premieres Dynafties, c'est-à-dire, fous celle de Hia, qui a commencé vers l'an 2207 avant J. C., & fous celle de Chang, qui a fini vers l'an 1122 avant J. C., il y avoit à la Cour deux Hiftoriens, l'un appellé l'Hiftorien de la gauche (1), qui étoit chargé d'écrire les paroles des Princes, l'autre l'Hiftorien de la droite (2), qui écrivoit leurs actions: Sous la Dynastie fuivante on en ajoûta encore deux (3).

Comme la Chine étoit alors divifée en plufieurs petits Royaumes, tous les Souverains de ces Etats avoient fuivi l'exemple de l'Empereur. Ces Hiftoriens apportoient un foin extraordinaire pour ne rien mettre que de vrai dans leurs écrits; auffi jouiffoient-ils de la plus grande confidération auprès des Empereurs. Ils faifoient en leur présence la lecture de ces anciennes Annales, afin que

(1) Tfo-fu ou Tfo-fe, ou Tifo che

(2) Yeou-fu ou Yeou-fe; on prononce auffi ce dernier mot Che. (3) Noui-fe & Vai-fe, l'Hiftorien de l'intérieur & celui de l'extérieur.

l'exemple des Princes vertueux fervît à rectifier la conduite de celui qui régnoit, Plufieurs de ces Hiftoriens ont mieux aimé s'expofer à la mort que de ne pas inférer dans leurs Annales les défauts du Souverain. Le grand Hiftorien étoit un des principaux Officiers de l'Empire; il étoit autant confidéré que le premier Miniftre; quelquefois il a été en même tems le Grand Prêtre de la Religion.

L’Histoire étoit faite alors, moins pour donner la connoiffance des tems & des regnes que pour inftruire par des exemples ceux qui étoient à la tête du Gouvernement. » Quels hommes, dit un Philofophe Chinois,

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que nos anciens Rois! leurs paroles étoient autant de » maximes propres à fervir de loix à tout l'Univers, » leurs actions autant d'exemples propres à servir de modele à tous les fiécles. Cependant tout fages & tout » vertueux qu'étoient ces grands hommes, ils se dé» fioient encore d'eux-mêmes, ils craignoient de fe relâcher & de s'oublier. Pour fe tenir en haleine ou pour être redreffés en cas de befoin, parmi les Officiers de » leur fuite, ils en avoient dont l'emploi étoit de remar» quer leurs paroles & leurs actions, d'en porter un jugement équitable, & de les faire passer aux fiécles fuivants. Telle étoit, dans la premiere institution, la » fonction principale des Historiens: tenir un regître des mois & des jours pour avertir à tems des céré» monies, n'étoit que l'acceffoire de cet emploi

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Tous ces foins pris à la Chine pour écrire l'Histoire font prefque devenus inutiles. Les guerres civiles qui arriverent cinq à fix cents avant J. C., ont d'abord fait

négliger

négliger ces établissements; on prétend qu'il n'y eut plus d'Hiftoriens publics. Enfuite, l'an 213 avant J. C., l'Empereur Chi-hoang-ti ayant fait brûler les anciens monuments, il ne refta plus que quelques livres & des fragments, qu'il est souvent difficile de concilier. Ce Prince, qui vouloit changer entierement la forme du Gouvernement Chinois, & fe rendre absolu dans l'Empire, crut que, pour abolir les loix & les anciens usages il falloit détruire les monuments historiques qui les renfermoient, d'autant plus que les Lettrés ne ceffoient de blâmer fa conduite en lui citant ces anciens monuments. Il ordonna donc que l'on brûlât le Chou-king, le Chiking, & plufieurs autres Traités d'Hiftoire & de Morale, contraires au Gouvernement préfent, & il ne conferva que les livres des Sciences & l'Hiftoire de fa Famille. Ses ordres furent exécutés avec la plus grande cruauté : on brûla, avec leurs livres, quatre à cinq cents Lettrés qui s'étoient retirés dans les montagnes, pour fauver ces anciens monuments; mais trente-fept ans après cette perfécution, 176 avant J. C., l'Empereur Ven-ti fit rechercher les livres qui avoient pu échapper à cet incendie; on découvrit principalement le Chou-king.

Après la découverte de ce livre & de quelques autres de l'Empire, on rétablit la Charge de Grand Historien & Se-ma-tsien, qui en fut revêtu, rassembla, vers l'an 97 avant J. C., tous ces fragments, qui se réduisent à un petit nombre, & compofa des Mémoires fur l'ancienne Histoire. Il forma un Syftême de Chronologie; dans la fuite d'autres en propoferent de contraires : ainsi les Chinois à cet égard ne font pas d'accord entr'eux.

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Cet Ouvrage de Se-ma-tfien eft la premiere Hiftoire Chinoife complette qui existe à présent. Dans la fuite, & de fiecle en fiecle, on en a publié pour chaque Dynaftie, qui, depuis cette époque, a gouverné l'Empire. Ce beau Recueil, qui eft tout entier à la Bibliotheque du Roi, eft connu fous le nom des vingt-un Historiens: il eft d'une étendue immenfe, & renferme l'Hiftoire authentique de l'Empire, faite par des Historiens publics, feuls chargés fucceffivement de la compofer. Voilà la premiere claffe des Livres Hiftoriques. Chacun de ces différents ouvrages eft divifé en plufieurs livres, & contient l'Hiftoire des Empereurs, des Impératrices, des Princes leurs enfants, celle des grands Officiers, Miniftres ou Généraux d'Armée, celle des petits Royaumes voifins ou tributaires, les liaisons avec les Pays Etrangers, l'Hiftoire de toutes les perfonnes de l'un & de l'autre fexe qui fe font diftinguées par leur fcience & par leur mérite, l'Hiftoire particuliere des Rebelles, les Obfervations Aftronomiques, les phénomenes, & en général, l'Hiftoire des Sciences & des Arts: les nouvelles inventions, les livres qui ont paru pendant le regne de la Dynastie, la Géographie de l'Empire, les Loix & ce qui a rapport à l'adminiftration: en un mot, toutes les parties qui peuvent entrer dans l'Hiftoire y font traitées, mais chacune f parément, ce qui met de la fechereffe dans chaque article; chaque fujet y paroît avec ce qui lui eft propre, & n'est point embelli par des détails étrangers; mais il ne faut point perdre de vue que tous ces détails ne commencent qu'environ deux fiécles avant L'Ere Chrétienne, & que ce qui précede cette époque n'est pas également détaillé.

Après cette premiere claffe d'Hiftoriens authentiques, les Chinois placent les Chroniques. Parmi les anciens monuments échappés à l'incendie, on trouva une petite chronique intitulée Tchun-tfieou, faite par Confucius; elle fervit de modele pour en compofer de femblables, mais plus étendues. D'abord ces chroniques ne contenoient que l'histoire de quelques Familles particulieres, dans la fuite on en compofa qui renfermerent celle de toute la Chine. Les plus considérables sont à la Bibliotheque du Roi.

Les anciens Chinois avoient un Ecrivain, qui, fous le titre d'Historien de l'intérieur, étoit obligé d'écrire ce qui fe paffoit, & même ce qui fe difoit au-dedans du Palais. Cette Charge avoit été abolie pendant les guer res civiles, mais depuis le rétablissement des Lettres, vers le premier fiécle de l'Ere Chrétienne, comme on vouloit imiter en tout les Anciens, on fit revivre cette Charge, qui, obligeant de demeurer dans l'intérieur du Palais, fut donnée à une femme. Dans le feptieme fiécle de l'Ere Chrétienne, on publia beaucoup de ces Mémoires, qui étoient revus par des Ministres & par des Savants habiles.

Ces trois claffes de livres renferment l'Hiftoire authentique de la Chine, ou celle qui a été composée par ordre du Gouvernement. Mais les Chinois ne fe font pas bornés à ces feuls ouvrages; ils ont encore compofé diverfes Hiftoires de l'Empire, des Chroniques & des Mémoires, qui, n'étant pas revêtus de l'autorité publique, font moins authentiques que les précédents, & par conféquent forment trois autres claffes d'un ordre infé

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