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Chinois ont été attentifs à recueillir ce qui concerne leur Hiftoire.

Quoique, fous une domination étrangere, ils prennent encore les plus grandes précautions à cet égard, des Savants choifis & à portée de connoître tout ce qui fe paffe dans le Gouvernement, écrivent, chacun féparément, ce qu'ils apprennent, & dépofent ces manuscrits dans un Bureau fermé, qui ne s'ouvre qu'après l'extinction de la Famille régnante. Alors on examine tous ces écrits, & on en compose l'Histoire de la Dynastie. Il y a dans les Provinces de semblables Bureaux, qui ne font ouverts que tous les quarante ans, pour faire l'Hiftoire de la Province. Mais ces foins & ces précautions, pour dire librement la vérité, ne mettent pas l'histoire à l'abri de la corruption. Comme il eft honorable pour les Familles d'être nommé dans ces Hiftoires, l'argent & les présents y font introduire des détails flatteurs & altérés: probablement à la Cour, les graces & les faveurs du Prince produisent le même effet. Mais quelqu'inconvénient qui puiffe fe rencontrer dans ce bel établissement, il fait toujours l'éloge de la Nation chez laquelle il

existe.

Tant de foins, & cette longue fuite d'ouvrages hiftoriques en ont impofé & aux Miffionnaires & aux Savants de l'Europe, qui ont donné les plus grands éloges à l'Histoire de la Chine, & qui l'ont mife au-deffus des monuments de toutes les autres Nations. La plûpart ont cru que la Chronologie Chinoise méritoit une attention très particuliere, & qu'elle étoit préférable à tout ce que

d

nous avons en ce genre. D'autres Ecrivains ont été encore plus loin pour prolonger l'antiquité du monde.

Les Chinois, dit-on, ont pris des précautions fingulieres pour tranfmettre à la postérité les faits de leurs Ancêtres, & dès le regne d'Yao, 2357 avant J. C., ils avoient des Historiens & de plus des Aftronomes qui étoient chargés d'examiner tous les mouvements céleftes. Un Empereur de la Chine 220 avant J. C., fit brûler tous les monuments historiques; mais peu de tems après on raffembla avec foin ce qui avoit pu être épargné, & on parvint à former un corps de tous ces anciens monuments, qui, avec l'histoire des fiécles fuivants, compofent aujourd'hui les Annales Chinoifes. Ces Annales remontent, ajoûte-t-on, fans interruption, depuis le tems préfent jufqu'au regne d'Yao, & elles nous préfentent une lifte non interrompue d'Empereurs. Les Chinois font fi perfuadés de l'existence d'Yao vers l'an 2357, dit le P. du Halde, qu'on s'expoferoit à de grandes peines, fi l'on ofoit foutenir le contraire. Cette chronologie, continue-t-il, & c'eft le fentiment de tous les Miffionnaires, & celui de plufieurs autres Savants, mérite en effet qu'on y ajoûte foi.

1o. Parcequ'elle eft fort fuivie & bien circonftanciée.

2°. Parcequ'elle n'a pas l'air de fable comme celle de plufieurs autres Peuples.

3. Parcequ'elle eft appuyée sur plufieurs Obferva→ tions Aftronomiques, qui fe trouvent conformes au calcul des plus favants Aftronomes de ces derniers tems.

4. Parceque toutes les parties de cette ancienne Hiftoire ont été écrites par des Auteurs contemporains.

J'omets ici plufieurs autres raifons moins importantes, alléguées par le P. du Halde & par ceux qui ont écrit en faveur des Annales Chinoifes. Cet éloge est vrai dans le général, & abfolument faux relativement à certains tems. Que nous importe que les Chinois aient pris tant de foin pour écrire leur ancienne Hiftoire, s'il n'en refte que des fragments, dont la liaison fouffre les plus grandes difficultés, & qu'ils aient été Aftronomes, s'ils n'ont point confervé d'observations, ou si ces observations ne peuvent être foumifes au calcul!

Examinons d'abord l'étendue des Annales par proportion dans toutes leurs parties: cette espece de procédé, fufceptible d'être faifi par tout le monde, peut faire quelqu'impreffion. En effet, l'immenfe Recueil des vingt-un Historiens dont j'ai parlé plus haut, Recueil qui peut contenir environ cinq cents volumes, quatorze petits renferment tous les Mémoires hiftoriques depuis Yao jusques vers l'an 200 avant J. C.; le reste appartient aux tems poftérieurs : de ces quatorze, fept ne contiennent que de fimples tables généalogiques. Mais établis fons ce parallele fur un abrégé univerfellement estimé à la Chine, dans lequel on a on a employé ces Mémoires, & dans lequel par conféquent il n'y a pas de répétitions comme dans l'Ouvrage dont je viens de parler. Cet abrégé, iutitulé Tong-kien-kang mo, eft en cinquantefix volumes (1). La moitié du fecond, c'est-à-dire, 75

(1) Suivant l'édition que je poffede ; & en cent, fuivant celles qui font

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pages, & le troifieme volume entier, qui eft de 111 pages, remplies d'une multitude de notes pour éclaircir le texte, & qui font plus étendues que ce texte, nous offrent l'Hiftoire depuis le regne d'Yao jufqu'au commencement de la troifieme Dynaftie, c'eft-à-dire, toute celle de la premiere, qui a duré 440 ans, & celle de la seconde, qui a subsisté pendant 646 ans : ajoûtons à cela 150 ans pour la durée des regnes d'Yao & de Chun. Telle eft l'étendue de l'Hiftoire de la Chine pendant environ les 1236 premieres années. Celle de la troisieme & de la quatrieme Dynastie, jufqu'à l'an 207 avant J. C., eft plus étendue, ou plutôt devient plus étendue à mesure qu'elle s'éloigne des tems anciens : elle est renfermée dans neuf volumes. Les quarante-quatre autres contiennent toute l'Hiftoire, depuis l'an 207 avant J. C. jufques vers l'an 1368 de l'Ere Chrétienne. Une fi grande disproportion entre ces différentes parties prouve évidemment que la premiere, qui renferme douze fiécles, & qui eft la principale par rapport à la Chronologie ancienne, ne doit préfenter que très peu de détails. Ce n'eft cependant que fur cette premiere partie que ceux qui font entêtés des Antiquités Chinoifes peuvent infifter: ajoûtons encore que dans cette partie l'on trouve beaucoup de longs difcours moraux qui ne peuvent fervir ni pour la chronologie ni pour les faits, & qui font tous tires du Chou-king.

Tel est l'état des Annales Chinoifes pour les tems an

à la Bibliotheque du Roi. Cette différence ne vient que du caractere plus petit dans la premiere.

ciens. On pourroit cependant s'en former une idée favorable, en fuppofant que, malgré la stérilité des détails, elles confervent une fuite exacte de regnes, de générations & d'observations aftronomiques, que par conféquent elles peuvent nous faire connoître le véritable intervalle du tems qui s'eft écoulé depuis la fondation de l'Empire jusqu'à présent. Entrons donc dans un examen particulier à cet égard, en commençant par les Obfervations Aftronomiques.

Nous avons vu plus haut que l'on a beaucoup vanté cet accord de l'Aftronomie avec l'Hiftoire. En effet, dès le tems d'Yao, les Chinois, s'il faut les en croire, fe font occupés fingulierement de l'Aftronomie, & l'on eft tenté d'admettre, d'après ce qu'ils difent, qu'ils doivent avoir confervé une longue fuite d'observations qui conftatent le regne de chaque Prince. Cependant il ne reste pour les douze premiers fiécles de leur Histoire, qu'une feule éclipfe de foleil, énoncée d'une maniere très obfcure, dans le paffage du Chou-king, où elle eft rapportée (1). On confulter ce que peut M. Freret & d'autres ont dit fur cette éclipfe. Il réfulte de-là que les Aftronomes Chinois poftérieurs, qui ont voulu la calculer, ne s'accordent pas entr'eux, parceque le Chou-king ne marque ni l'année du regne de l'Empereur Tchong kang dans laquelle elle arriva, ni le jour du cycle; d'où l'on doit conclure que cette éclipfe ne peut être regardée comme l'époque fondamentale de la Chronologie Chinoife. C'est donc un abus de prétendre que l'ancienne Histoire

(1) Voyez le Chou-king, pag. 67.

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