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les Officiers à l'égard des Peuples regardés comme les enfans du Souverain, & les obligations du Souverain lui-même, auquel on accorde à peine quelques délaffements. Un Trône, dit le Chou-king, eft le fiége des embarras & des difficultés.

C'eft en confidération de ces Loix, contenues dans cet Ouvrage, que les Chinois étoient anciennement les arbitres des différends qui arrivoient chez leurs voisins, & qu'en général ils ont été admirés de toutes les Nations qui les ont connus. Eufebe, dans fa Préparation Evangélique (1), dit, d'après Bardeffanes, que chez les Seres il y a des Loix qui défendent le meurtre, le libertinage, le vol, & le culte des Idoles; c'eft pourquoi, ajoûte-t-il, dans ce vafte pays, on ne voit point de temples, de femmes débauchées, d'adulteres, de voleurs, ni d'homicides: l'étoile de Mars ne leur a point impofé la dure néceffité de tuer les hommes, & celle de Venus ne leur a point inf piré de prendre la femme d'autrui, quoique ces deux étoiles parcourent tous les jours leur ciel, & quoiqu'il naiffe tous les jours & à toute heure des Seres. Cet éloge eft certainement exagéré, comme nous exagérons actuellement ceux que nous donnons aux Chinois, les mêmes que les Seres; mais il prouve toujours que la vertu a été depuis long-tems en honneur chez ces Peuples. Pline (2), en parlant d'eux, les qualifie de peuples doux, Seres mites quidem; mais il les blâme à caufe de l'averfion qu'ils ont pour les Etrangers qui commercent avec eux; fed & ipfis feris perfimiles, cum commercia

(1) Livre 6, Chap. 10. p. 274.

(2) Lib. 6. n°. 20`, de l'Edit du P. Hardouin,

Spectant, parceque, comme dit Martianus, cité par le P. Hardouin, appofitione mercium fine colloquio gaudent implere contractum; c'est avec peine qu'ils fe communiquent avec les Nations qui fe rendent dans leurs ports. Tel eft encore le caractere des Chinois; & le Chou-king, fans défendre le commerce, infifte beaucoup fur ce que l'on ne doit pas rechercher les choses rares & précieuses qui viennent des Etrangers. Il n'y a que les Sages, dit-il, que l'on doive s'empresser de re

cevoir.

Quoiqu'en fait de morale le Chou-king ne nous apprenne rien de nouveau, on ne fera pas fâché cependant de connoître quelles étoient les mœurs, les usages, la maniere de penfer & de s'exprimer de ces Peuples il y a trois mille ans, quels font les fondements d'un édifice fi folidement établi, je veux dire d'un Empire qui subsiste depuis fi long-tems, & aux Loix duquel les Vainqueurs eux-mêmes ont été obligés de fe foumettre. On peut voir dans le Poëme (1) compofé par l'Empereur Kien-long, qui occupe actuellement le Trône de la Chine, que le Chou-king eft encore la base du Gouvernement Chinois; l'Empereur en a tiré plufieurs belles maximes: d'ailleurs, ce livre renferme ce que l'on fait de l'ancienne Hiftoire de la Nation.

Si le Chou-king étoit moins ancien, on feroit tenté de croire que toutes fes maximes font puifées dans les écrits des Stoïciens, elles en ont toute l'empreinte; mais

(1) Ce Poëme, intitulé Eloge de Moukden, eft imprimé chez le même Libraire qui a imprimé ce volume.

Confucius eft mort avant que les Fondateurs de cette Secte euffent paru, & ce Philofophe Chinois n'est que le compilateur & le revifeur de ce livre, dont les différentes parties existoient avant lui, c'est-à-dire, l'an 550 avant J. C. Le Chou-king eft donc un des plus anciens livres que nous ayons. S'il faut en croire les Chinois, il s'y trouve des parties qui feroient encore plus anciennes, puifqu'ils penfent que les Chapitres qui contiennent ce que l'on rapporte d'Yao & de Chun ont été compofés par des Hiftoriens qui vivoient du tems même de ces Princes : or Yao, le plus ancien, régnoit, suivant la chronologie ordinaire des Chinois, vers l'an 2357 avant J. C. Les Chinois, qui n'ont aucune connoiffance de l'Hiftoire des autres Nations, ne forment aucun doute fur ce qui eft rapporté dans ces Chapitres ; quant à nous, il faudroit être bien crédule pour admettre que tous ces faits ont été écrits, & même font arrivés dans des tems fi reculés & dans un pays fi éloigné. Ces premiers Chapitres feroient les plus anciens écrits qui fussent au monde ; mais quand on les examine avec attention, on y remarque des détails qui font naître de violents foupçons fur l'ancien état de l'Empire Chinois. Cet Empire, pendant le regne des deux premieres Dynafties, c'est-à-dire, jusqu'à l'an 1122 avant J. C., paroît, pour ainfi dire, être renfermé dans un territoire médiocrement étendu, je dirois volontiers dans un feul canton, que l'on quittoit lorsque la nécessité des vivres obligeoit à en aller chercher ailleurs. A l'époque dont je viens de parler, Vouvang, fondateur de la troifieme Dynaftie, arrive de l'occident avec trois mille hommes, dont une partie étoient

des Barbares voisins de la Chine, il s'empare de l'Em pire, & renferme dans une ville tous les anciens fujets de l'Empereur détrôné ; il leur donne de nouvelles loix, les fait inftruire, & parvient infenfiblement à changer toute la Nation : voilà ce que l'on apprend dans le Chouking. Tcheou-kong, frere du conquérant, poliça la Nation, & fut le véritable Législateur des Chinois. Les Loix & le Gouvernement prennent alors une nouvelle forme, les cérémonies religieufes font mieux réglées ; on commence à s'appliquer à la Philofophie. Un Chapitre entier du Chou-king renferme les idées que l'on avoit alors de cette Science. Ce Chapitre a quelque rapport avec le traité d'Ocellus Lucanus, mais il eft plus imparfait, parcequ'il eft plus ancien. L'Empire Chinois étoit encore peu confidérable.

Pendant le regne de la Dynastie des Tcheou, qui commença, comme je l'ai dit, vers l'an 1122 avant J. C., il furvint des troubles confidérables dans l'Empire, qui firent négliger les établissements du Philofophe Tcheou-kong. Les monuments historiques furent abandonnés jusqu'au tems que Confucius les rassembla en un feul corps avec des Mémoires concernant l'établissement de la trosieme Dynastie, & principalement ce qui a rapport à la législation que Confucius ne fit par là que renouveller; encore n'a-t-on pas tous les Chapitres qui exiftcient anciennement. On remarque, en lifant le Chou-king, une différence affez confidérable entre les trois premieres parties & la quatrieme; dans celle-ci on voit des hommes qui ont plus réfléchi & qui font plus inftruits que ne l'étoient leurs prédéceffeurs ; mais ces derniers,

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derniers, guidés par les feules lumieres de la raison simple & naturelle, n'en étoient pas moins fages.

D'après tout ce que j'ai dit du Chou-king, on croira peut-être que cet Ouvrage n'eft qu'un traité de morale & de politique ; nous devons le regarder encore comme l'unique monument de l'ancienne Hiftoire de la Chine: toutes les inftructions qui s'y trouvent n'y font rapportées qu'à l'occafion des événements. Tantôt c'est un Prince qui établit un Vaffal ou un Ministre, & qui, cette occasion, lui enseigne de quelle maniere il doit se comporter dans fa nouvelle place; tantôt c'est un Miniftre qui inftruit fon Maître encore jeune ; quelquefois c'est un événement qui détermine l'Empereur ou plutôt le Roi, car alors les Souverains de la Chine ne portoient que ce titre, à communiquer ses réflexions & à publier les ordres. Dans un Chapitre on voit la forme du Gouvernement & le nombre des Magistrats, dans un autre les expéditions militaires; en un mot, c'est un livre historique dans lequel les différents événements font naître l'occasion de donner des préceptes & des inftructions au Souverain, aux Grands, aux Miniftres & aux Peuples. Il fembleroit que le Chou-king ne contiendroit que l'Hiftoire des tems héroïques de la Chine; mais, ils font bien différents de ces mêmes tems chez les Grecs; les Héros de ceux-ci étoient des efpeces de brigands qui étoient le fleau des pays par lefquels ils paffoient, une bravoure féroce étoit leur caractere; ceux de la Chine au contraire ne font occupés qu'à faire le bonheur des hommes, à se perfectionner dans la pratique de la vertu, à établir des loix fages, pleines d'humanité

& de douceur.

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