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interstices abfolument vuides, & qu'il y a dans le corps beaucoup plus de vuide que de matière folide. Keil étoit un fçavant Phyficien; & fes raifonnemens portoient l'empreinte de fon génie. Cependant l'illuftre Leibnitz regarda l'idée que quelques Philofophes croient avoir du vuide, comme une illufion de l'imagination.

cer,

Si l'efpace eft, dit-il, un être réel, fubfiftant fans les corps & qu'on puiffe les y plail eft indifférent dans quel endroit de cet espace on les place, pourvu qu'ils confervent le même ordre entre-eux : ainfi il n'y auroit point de raifon, pourquoi Dieu auroit placé l'univers dans la place où il eft actuellement plutôt que dans tout autre, puifqu'il pouvoit le placer dix mille lieues plus loin & mettre l'orient où eft l'occident, ou bien il pouvoit le renverfer, faifant garder aux chofes la même fituation entre-elles. Selon lui, l'efpace n'eft que l'ordre des chofes qui coëxif

tent.

Newton écrivoit fur l'efpace dans le temps que Leibnitz ne vouloit point l'admettre. Ĉe favant Anglois foutenoit que ce qu'on appelle efpace eft le fenforium de Dieu, ce par le moyen de quoi Dieu eft préfent à toutes chofes. Mais Leibnitz fe, moqua hautement de cette définition. Si l'efpace eft ce que vous dites, dit-il à Newton, Dieu a donc befoin de quelque moyen pour voir les chofes ou pour les fentir. Elles ne dépendent donc pas entièrement de lui, & ne font pas fa production. Cette conféquence étoit terrible, & Newton ne crut pas devoir fe juftifier. Ce fut

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1700.

le célèbre Clarke, fon admirateur, & grand Métaphyficien, qui prit fa défenfe.

Il attaqua d'abord le raifonnement de Leibnitz, pour prouver qu'il ne peut y avoir d'ef pace; & il foutint que la fimple volonté de Dieu étoit la raifon fuffifante de la place de l'univers dans l'efpace, & qu'il n'y en avoit po nt d'autre. Selon lui, l'efpace eft une fuite de l'existence de l'être infini & éternel. Mais les Leibnitiens répondent à Clarke, que Dieu ne fauroit agir fans des raifons prifes dans fon entendement ; & que fa volonté doit toujours fe déterminer avec raifon. Recourir à une volonté arbitaire de Dieu, c'eft donc être réduit à l'abfurde.

On foutient encore l'existence du vuide pat le mouvement. On veut qu'il foit abfolument néceffaire pour que les corps puiffent changer de place. Le calcul à la main, les Difciples de Newton démontrent prefque que les aftres ne fauroient fe mouvoir s'ils éprouvoient dans leur mouvement la moindre réfiftance de la part du fluide environnant. Or il eft prouvé qu'un corps qui choque un autre corps, ne lui cède la place qu'en lui raviffant autant de mouvement qu'il en reçoit. Ainfi les corps céleftes en faisant leur révolution dans le plein, fe mouvroient dans un fluide auffi denfe qu'eux mêmes, & il est certain qu'une fphère perdroit fa vitefle après avoir parcouru feule. ment deux fois fon diamètre: il y a donc du vuide dans le fluide où les planetes circulent. On prouve encore que ce fluide eft infiniment rare. C'eft en lui comparant la rareté de l'ether à mesure qu'on s'éloigne de la fur

face de la terre. Et voici comment on fait cette comparaison.

Le Lecteur verra dans la fuite de cet ouvrage, que la lumière eft tranfmife du foleil jufques à nous dans fept ou huit minutes, c'eft à-dire, qu'elle parcourt une diftance d'envi

ron foixante-dix millions de milles *. Ot áfin que les vibrations du fluide, que traverse la lumière, puiffent produire les accès alternatifs de facile tranfmiffion & de facile réflection, il faut que ces vibrations foient plus promptes que celles du fon, (voyez ci-après l'histoire du fon): donc la force élaftique de ce fluide doit être à proportion de fa denfité plus de 490000000000 plus grande que n'est la force élaftique de l'air, à proportion de fa denfité. Ainfi fi l'on fuppofe que l'ether eft compofe comme notre air de particules, qui tâchent de s'écarter les unes des autres, ces particules doivent être d'une extrême petiteffe. Les corps célestes doivent donc fe mouvoir librement, dans ce fluide, & n'y trouver point de réfifstance fenfible.

Concluons donc qu'il y a beaucoup de vuide dans l'univers, car plus les parties d'un fluide font petites, plus il y a de vuide. Auffi tous les Phyficiens conviennent aujourd'hui, qu'il y a beaucoup de vuide dans les corps, & M. Muschembroek eftime qu'il y a quatorze fois plus de vuide dans l'eau que dans le mercure, & quatorze mille fois plus dans l'air que dans l'eau.

* Le mille dont il s'agit ici eft de 1000 pas géométriques, ce qui fait le tiers d'une grande lieuc de France.

1730.

chrétienne,

le

QUOI QU'IL en foit, les Leibnitiens, qui fou tiennent que l'efpace eft l'ordre des coëxiftans en tant qu'ils coëxiftent, veulent auffi que temps foit l'ordre des chofes fucceffives en tant 350 ans qu'elles fe fuccèdent. Si cela eft, le le temps n'est avant l'ere rien hors des chofes, C'étoit à-peu-près le fentiment des anciens Philofophes. Platon difeit que le temps étoit né avec le ciel, qu'il eft le mouvement même; Pithagore l'appeloit l'ame de l'univers. Ce n'étoit rien dire; auffi les Stoïciens adoptoient la définition de Platon, & Eraftotene vouloit que ce fût le mouvement du foleil. Ainfi, pour fçavoir ce que c'eft que le temps, il n'y a qu'à réfléchir à la manière dont un corps en mouvement change continuellement de place, en paffant fucceflivement de l'une dans une autre. On s'en fait encore une idée plus claire & plus jufte, en faifant attention à la manière dont nos idées fe fuccèdent continuellement les unes aux

220 ans.

autres.

C'est même la fucceffion de nos idées plutôt que les mouvemens des corps, qui nous fait naître l'idée du temps. En effet, toutes les mefures du temps ne font fondées que fur la durée de notre être, & fur celle des êtres qui coëxiftent avec nous, & dont nous rapportons l'existence à l'idée que nous avons de la nôtre: car ayant aquis l'idée de fucceffion & de temps, pendant que nous avons des idées fucceffives, nous transportons cette idée au temps pendant lequel nous n'en avons point eu. Et c'eft ainfi que nous acquérons l'idée que nous avons de la durée de notre exiftence, en téfléchiffant au temps qui s'eft écoulé lorsque

nous n'étions pas encore, & à celui qui s'écoulera quand nous ne ferons plus.

1690-1700

Telle eft la façon dont Leibnitz, Locke, & leurs Difciples ont défini le temps. Mais tout & 1730, de cela n'eft qu'idéal. Auffi Locke dit qu'un grand l'ere chréhomme, qu'il ne nomme pas, répondit à tienne. celui qui lui demandoit ce que c'eft que le temps; je comprends ce que c'eft lorfque vous ne me le demandez pas: fi non rogas, intelligo. Saint Auguftin difoit la même chofe : fi nemo ex me querat, fcio: fi quarenti velim explicare, nefcio. (L. 11. conf. 14).C'est encore une autre queftion difficile à réfoudre fur le temps: fça. voir fi l'on peut le mefurer. Les premiers Phyficiens, plus de 700 ans avant Jefus-Chrift, fe fervoient du cours du foleil: ils avoient même imaginé les cadrans folaires qui font connoître la durée de fa marche. On inventa enfuite des clepfidres: c'étoient des espèces d'horloges *. Mais peut-on avoir une mesure exacte du temps? Non, fans doute, car on ne peut appliquer une partie du temps à luimême pour le mefurer; comme on mesure l'étendue par des portions de l'étendue, fçavoir par des toifes, des pieds, &c. D'ailleurs, puifque nous n'avons une idée jufte du tems que par la fucceffion de nos idées, chacun a fa mefure propre du temps dans la promptitude ou la lenteur avec lefquelles les idées fe fuccèdent; car le tems nous paroît long lorfque les idées fe fuccèdent lentement dans notre efprit.

Voyez l'hiftoire de ces inventions, dans l'Histoire des progrès de l'efprit humain dans les sciences exactes, page 281,

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