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pour les saintes règles de l'Eglise et pour l'autorité de l'Ordinaire (1).

Afin de bien asseoir son œuvre, le saint évêque passa à Grenoble la semaine qui suivit la fête de Pâques. Pendant ces quelques jours, il alla voir, avec l'évêque de Calcédoine, la mère de Chantal, la sœur de Châtel et quelques amis de la Visitation, plusieurs maisons de la ville dont on lui avait parlé; mais il n'en rencontra point de convenable et qu'il pût acquérir pour y transporter sa communauté. On jeta donc les yeux sur un petit plateau nommé Chalemont, situé au-dessus du quartier de la Perrière, contre le flanc de la montagne qui domine Grenoble au nord. C'était un lieu écarté, d'un accès difficile et hors de tout voisinage bruyant, bien que compris dans l'enceinte de la ville, et de plus fort agréable, puisque de là on a à ses pieds l'Isère et Grenoble, devant soi la vaste plaine, à droite et à gauche, deux vallées magnifiques, et pour horizon les plus belles montagnes qu'on puisse voir et qui forment un tableau à la fois pittoresque et splendide. Ces avantages, que François goûtait extrêmement, le firent passer par-dessus les difficultés que l'on rencontrerait à bâtir sur cet emplacement rocailleux, et il fut résolu qu'on l'achèterait; ce que fit la mère de Chantal peu de jours après, pour la somme de 841 livres. Elle reçut en même temps plusieurs jeunes postulantes, entre autres Me de Bressant, Me de Colisieu et Me Bonnet de la Bâtie, sœur de celle dont nous avons déjà parlé; enfin, elle établit supérieure du monastère la mère Péronne-Marie de Châtel, << fille

() Mss., p. 18.

tout-à-fait admirable,» selon l'expression de saint François (1).

Pendant que la fondatrice disposait ainsi toutes choses avec ce bon sens supérieur qui la distinguait, le saint évêque dut s'éloigner de ce peuple grenoblois qu'il avait tant aimé, avec lequel on peut dire qu'il vivait depuis deux ans, et qui était devenu sa famille. Il quitta notre ville le 22 avril, lendemain du dimanche de Quasimodo. Ce départ fut en même temps un grand deuil et un magnifique triomphe.

Cette fois, il ne se rendit pas directement à Annecy; il voulut aller en pélerinage au monastère de la GrandeChartreuse. Ce monastère célèbre était gouverné depuis l'an 1600, et devait l'être encore jusqu'en 1631, par un des plus grands prieurs qu'il ait jamais eus, dom Bruno d'Affringues, qui était depuis longtemps en relation avec le saint évêque de Genève. En 1607, il l'avait affilié à l'ordre des chartreux (*). En 1608, après avoir lu l'Introduction à la Vie dévote, il félicita François et lui dit que l'auteur d'un ouvrage aussi parfait n'en devait plus composer d'autre, s'il voulait avoir soin de sa réputation. Et en 1616, lorsqu'il connut son Traité de l'Amour de Dieu, il s'empressa de lui adresser une lettre dans laquelle il le suppliait d'écrire toujours (3).

Nous laisserons Mgr Camus nous raconter avec son charme ordinaire la visite de l'évêque de Genève au couvent de la Grande-Chartreuse :

(') Lettres, t. II, p. 106.

(*) Mss., p. 45.

(3) Histoire, etc., par M. le curé de Saint-Sulpice, t. I, p. 609, et t. II,

P. 171-172.

« Dom Bruno reçut notre Bienheureux avec un accueil digne de sa piété, candeur et sincérité, dont vous allez entendre un trait que François élevait jusqu'aux étoiles. Après l'avoir conduit à une des chambres des hôtes, convenable à sa qualité, et s'être entretenu avec le saint évêque de propos tout célestes, il se rencontra qu'il était quelque fête de l'ordre ce qui obligea ce bon homme à prendre congé de notre François, en lui montrant qu'il lui eût bien volontiers tenu compagnie jusques à l'heure de son repos, mais qu'il estimait que sa piété aurait agréable qu'il préférât l'obéissance au sacrifice de la civilité, et qu'il se retirât en sa cellule, à l'heure ordonnée, pour pourvoir la nuit à leurs matines.

» Le Bienheureux François approuva beaucoup cette exacte observance, le bon homme s'excusant encore de la fête d'un saint fort recommandée en son ordre. Le *congé pris avec tous les compliments de respect et d'honneur qui se peuvent désirer, comme il se retirait en sa cellule, il fut rencontré par un des conventuels officiers de la maison, qu'ils appellent courriers et ailleurs procureurs, qui lui demanda où il allait et où il avait laissé Monseigneur de Genève.-« Je l'ai, dit-il, laissé en »sa chambre, et ai pris congé de lui pour me ranger en >> notre cellule et aller cette nuit à matines, à cause de » la fête du lendemain. »« Vraiment, lui dit cet

officier, Père Révérend, vous vous entendez fort aux » cérémonies du monde! Hé quoi! ce n'est qu'une » fête de l'ordre; avons-nous tous les jours, en ce désert, des prélats de cette taille? Ne savez-vous pas » que Dieu se plaît aux hosties de l'hospitalité et de la » bénéficence? Vous aurez toujours assez de loisir de

>> chanter les louanges de Dieu; matines ne vous man» queront pas d'autres fois; et qui peut mieux entre» tenir un tel prélat que vous? Quelle vergogne, pour » la maison, que vous l'abandonniez ainsi seul! » — « Mon enfant, dit le Révérend Père, je crois certes que >> vous avez raison, et que j'ai mal fait. »

De ce pas il retourne vers Monsieur de Genève et, en le rencontrant dans sa chambre, lui dit tout froidement: << Monseigneur, j'ai, en m'en allant, rencontré un » de nos officiers qui m'a dit que j'avais fait une imper>> tinence de vous avoir laissé seul, et que je ne man

querai pas de recouvrer matines une autre fois, mais » que nous n'aurons pas tous les jours un Monseigneur » de Genève. Je l'ai cru et m'en suis revenu tout droit » vous demander pardon, et vous prier d'excuser ma sottise, car je vous assure que ignorans feci, et que » je ne mens point. »

» Le Bienheureux François fut ébloui de cette notable rondeur, candeur, ingénuité, simplicité, et me dit qu'il en fut plus ravi que s'il lui eût vu faire un miracle (1). »

Les deux saints personnages s'entretinrent longtemps ensemble et ne pouvaient plus se séparer. Nous trouvons dans le livre de Mgr Camus plusieurs souvenirs de

ces propos tout célestes» qui remplirent leur conversation. Ils parlèrent de la ponctualité monastique, et François dit que cette vertu se tient au point du milieu, et n'excède ni dans le relâchement ni dans les mortifications (*). Ils traitèrent de la mansuétude pour le

(') Esprit, P. III, sect. xxx. - T. I, p. 202-203.

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prochain ('), des devoirs des supérieurs et de la manière de les remplir (2), et entremêlèrent le tout de plusieurs anecdotes et histoires édifiantes (3). Le saint évêque parla aussi de Grenoble, des consolations qu'il y avait recueillies, des âmes si chères et si dévouées qu'il y avait rencontrées, de l'œuvre qu'il y avait fondée, et des douces espérances qu'il emportait dans son cœur.

Puis il revint à Annecy, l'esprit tout embaumé du parfum de piété qu'on respire dans la solitude de saint Bruno (*), et tout plein du souvenir de notre ville qu'il avait tant aimée.

Entre Grenoble et son saint apôtre, il existait désormais des liens indestructibles, comme il en existe entre un père et sa famille. Ils se multiplièrent et se resserrèrent encore pendant les trois ou quatre années que François de Sales passa sur la terre après ces deux stations éternellement mémorables pour nous, de 1616 à 1618. Par une correspondance nombreuse, par quelques visites rapides, il est vrai, mais fécondes, il continua son œuvre de Grenoble, il l'agrandit et la compléta, en répandant de plus en plus parmi nos ancêtres cette piété large et aimable, cette modération dans les idées, cette mansuétude dans les relations, cette droiture et cette loyauté de caractère qui forment encore aujourd'hui le fonds de notre esprit grenoblois, comme elles formaient le trésor de l'âme du saint évêque.

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(*) M. le curé de Saint-Sulpice, t. II, p. 196.

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