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quitter et où, par une sorte de compensation des tribulations de sa jeunesse, sa longue vie devait s'écouler dans le calme le plus complet. M. Rousselot reçut rapidement les ordres sacrés et, en 1813, à l'âge de vingthuit ans, n'étant encore que diacre, il commença, pour ne le terminer qu'à sa mort, son enseignement théologique qui embrassa tour à tour le dogme, la morale, la direction spirituelle et l'histoire ecclésiastique. M. Rousselot a occupé sa chaire pendant cinquantedeux ans. Pendant plus d'un demi-siècle il a répandu sur les jeunes lévites, avides de la recueillir, la manne abondante et pure de sa parole. Aussi a-t-il vu passer devant lui toute la génération sacerdotale actuelle de ce diocèse. Admirons, Messieurs, la belle unité de cette carrière. Elle nous offre le spectacle bienfaisant et rare d'une longue existence constamment d'accord avec ellemême, et consacrée tout entière à la noble mission d'élever les cœurs et les intelligences confiées à son dévouement. Ce dévouement fut constant, l'âge ne le refroidit pas. M. Rousselot a travaillé jusqu'à sa dernière heure dans l'intérêt de ses élèves, retouchant et même refondant ses leçons, invariablement fidèle à cette maxime de Démosthène, aussi bonne pour les professeurs que pour les orateurs, que c'est manquer de respect à son auditoire que de lui parler sans avoir laborieusement préparé son discours.

Cette application sans relâche porta ses fruits. Le maître en retira la plus saine, la plus profonde doctrine, comme aussi ce langage clair et précis sans lequel il n'y a pas de professeur digne de ce nom. Fort de ces deux grandes qualités, la richesse du fonds et la netteté de la forme, M. Rousselot ne visait point à l'éloquence à la

quelle sa nature eût été d'ailleurs rebelle; il se contentait de s'exprimer sans apparat et sans prétention, familièrement même, afin que le précepte fit mieux sa trouée dans les esprits.

De telles leçons eussent été dignes de la publicité, la modestie de leur auteur la leur refusa. Il se contenta de donner une nouvelle édition de la volumineuse théologie morale de Sattler, et de mettre cet ouvrage en rapport avec le nouveau Droit civil français.

M. Rousselot n'est pas moins digne de nos éloges comme prêtre que comme professeur.

Il fut dans le sacerdoce un modèle achevé de toutes les vertus, fortifiant ainsi son enseignement de la haute autorité de l'exemple. Dès sa promotion à la prêtrise, il s'était tracé, suivant le conseil de Fénelon ('), un plan sévère de vie chrétienne auquel il conforma toujours sa conduite. Il s'y impose notamment le devoir de secourir les pauvres. Il tint si bien sa résolution, qu'il ne fut jamais guère plus riche que ceux qu'il assistait. Mais, bien différent de ce Romain dont parle Tacite, et qui regardait la pauvreté comme le plus grand des maux, paupertatem præcipuum malorum, il se réjouissait de son dénûment comme d'un état plus voisin de la perfection évangélique.

La sollicitude du saint prêtre dont nous parlons ne s'étendit pas seulement aux pauvres, elle enveloppa aussi la jeunesse. En 1822, il fonda pour elle, idée neuve alors, une bibliothèque chrétienne qui s'est maintenue plus de vingt ans; il ouvrit en même temps un cercle religieux où les étudiants en droit préludaient par

(') 6 Lettre sur la religion.

des conférences aux luttes futures du Palais. Il créa enfin l'œuvre de St-Joseph en faveur des jeunes garçons orphelins ou délaissés.

A ces œuvres sorties de sa main, il faut ajouter celles qu'il appuya de son actif concours, telles que celle de la Propagation de la Foi, celle de St-François-de-Salles, celle surtout de Notre-Dame de la Salette. - Ici nous touchons à un épisode important de la vie de M. Rousselot. Il accorda sa foi la plus vive et la plus ardente à l'événement de la Salette, il en soutint la véracité par ses paroles, ses écrits et ses actes, mais la polémique qu'il engagea ne fut pas sans amertume pour lui; il rencontra des adversaires qui ne lui épargnèrent pas l'outrage et osèrent même calomnier son enseignement sur la morale. Certes, la controverse pouvait légitimement s'établir sur ce fait de la Salette. Il était permis de prétendre qu'il n'était pas démontré. Mais ce qui excédait la mesure, c'était de mêler l'injure à la discussion et de méconnaître ainsi le respect dû à toute opinion sincère et désintéressée.

Telle fut, bien imparfaitement retracée, la carrière de M. Rousselot. Sa mort fut édifiante comme sa vie.

Ses élèves anciens et nouveaux le pleurèrent comme un père bien-aimé.

Son évêque le regretta comme un conseiller fidèle et, dans des allocutions publiques, le proposa comme un modèle éternellement imitable aux jeunes gens destinés au sacerdoce.

Nous aussi, hommes du monde, conservons son souvenir et plaçons son image parmi celles dont la contemplation assiḍue élève l'âme et la fortifie dans la pratique des grands devoirs de la vie : l'amour du travail et de

notre état, le désintéressement, la fermeté et la constance dans nos opinions.

Je passe maintenant au sujet principal de ce discours. Ce sujet se rattache à notre ancienne organisation judiciaire......

Lafontaine l'a dit dans une de ses lettres, chacun aime à parler de son métier. Ne vous étonnez donc pas trop qu'un professeur de procédure se laisse entraîner sur le terrain de son enseignement.

Je veux analyser un manuscrit du quatorzième siècle dont je dois la communication à l'obligeance de mon savant collègue et ami, M. Caillemer (1). Ce manuscrit (*) est le registre d'une officialité du moyen-âge, l'officialité de Cerisy (3) en Normandie. Ce registre, analogue à ceux de nos greffes modernes, contient les sentences rendues par l'official de Cerisy de 1314 à 1457, sans compter une série d'actes qui n'ont pas le caractère de jugements et émanent du même magistrat.

Le manuscrit a subi quelques lacérations; le temps, edax rerum, a même effacé quelques pages; mais il y a lieu de penser que les passages disparus sont sans importance, et qu'ils relataient des décisions semblables, sauf les noms, à celles qui sont parvenues jusqu'à nous.

Je me hâte de dire que le document que je vous apporte n'accroît pas sensiblement la somme de notions.

(1) M. Caillemer a fait lui-même une copie de l'original qui se trouve aux archives de la préfecture de la Manche.

(2) 176 pages petit in-folio.

(3) Canton de St-Clair, arrondissement de St-Lô, département de la Manche.

que possédait déjà la science sur les officialités. Son seul mérite est de nous initier à la pratique quotidienne de ces tribunaux ecclésiastiques.

Avant d'interroger ce manuscrit, et pour en faire un compte rendu plus clair, nous rappellerons quelques principes essentiels sur la juridiction ecclésiastique, son organisation et sa compétence.

Avant 1789, l'Eglise était investie de deux espèces de juridictions.

L'une, toute spirituelle, et ayant pour objet les questions de dogme et de discipline; l'autre, purement temporelle, parallèle à celle des seigneurs et du roi, et s'appliquant à certains procès civils ou criminels qui, à raison de leur nature ou de la qualité des justiciables, touchaient aux intérêts de la religion. La juridiction temporelle est la seule qui doive nous occuper.

Dès son établissement, l'Eglise réclama la juridiction temporelle comme le seul moyen de sauvegarder son indépendance et sa doctrine. Elle n'obtint cette juridiction que sous Constantin, le premier empereur chrétien. Le pouvoir de juger fut dévolu aux évêques ou archevêques, dans l'étendue de leur diocèse, et quelquefois aussi, par exception, aux abbés des monastères. - Pendant plusieurs siècles, les prélats ou les abbés exercèrent euxmêmes en personne leur juridiction; mais, au douzième siècle, ils commencèrent à en déléguer l'exercice permanent à un ecclésiastique. Cet ecclésiastique, chargé de rendre la justice au nom de l'évêque ou de l'abbé, prit le nom d'official, et le tribunal tenu par l'official s'appela officialité.

Les auteurs enseignent que les officialités étaient or

T. III.

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