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ganisées dans chaque diocèse sous le pontificat de Boniface VIII, c'est-à-dire de 1294 à 1303.

Notre manuscrit, dont la rédaction commence en 1314, confirme cette assertion

L'official siégeait seul, sans assesseur comme notre juge de paix, et comme ce dernier magistrat il était remplacé, en cas d'empêchement, par un suppléant qu'on appelait le vice-gérant. Après l'official et le vicegérant venaient le promoteur qui remplissait les fonctions de ministère public, un greffier qui conservait les jugements, et des appariteurs ou huissiers chargés des significations.

Telle fut l'organisation de la juridiction ecclésiastique quelle fut maintenant sa compétence?

Cette compétence eut des fortunes diverses: humble d'abord, elle gagna ensuite du terrain à l'époque féodale, puis le perdit quand l'autorité royale se consolida et revendiqua ses droits.

Au début, et en vertu des constitutions de Constantin et de ses successeurs, l'Eglise n'eut pour justiciables que les ecclésiastiques, les clercs, comme on les appelait, en matière civile, pour toutes leurs contestations, et en matière pénale, pour leurs délits légers.

Il résultait de là que tous les procès quelconques des laïques et les poursuites criminelles des clercs étaient réservés à la justice séculière. Mais sous les deux premières races de nos rois, la compétence ecclésiastique prit une extension considérable; au XIIe siècle, elle avait atteint l'apogée de son développement sous l'influence de ce principe que l'Eglise devait statuer sur toutes les affaires qui affectaient les intérêts de la religion.

Quelle fut cette compétence ainsi agrandie?

Elle reposait sur une double base :

La qualité des justiciables,

Et la nature de l'affaire.

Sous le premier point de vue et à raison de la qualité des justiciables, les juges d'Eglise connaissaient de tous les procès civils et criminels des clercs.

Le titre seul de clerc, abstraction faite du caractère de l'affaire, créait la compétence ecclésiastique. Cette exemption de la justice ordinaire, au profit des clercs, s'appela le privilége clérical. Ce titre de clerc, et partant de justiciable de l'Eglise, n'appartenait pas seulement, comme on pourrait le croire d'après le sens naturel du mot, aux membres du clergé séculier ou régulier, c'està-dire aux prêtres et aux moines, mais à bien d'autres personnes encore, à tous les bourgeois qui, vivant dans le monde, s'y mariant ou y faisant le commerce, avaient reçu de l'évêque la simple tonsure; or l'évêque, pour augmenter le nombre de ses justiciables, imprimait cette marque extérieure de cléricature à tous ceux qui la demandaient.

L'Eglise alla plus loin. Se proclamant la protectrice des faibles et des affligés, elle assimila aux clercs et déroba ainsi à la justice ordinaire les écoliers, les pauvres, les orphelins, les veuves, les lépreux et les étrangers. La seconde branche de la compétence ecclésiastique résultait de la nature de l'affaire.

A ce titre, l'Eglise statuait sur toutes les affaires civiles ou criminelles qui avaient quelque affinité avec la religion.

Ici l'individu en cause s'effaçait: peu importait qu'il fût clerc ou laïque ; le fait seul, à raison de son caractère, déterminait la compétence de l'Eglise.

Au civil, on avait considéré comme liées aux intérêts de la religion et dès lors attribué aux tribunaux ecclésiastiques, trois sortes de causes :

1o Les causes relatives aux testaments, parce que les actes de dernière volonté contenaient le plus souvent des legs pieux dont l'exécution fidèle intéressait le salut de l'âme du défunt;

2o Les causes concernant les contrats, parce que les notaires qui étaient clercs avaient soin d'insérer dans les actes une formule de serment et que l'Eglise devait intervenir là où un parjure, c'est-à-dire un outrage à la religion, était à craindre;

3o Les causes relatives à l'état des personnes, parce que le mariage, source la plus abondante de cet état, n'était alors qu'un sacrement (1).

Au criminel, la loi canonique avait dressé une liste assez longue des délits dont la répression appartenait à l'Eglise, parce qu'ils blessaient les intérêts de la foi.

Ces délits étaient dits ecclésiastiques; les principaux étaient l'hérésie, le sacrilége, l'usure, le parjure, la simonie, l'adultère, l'inceste, la fornication, le blasphème, le sortilége, etc.

Quelques-uns de ces délits prévus par la loi canonique étaient aussi prévus par la loi ordinaire et pouvaient être poursuivis successivement devant les deux juridictions, qui appliquaient, chacune, leurs peines respectives. Ces délits s'appelaient mixtifori (2).

Ce prodigieux accroissement de la compétence ecclésiastique s'explique par des causes diverses.

() V. Bonnier, Organisation judiciaire, page 15. (2) V. Faustin Hélie, loco citato, page 377.

D'abord le sentiment général favorisait au moyen-âge le développement de la juridiction de l'Eglise. Les esprits ignorants alors de la distinction du spirituel et du temporel, regardaient comme légitime l'immixtion du clergé dans les procès qui touchaient directement ou indirectement à la religion.

Ensuite, la juridiction ecclésiastique grandit, grâce au contraste qu'elle offrait avec celle de la féodalité. Les juridictions seigneuriales ne connaissaient d'autre loi que celle de la force, d'autre procédure que celle du combat judiciaire. L'Eglise, au contraire, fidèle au culte du droit comme à celui de la littérature ancienne dont elle avait conservé le précieux dépôt dans ses monastères, l'Eglise rendait une justice savante, entourée de garanties et de formes régulières dont la plupart ont passé dans nos lois de procédure moderne: on comprend donc que tous ceux qui ne pouvaient mettre la force au service de leur droit, devant les juges féodaux, vinssent s'abriter sous la juridiction de l'Eglise et réclamer ce titre de clerc qui en ouvrait l'accès.

L'Eglise, enfin, attirait les populations à ses tribunaux par la douceur de sa législation pénale qui proscrivait la peine de mort.

Les nécessités sociales qui seules avaient pu justifier cette extension démesurée de la compétence ecclésiastique cessèrent d'exister. La royauté, devenue plus forte, s'éleva sur les ruines de la féodalité, et put offrir aux populations une justice éclairée et régulière, capable de contre-balancer celle de l'Eglise ; c'est alors, suivant la remarque de Montesquieu ('), que la juridiction de

(1) Esprit des Lois, liv. 28, ch. 41.

l'Eglise, qui avait énervé celle des seigneurs, fut entamée à son tour par la juridiction royale, notamment par les Parlements qui, à l'aide de l'appel comme d'abus, reprirent peu à peu le terrain perdu par la justice séculière. L'ordonnance de 1539 qui forme le dernier état de la législation ancienne sur ce point, consacra l'œuvre des Parlements et ramena la compétence ecclésiastique aux plus étroites limites; mais je n'ai pas à insister sur cette législation, puisqu'elle est postérieure à l'époque à laquelle se rapporte notre manuscrit. Il me suffira de dire que le privilége clérical fut restreint aux titulaires de bénéfice et aux étudiants en théologie, que les clercs eux-mêmes devinrent justiciables des tribunaux ordinaires, en matière civile, pour les actions réelles, et en matière pénale, pour les délits les plus graves, ceux qui intéressaient l'ordre public et qu'on appela délits privilégiés; qu'enfin les laïques furent complétement soustraits à la juridiction pénale de l'Eglise, qu'ils ne restèrent soumis à sa juridiction civile que pour les procès en nullité du mariage et les actions personnelles dirigées par un laïque contre un ecclésiastique (1).

Telle était la juridiction ecclésiastique temporelle, lorsque la Révolution française l'abolit, et soumit, avec raison, tous les procès et tous les citoyens à une seule justice, celle du chef de l'Etat.

Après ces généralités sur lajuridiction ecclésiastique, arrivons à notre registre de l'officialité de Cerisy.

L'idée excellente et éminemment pratique de constater par écrit les jugements et de les rassembler en un registre spécial confié à un greffier, cette idée a été réali

() V. Jousse, De la juridiction des officiaux, passim.

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