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sée, pour la première fois, dans notre pays par la législation canonique, qui elle-même l'emprunta aux constitutions du Bas-Empire (1). Le concile de Latran, au XIIIe siècle, prescrivit cet usage aux officialités, et les juridictions laïques ne tardèrent pas à le leur emprunter. Avant de suivre l'exemple donné par les tribunaux ecclésiastiques, les magistrats séculiers se bornaient à prononcer la sentence à l'audience, sans l'écrire ; et si plus tard il y avait contestation sur ce qui avait été décidé, on faisait appel au record, c'est-à-dire aux souvenirs personnels des juges (2). On aperçoit les inconvénients d'un pareil procédé.

Notre registre est écrit en latin, et en un latin suffisamment clair, quoique peu élégant. Cette langue fut également adoptée par les juridictions laïques, lorsque celles-ci, à l'exemple des officialités, rédigèrent leurs décisions. Cette forme des actes judiciaires se maintint jusqu'à François Ier qui introduisit au palais le Langage maternel français (3).

Notre manuscrit débute par l'acte portant institution de l'official de Cerizy (*). Ce magistrat reçoit sa délégation des mains de l'abbé du monastère de Cerisy (5),

(1) Loi 3, Code de sententiis ex periculo recitandis.

(2) Ce sont ces souvenirs, recordata, qui forment le livre des Olim, édité de nos jours par M. Beugnot.

3) Ord. de Villers-Cotterets, art. 111.

(*) Jacques Louvet, et fut suivi dans l'intervalle qu'embrasse le manuscrit, de deux autres : André Buson et Jean Gonnus.

(3) Cerizy fait actuellement partie du diocèse de Coutances et d'Avranches.

Le monastère avait été fondé, vers 560, par St-Vigor, évêque de Bayeux. Il fut détruit, lors de l'invasion normande, au IXe siècle, puis rétabli, vers 1030, par Robert, duc de Normandie.

monastère situé dans le diocèse de Bayeux et appartenant à l'ordre de St-Benoît.

L'abbaye de Cerisy est une des rares abbayes du royaume qui étaient investies dans la personne de son abbé de la juridiction ecclésiastique. Ce droit de juridiction, que possédaient certaines abbayes, leur venait de concessions particulières du pape ('), tandis qu'au contraire les évêques ou archevêques tenaient leur pouvoir judiciaire de leur seule dignité.

L'official de l'abbé et celui de l'évêque exerçaient leurs fonctions simultanément dans le diocèse, chacun dans une partie déterminée du diocèse.

C'est l'Eglise qui, la première, appliqua le principe de la délégation obligatoire du pouvoir judiciaire. Ce principe, posé par le concile de Latran en 1215, se généralisa; il fut suivi promptement par le roi et les seigneurs qui, eux aussi, à l'origine jugeaient eux-mêmes, et après avoir été l'une des maximes de notre ancien droit public, il a été inscrit dans toutes nos constitutions modernes.

Il résulte de la teneur de l'acte qui institue l'official de Cerisy, que les officiaux devaient être prêtres, qu'ils étaient permanents, c'est-à-dire nommés, non pas pour une seule affaire, mais pour toutes celles de la juridiction; qu'enfin ils étaient révocables à volonté.

Quant à ce dernier point, je rappelle que l'Eglise n'accorda jamais à ses magistrats le bienfait de l'inamovibilité qui, depuis le règne de Louis XI, assure dans notre pays l'indépendance du juge (2).

(1) Jousse, page 12. Traité de la juridiction des officiaux. (2) Ferrière, Introduction à la pratique, vo Official.

L'acte que nous examinons ne suppose pas que l'official dût être gradué, c'est-à-dire licencié en droit canon ou en théologie; cette condition de capacité scientifique ne fut en effet exigée que plus tard (').

Les termes de l'institution nous montrent enfin que l'official siégeait seul et sans assesseur. L'Eglise s'était prononcée, à l'exemple du droit romain, en faveur du principe de l'unité de juge, principe qui rencontra des défenseurs, lors de la réorganisation judiciaire, par l'assemblée constituante et que certains publicistes modernes voudraient voir revivre aujourd'hui (Charles Comte, Considérations sur le Pouvoir judiciaire, page 68, édit. de 1828.).

L'Eglise fut forcée d'abandonner sa règle de juge unique, lorsque l'ordonnance de 1667 assujettit à une procédure uniforme toutes les juridictions du royaume. Les officialités durent alors, comme les justices laïques, statuer au nombre de trois juges au moins, l'official et deux assesseurs.

Après l'acte d'institution de l'official de Cerisy, notre document nous rapporte les divers actes émanés de ce magistrat ou de ses successeurs.

Ces actes sont de deux sortes :

Ou ce sont des jugements,

Ou ce sont des actes qui n'ont pas le caractère de jugement.

Occupons-nous d'abord des jugements.

Ils sont ou civils ou criminels.

Les sentences criminelles sont les plus nombreuses, c'est par elles que nous commencerons.

(') Déclaration du 26 janvier 1680.

Elles concernent, soit des clercs, soit des laïques.

Quant aux clercs, vous vous rappelez qu'au 14 siècle, époque à laquelle se rapporte notre manuscrit, tous leurs crimes et délits étaient jugés par les magistrats d'Eglise. Aussi voyons-nous l'official de Cerisy condamner des clercs, non-seulement pour des délits ecclesiastiques, mais encore pour des délits de droit commun, tels que le délit de vol, d'injure ou de coups et bles

sures.

Nous voyons aussi cet official appliquer fermement cette règle, qu'il suffisait d'être tonsuré pour être clerc, et se faire rendre par la justice séculière un accusé porteur de cette marque extérieure Cum esset in possessione tonsura clericalis, justicia secularis reddidit illum nobis. Cette restitution opérée, le juge ordinaire ne se tient pas pour battu et prétend devant l'official que l'accusé est laïque malgré sa tonsure qualemcumque tonsuram deferret. Comme l'individu arrêté était prévenu de vol, il est présumable qu'il appartenait à la classe de ces larrons ingénieux dont nous parle Beaumanoir, et qui se faisaient une tonsure les uns aux autres pour échapper aux sévérités de la justice ordinaire (1).

Quoi qu'il en soit, l'official de Cerisy, qui seul avait qualité pour vérifier la sincérité de la tonsure, retint le jugement de l'inculpé.

Après les sentences criminelles contre les clercs viennent celles contre les laïques.

Vous savez que du temps où se rédigeait notre ma

(*) Ch. xi, 45.

nuscrit, les laïques relevaient de la juridiction pénale de l'Eglise pour tous les délits qui affectaient les intérêts de la foi, et que la loi canonique qui les prévoyait appelait ecclésiastiques. J'ai énuméré plus haut ces délits.

Le délit ecclésiastique le plus ordinairement réprimé par l'official de Cerisy est celui qui viole le sixième commandement de Dieu, la fornication, pour lui donner le nom légal qu'emploie notre manuscrit. D'autres fautes contre les mœurs, l'adultère, le proxénétisme, la tenue de maisons de prostitution, motivent encore les condamnations prononcées par l'official. Dans un ordre différent d'affaires, nous assistons à la punition d'autres délits ecclésiastiques : l'usure, l'hérésie, le sortilége et le blasphème.

Un mot seulement de l'usure et de l'hérésie.

L'Eglise avait interprété les textes de la Bible comme contenant la défense formelle de prêter à intérêt et, en conséquence, elle avait rangé l'usure parmi les délits ecclésiastiques.

Relativement à l'hérésie, la loi canonique la considérait comme le plus grave des délits ecclésiastiques. Ici même, l'Eglise ne se contentait pas de ses pénalités, elle livrait le coupable au juge séculier qui le faisait brûler vif (1).

Un châtiment si terrible et si excessif devait, autant que la foi religieuse du moyen âge, rendre ce délit trèsrare. Aussi notre manuscrit ne nous rapporte-t-il qu'une accusation de ce genre.

(') Beaumanoir, chap. xi, 2.

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