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vers le nord de l'Europe Joseph Rousselot, peut-être faut-il noter celui qui le jeta dans le palais de Butschirad, à Prague, en Bohême, où il fut soigné, à défaut d'une mère, par l'archiduchesse Marie-Anne. La charité, qui rapproche les rangs, donnait une princesse d'Autriche pour garde-malade au fils d'un simple villageois de Franche-Comté.

Mais à peine le petit exilé français était-il entré en convalescence, qu'il dut continuer ses pérégrinations, camper quelquefois la nuit dans les forêts de la Pologne et parmi les neiges de la Russie-Blanche. Dans les monastères qu'il habita au sein de ce pays glacé, le froid était si rigoureux, que l'eau et le vin, destinés au SaintSacrifice, gelaient rapidement quand on n'avait pas soin de mettre un brasero sur l'autel.

Après cinq années de cette singulière odyssée dont vous avez si bien, Monsieur, indiqué les principales vicissitudes, le jeune Rousselot revient à la Val-Sainte avec ses pères et ses maîtres en religion, et il y retrouve pour quelque temps le repos et la paix.. Il s'essaie, pour la première fois, à l'enseignement et devient professeur à son tour dans cette retraite qui avait abrité son enfance. Plus tard, il fuit encore, mais seul, pour se dérober au recrutement militaire. Enfin, il met un terme à ses courses aventureuses en cherchant un asile dans le grand-séminaire de Grenoble. Il y fut ordonné diacre à l'âge de vingt-sept ans. Aux fêtes de Pâques suivantes, il quittait le banc des élèves pour monter dans la chaire du professeur. Le 18 septembre 1813, il fut promu à la prêtrise.

M. Rousselot montait dans cette chaire pour ne plus en descendre. Sa vie, si errante et si agitée durant les

jours de l'enfance et de la jeunesse, s'écoula tout entière, paisible et respectée, dans cette école de hautes études ecclésiastiques dont il devint l'un des principaux directeurs.

Vous avez parlé, Monsieur, des bonnes œuvres auxquelles ce saint prêtre consacra une partie de son temps et sa fortune entière, de ces bonnes œuvres qui employaient en quelque sorte les récréations de sa vie si occupée. Nous ne reviendrons pas sur ce point.

Comme écrivain, vous l'avez aussi, Monsieur, parfaitement apprécié. Mais pourtant, laissez-moi insister encore sur le monument le plus durable qu'il ait laissé, je veux parler de la Théologie de Settler qu'il a publiée, en l'accompagnant de commentaires écrits dans un latin très-élégant, et en comblant des lacunes importantes. Le Concordat, dans ses rapports avec les traditions de l'Eglise de France, y est très-sainement apprécié, et M. Rousselot montre, à cette occasion, une certaine intelligence des temps nouveaux auxquels il fait les concessions qu'il croit nécessaires; car les dogmes participent de l'immutabilité de Dieu même, tandis que de grands changements peuvent s'opérer dans la discipline de l'Eglise.

M.

Nous avons nous-même rendu compte de cet ouvrage au sein de notre Académie peu de temps après que Rousselot fût devenu notre collègue. Inutile donc de nous étendre plus longtemps sur ce sujet.

Dans sa chaire du grand séminaire, l'abbé Rousselot professa tour à tour le dogme, la morale et l'histoire ecclésiastique. Il exposait avec clarté les enseignements de l'Eglise sur les matières les plus ardues et les plus délicates. Comme le dit très-bien son biographe, M. Au

vergne « Le savant professeur combattit successivement » les exagérations respectives des opinions soi-disant » gallicanes et ultramontaines (1). »

M. Rousselot n'approuva jamais les doctrines philosophiques de l'abbé de Lamennais, lesquelles consistaient à rejeter tout autre moyen de certitude que le consentement de tous, comme s'il ne fallait pas user de son sens individuel pour s'assurer de l'opinion des autres. Il prédit avec beaucoup de sagacité la chute du célèbre auteur de l'Essai sur l'Indifférence. On sait, en effet, comment le rédacteur éloquent de l'Avenir, le fougueux ultramontain qui avait voulu faire passer Bossuet pour hérétique, nia l'autorité spirituelle du pape, du moment qu'il eut vu condamner ses doctrines à Rome. On se rappelle qu'il finit par se jeter dans les abîmes d'une philosophie obscure qui flottait entre le déisme et le panthéisme.

En même temps que M. Rousselot se révélait de plus en plus comme un profond et savant professeur, il res tait toujours dans l'intimité un homme excellent, plein d'une bonhomie gracieuse et naïve. Il était adoré de ses élèves; tous les prêtres qui avaient suivi ses enseignements et connu sa personne avaient gardé pour lui une filiale affection.

Vous avez rappelé, Monsieur, les manifestations touchantes par lesquelles on célébra successivement sa cinquantième année de professorat et sa cinquantième année de prêtrise. M. Rousselot ne survécut que deux

() Vie de M. Rousselot, par M. l'abbé Auvergne, p. 64. Grenoble, chez Baratier, 1866.

années à ces belles cérémonies et à ces agapes chrétiennes qui rappelèrent, à quelques égards, celles de la primitive Eglise. Cet homme, si véritablement apostolique, qu'on ne semblait jamais déranger en allant le voir, même quand il était le plus sérieusement occupé, ce prêtre, plus charitable encore que savant, reçut avec son calme toujours souriant une dernière visite, celle de la mort. Il expira à l'âge de quatre-vingts ans, en édifiant par sa piété la communauté qui l'entourait, et les prêtres, ses dignes collaborateurs, qui reçurent son dernier soupir.

Le dirai-je, Monsieur et nouveau Collègue, c'est une singularité peut-être, mais en tout cas, c'est une singularité heureuse que l'éloge de ce prêtre des anciens jours, fait par deux bouches laïques. Il est bon d'abaisser ce mur de séparation que l'on voudrait élever sans cesse entre les gens du monde et le clergé. Nous ne sommes plus au temps où il y avait sur notre sol trois ordres différents. Il n'existe désormais parmi nous que des enfants de la même France et des citoyens dévoués de la même patrie.

SUR

LA PROPRIÉTÉ LITTÉRAIRE

A ATHÈNES

PAR M. CAILLEMER.

Séance du 8 février 1867.

Le droit, que l'on est convenu de désigner sous le nom de propriété littéraire, a été l'objet, au XIXe siècle, de discussions qui sont bien loin d'être terminées, et que nous avons vues se reproduire cette année même avec plus de vivacité que jamais. -Une loi récente, la loi du 14 juillet 1866 (que les uns considèrent seulement comme un nouveau pas vers la perpétuité, tandis que les autres veulent la prendre pour dernière limite des concessions que l'intérêt public permet d'autoriser), est venue élargir la législation qui nous régissait et accroître dans une certaine mesure le droit des héritiers et des représentants de l'auteur. De brillants discours ont été prononcés, dans lesquels les orateurs les plus en renom ont soutenu les thèses les plus contradictoires; et si nous, juristes, nous sommes en grande majorité demeurés fidèles à l'opinion dont M. Jules Favre s'est fait devant le Corps législatif l'éloquent interprète, nous devons cependant reconnaître que les arguments de nos adversaires sont bien de

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