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qu'il y accomplit, en nous appuyant sur les traditions respectables qui s'en sont conservées, sur les témoignages des divers écrivains, et sur les charmants mémoires de Mgr Camus, évêque de Belley.

Mais, des grands hommes et des saints on aime surtout à connaître l'histoire intérieure, ce qui était en eux, leur âme, leurs pensées, leurs joies et leurs peines; et c'est d'eux-mêmes seuls qu'on peut l'apprendre d'ordinaire. Nous donnerons donc la parole au saint évêque aussi souvent que possible; je vous demande, Messieurs, cette permission, et j'ose vous assurer que vous ne vous repentirez pas de me l'avoir accordée.

Puisse ainsi le doux évêque de Genève devenir encore un instant présent au milieu de vous et, par le charme de son souvenir, vous faire oublier la faiblesse et l'insuffisance de ma parole !

PREMIÈRE STATION.

I.

AVENT DE 1616.

Au moment où commencent ces notes historiques, François de Sales était âgé de quarante-neuf ans et revêtu de la dignité épiscopale depuis quatorze ans. Il avait fait des œuvres admirables de zèle et de charité; son Introduction à la Vie dévote, écrite depuis quelques années, avait renouvelé partout l'esprit de la véritable piété et donné aux lettres françaises un de leurs chefsd'œuvre; le Traité de l'Amour de Dieu, qu'il venait de publier, était un trésor de haute théologie et le mettait

au rang des docteurs de l'Eglise (1); il avait fondé une congrégation déjà célèbre, la congrégation de la Visitation Sainte-Marie; il s'était acquis une immense réputation par ses prédications de Dijon, et surtout de Paris où il avait donné un Carême à la Cour; des Rois s'honoraient de son amitié; en un mot, il était dans toute la plénitude de sa force et dans tout l'éclat de sa gloire et de sa sainteté.

On n'est donc pas étonné que la ville de Grenoble eût le désir de voir à son tour et d'entendre le saint évêque; mais on peut l'être qu'elle lui ait demandé si tard cette insigne faveur.

Ce n'est qu'en l'année 1616 que Grenoble eut enfin le bonheur de posséder saint François de Sales.

Sans doute, une part du mérite doit en revenir à Jean de la Croix de Chevrières (2), qui occupait alors et illustrait le siége épiscopal de notre ville; mais l'initiative de la démarche faite auprès de l'évêque de Genève appartient au Parlement de Dauphiné, et l'inspiration en est due à une femme qui exerçait en ce temps-là sur les membres de cette Cour une douce et salutaire influence c'était Mme Le Blanc, épouse d'un président. D'abord adonnée au monde où elle brillait par les charmes de sa personne et de son esprit, puis, en 1615, pendant un séjour qu'elle fit à Lyon, ramenée entièrement à la pratique d'une piété exemplaire par la mère de Chantal, elle avait, dès ce moment, formé le projet

(') Histoire de saint François de Sales, par M. le curé de SaintSulpice, t. II, p. 172.

(2) On sait que cette famille était des premières de la noblesse du Dauphiné, avec celles des Monteynard, des Murinais, etc.

d'avoir une Visitation à Grenoble et, afin d'y réussir, elle usa de son crédit, qui était grand, pour que messieurs du Parlement sollicitassent une station de saint François (1). D'ailleurs, cette Cour, dont le premier président, M. Frère, était l'ami particulier de Lesdiguières (*), avait conçu quelque espoir de le voir rentrer dans le sein de l'Eglise catholique, et nul ne paraissait plus capable que saint François de Sales de contribuer à ce grand dessein, si le maréchal pouvait être amené à s'entretenir avec lui, longuement et dans des circonstances qui ménageraient le parti calviniste, en lui permettant de ménager aussi ses propres intérêts (").

Le Parlement adressa donc, à la fin de 1615, ou toutà-fait au commencement de 1616, à l'évêque de Genève, la prière de venir prêcher à Grenoble l'Avent et le Carème de 1616-1617.

François accueillit cette demande avec joie; mais, avant de s'engager, il voulut obtenir l'agrément du duc de Savoie (*), conformément aux principes de respect et de subordination alors fidèlement observés, et en vertu desquels un évêque ne pouvait, sans la permission du souverain, se rendre à une invitation qui l'obligeait à franchir les limites de ses Etats. Notre Saint ne manquait jamais à ce devoir quand on sollicitait de lui des stations ou même de simples voyages hors du duché dont il était citoyen.

Quelques historiens ont prétendu qu'étant mal avec

(') Histoire de sainte Chantal, par M. Bougaud, t. II, p. 43-46. (Histoire de Lesdiguières, par Louis Videl, p. 581. (3) Vie de saint François de Sales, par Marsollier, t. II, p. (*) Charles-Emmanuel Jer.

72.

T. III.

5

le Duc, à cette époque, il avait refusé de lui demander la permission nécessaire, et que le Parlement avait envoyé deux de ses conseillers à la cour de Savoie pour l'obtenir (1).

C'est une erreur.

Il est vrai que, dans le cours de l'année précédente, François avait eu à se plaindre de son souverain (2). Mais d'abord celui-ci n'avait pas tardé à lui rendre toutes ses bonnes grâces; et ensuite le noble et saint évêque n'était pas capable d'un mouvement d'amourpropre aussi déplacé. D'ailleurs, nous avons la preuve qu'il demanda lui-même, et longtemps à l'avance, l'autorisation dont il avait besoin pour venir à Grenoble.

Ainsi, le 4 avril 1616, il écrivait à un gentilhomme de la Cour: «J'ai reçu la lettre de Son Altesse, par laquelle Elle témoigne d'agréer que je fasse les sermons du Carême venant à Grenoble (3). » L'Avent et le Carême, comme on sait, formaient une seule station souvent désignée par le seul mot de Carême.

Et lorsque, dès le mois de février 1617, on lui eut demandé le Carême de 1618, il écrivait au Duc luimême, sans doute en lui transmettant la lettre venue de Grenoble << Monseigneur, comme, l'année passée, sur la demande que le Parlement de cette ville me fit de mes prédications, je pris la résolution et réponse dans le commandement de Votre Altesse; de même, maintenant, étant derechef prié par cette même Cour de revenir

() Marsollier, t. II, p. 73.

(*) M. le curé de Saint-Sulpice, t. II, p. 157; OEuvres de saint François de Sales, éd. Migne, t. VI, p. 720.

(*) OEuvres, éd. Migne, t. VI, p. 722.

encore prêcher le Carême suivant, je n'ai voulu rien dire en attendant que Votre Altesse me fasse pour cela le commandement qu'il lui plaira ('). »

Et enfin, quand le moment de se rendre à Grenoble fut arrivé, il alla en personne renouveler sa prière et prendre congé de son souverain; car, le 24 novembre, il écrivait à une personne inconnue : « J'espère d'aller bientôt faire la révérence à Son Altesse, car voici le temps de l'Avent qui m'appelle à Grenoble, où je ne dois m'acheminer qu'après avoir demandé ses commandements (2). »

Voilà donc un point historique bien établi. J'ai cru devoir m'y arrêter, parce qu'il n'est pas sans importance de montrer, en passant, comment les grands et saints évêques d'autrefois comprenaient et pratiquaient la doctrine apostolique du respect et de l'obéissance dus aux souverains.

Deux conseillers du Parlement furent envoyés à Annecy, vers la fin de novembre, pour prendre saint François et l'accompagner jusqu'à Grenoble, honneur que ce corps illustre probablement n'avait jamais fait jusquelà, et n'a jamais fait depuis à aucun prédicateur (3).

Quels étaient ces deux conseillers privilégiés? Quelles furent les principales circonstances du voyage et de l'arrivée du saint évêque au milieu de nous? ses premières impressions? Où débarqua-t-il et où fut-il logé? Les documents ne satisfont pas à cet égard notre légitime et

(') Lettre du 18 février. OEuvres, éd. Migne, t. VI, p. 739. (1) Ibid., p. 1082.

(3) Fondation du monastère de la Visitation à Grenoble, mss. inédit, p. 1.

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