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bien naturelle curiosité. Nous savons seulement, en général, qu'on lui rendit des honneurs extraordinaires, et qu'il y eut grand émoi parmi les calvinistes qui, sans être très-nombreux, étaient alors assez puissants à Grenoble (1). Nous savons aussi qu'il prêcha dans l'église de Saint-Audré, qui était l'église du Parlement (*), et qui, par sa proximité du palais du gouverneur, offrait à Lesdiguières une grande facilité pour suivre les sermons sans trop attirer l'attention publique.

Rien ne saurait donner une idée de l'empressement et de l'ardente curiosité avec lesquels on accourut pour entendre le saint évêque. Mais nous sommes porté à croire que plusieurs furent, au premier abord, légèrement déconcertés, et eurent un peu de peine à s'habituer à son action extérieure, à ses gestes et à sa prononciation », car, dit Mgr Camus, « tout cela, en lui, était lent et posé, pour ne pas dire pesant, à cause de sa constitution corporelle qui le nécessitait à cette façon de faire (3).» -«Je fais ce que je puis pour m'ébranler, disait-il lui-même ; je me pique pour me hâter, et plus je me presse, moins j'avance; j'ai de la peine à tirer mes mots, plus encore à les prononcer; je suis plus lourd qu'une souche; je ne puis ni m'émouvoir ni émouvoir autrui (*). » Dans un pays où les oreilles

(1) Depuis la prise de Grenoble par Lesdiguières en 1590, et surtout depuis l'édit de Nantes en, 1598, les calvinistes exerçaient librement leur culte et jouissaient de certains priviléges (Bulletin de Statistique de l'Isère, t. II, p. 228). V. le texte de l'Edit de Nantes. (2) V. l'Annuaire de la Cour en 1842, par M. Pilot, p. 6. (3) Esprit de saint François de Sales, 1re partie, sect. xxIII.-T. I, p. 44.

(*) Ibid.

sont délicates et le goût très-fin, l'auditoire dut donc avoir, pendant quelques instants, une ombre de déception; mais François l'eut bientôt entièrement conquis par la force et la clarté de sa doctrine, l'ordre et la liaison de ses pensées, la douceur incomparable de son esprit et de sa parole.

Il avait choisi pour sujet de sa station le mystère de l'Incarnation du Verbe, afin de bien entrer dans l'esprit de l'Eglise et de préparer plus efficacement les âmes à la fête de Noël. Il traita les grandes vérités que ce mystère contient, en suivant le texte de la Salutation angélique qui suffit à remplir tout l'Avent. Chaque jour, car il prêchait chaque jour, il en commentait une ou deux paroles avec une grande science théologique et un cœur embrasé du désir de faire connaître et aimer le Verbe incarné et sa sainte Mère (1). Nous trouvons dans ses œuvres un canevas que nous pouvons regarder comme le fond d'un de ses discours, du discours d'ouverture peutêtre il s'agit de montrer l'excellence de la Salutation angélique et la solidité du culte de Marie. Après un court exorde, François s'écrie: « O sainte salutation! ô louanges bien authentiques! o riches et discrets honneurs ! Le grand Dieu les a dictés; un grand ange les a prononcés; un grand évangéliste les a enregistrés; toute l'antiquité les a pratiqués; nos aïeux les ont enseignés (*)!

On voit ici comment l'orateur sacré sait, dès le début, indiquer en quelques mots les fondements de ce culte, et quel est le caractère de sa prédication.

(1) Histoire, etc., par M. le curé de Saint-Sulpice, t. II, p. 176. (*) OEuvres de saint François, éd. Blaise, Sermons, t. III, p. 66.

Il expose ensuite la véritable doctrine sur ce point, en se servant surtout de l'autorité de l'Ecriture, par condescendance pour les préjugés de ses frères séparés, car il n'appelle jamais les protestants d'un autre nom, et aussi parce qu'en effet c'est là que repose principalement l'édifice doctrinal de l'enseignement catholique. Et comme les protestants de Grenoble étaient disciples de Calvin, ce fut surtout contre ses erreurs spéciales et ses fausses interprétations de l'Ecriture que saint François dirigea son argumentation dans ses commentaires sur l'Ave Maria.

Malheureusement, les historiens ne nous ont conservé de ses discours que leur sujet général et le souvenir de la profonde impression qu'ils produisirent dans notre ville, soit parmi les catholiques, soit parmi les protestants, qui venaient l'entendre en très-grand nombre. Les ministres furent naturellement émus de l'enthousiasme qui gagnait leurs fidèles; «Mais, dit Mgr Camus, quelques tempêtes qu'ils fissent, quelques menaces d'excommunication qu'ils tonnassent, ils ne purent jamais empêcher que la plupart des leurs n'assistassent tous les jours aux sermons de notre François, desquels ils sortaient avec beaucoup d'édification. Vous pouvez juger que leur petit troupeau n'en devenait pas plus grand, et qu'il leur tombait tous les jours quelque plume de l'aile ('). »

Mais ce qui acheva de les alarmer, ce furent les dispositions que fit paraître le maréchal de Lesdiguières. Il faut bien le dire: de ce côté, les évènements faillirent tout compromettre. Depuis le mois d'octobre, le duc de

(1) Esprit, Р. ш, sect. xLv.

T. I, p. 232.

Savoie, subitement menacé par les Espagnols, avait appelé le maréchal à son secours, en vertu de la parole donnée. La cour de France voyait cette campagne de mauvais œil; sans vouloir faire à Lesdiguières défense formelle de l'entreprendre, elle employait des moyens très-habiles pour arriver au même but. Le maréchal eut donc à lui résister sans courir risque de sa fortune et sans manquer au devoir de l'obéissance, à lutter contre le Parlement chargé de le dissuader, à faire, dans ces conditions délicates, ses préparatifs de départ pour le Piémont tout cela pendant la station d'Avent dont nous parlons, sans compter une foule d'autres grandes affaires qu'il avait alors sur les bras (1).

Malgré tous ces contre-temps et ces obstacles, son esprit était si bien disposé et la réputation de François si grande, qu'il voulut assister à ses premiers discours. Après l'avoir entendu, il voulut l'entendre encore, et devint un de ses auditeurs les plus assidus. En même temps, il témoigna le désir d'avoir avec François une conférence particulière. La mission du saint évêque, en cette circonstance, était extrêmement délicate, car il s'agissait bien moins de gagner le maréchal à la vérité par la force du raisonnement, que de l'amener à rompre ou à légitimer la liaison qu'il entretenait publiquement, depuis longues années, avec la marquise de Treffort. Mais il sut y mettre tant de tact et de prudence, qu'il dit sans blesser tout ce qu'il fallait dire, et lorsque, en se retirant après quatre heures de conférence, il demanda pardon des paroles capables de déplaire, qui auraient pu lui échapper contre son intention : « Non,

(') L. Videl, p. 542-567.

Monseigneur, répondit Lesdiguières, vous n'avez rien dit qui ne soit bien; j'y réfléchirai et pèserai le tout avec la maturité que demande une affaire si grave. »

A partir de ce moment, il accueillit sans cesse le saint apôtre, comme dit Mgr Camus, « avec des caresses et des honneurs extraordinaires, l'invita souvent à sa table et le visita en sa maison (').

Ici, Messieurs, permettez-moi de laisser ce spirituel écrivain nous raconter, à sa manière et tout au long, ce qui se passa à l'occasion des relations de saint François avec le maréchal.

« Ceux de la religion prétendue réformée en entrèrent en une chaude alarme, à cause des conférences longues et secrètes que Lesdiguières avait quelquefois avec le saint évêque. Il le louait partout, l'appelait toujours Monsieur de Genève; bref, lui rendait des déférences dont chacun était étonné... Ils avisèrent donc, en consistoire, de faire des remontrances à M. de Lesdiguières sur le trop d'honneur qu'il déférait à l'évêque d'Annecy, de la trop grande privauté et familiarité qu'il avait avec lui, de ce qu'il allait à ses sermons, au scandale de tout le parti protestant et à la honte des frères de la réformation prétendue.

» Sur cette résolution, les ministres anciens et quelques notables de leur frairie s'assemblent et vont trouver M. de Lesdiguières à son lever et lui faire l'exhortation fraternelle. Il fut aussitôt averti de leur délibération, et lui qui n'aimait pas être bercé, ou pour mieux dire berné de la sorte, leur fit dire par un des siens, que s'ils demandaient à le visiter comme amis,

(') Esprit, P. ш, sect. XLV. -T. 1, p. 232.

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