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plusieurs dialectes dont le caractère est encore sensible dans les patois de nos provinces.

En nous bornant au roman d'oïl et à ses variétés, tels que nous les trouvons dans les premiers monuments écrits, dont la date ne peut guère être portée au delà des dernières années du onzième siècle, nous voyons que la France parlait à cette époque une langue que les Romains n'auraient pas comprise, quoiqu'elle fût fille du latin, et que nous comprenons à peine, quoiqu'elle ait formé, en se développant, celle que nous parlons; langue imparfaite et non sans grâce, privée de rhythme et non sans euphonie, guidée par l'instinct à défaut de règles précises, longtemps à l'état d'enfance et incapable par ses propres forces d'aller au delà de l'adolescence, car à défaut d'un homme de génie qui la fécondât, comme fit Dante pour l'italien, il a fallu qu'elle se retrempat et s'enrichît à la source latine d'où elle était sortie, pour arriver à la virilité qu'elle a fini par atteindre.

Le vocabulaire de la langue romane se forma presque exclusivement du latin rustique, qui avait reçu, en les modifiant, un certain nombre de mots d'origine celtique. Le nombre de ces mots est loin d'être un fondement solide aux systèmes qui font sortir directement le roman du celtique. L'histoire qui atteste l'assimilation complète des populations

dissyllabe oïl, qu'on a 'tort d'écrire et de prononcer oil. Les Italiens ont pris pour le même usage l'adverbe sic, dont ils ont fait si. L'italien est la langue de si, comme le roman du Midi est la langue d'oc, et celui du centre et du nord de la France la langue d'oil.

gauloises à la civilisation romaine prouve suffisamment que les mots apportés par les indigènes dans le Vocabulaire général, et dont la source peut encore se reconnaître, doivent avoir pris d'abord la livrée latine pour s'y introduire, et que c'est sous cette forme que la langue romane les a, pour la plupart, saisis et modifiés à son usage. Les procédés à l'aide desquels s'opéra la création d'un langage nouveau par l'altération de matériaux anciens consistent surtout en contractions et retranchements syllabiques, suppression de consonnes et dégradation des voyelles, de sorte que non-seulement les mots se resserrent, mais qu'ils perdent une partie de leur sonorité. Ainsi, pour ne citer que quelques exemples, de latus, large, se forme lé; de lætus, joyeux, lie; ad satietatem, qui le croirait, devient assez, et sollicitare se résout en soucier, par une réduction notable de syllabes et de vibrations. Le resserrement des mots qui sont la substance même du discours, tels que le nom substantif, le nom adjectif et le verbe, est un fait primitif qui admet très-peu d'exceptions; la dégradation des voyelles n'est pas moins générale. Ce n'est, au reste, qu'une extension donnée aux habitudes de la langue familière à toutes les époques et chez tous les peuples: ces habitudes sont sensibles dans le style de la comédie, genre littéraire qui se rapproche le plus de la conversation. Aussi la langue écrite de Plaute et de Térence, comme on l'a fait remarquer, contientelle en germe, et dans une application restreinte, la plupart des altérations qui ont été le principe même de la formation des idiomes modernes.

Il convient d'indiquer en peu de mots les modifications subies par les différentes parties du discours pour former les éléments d'un nouveau langage. Ainsi d'abord la nécessité de marquer avec clarté le rôle du substantif dans la phrase ramène l'article que les Gaulois avaient abandonné en adoptant le latin, qui s'en était toujours passé malgré son affinité avec le grec et l'origine commune à ces deux langues. Par une singularité qui mérite d'être remarquée, ce mot auxiliaire, le roman ne l'emprunte pas aux Germains, qui le possédaient et qui lui en imposent l'usage; il le tire d'une langue qui ne l'avait pas, en appliquant à cette fonction un des pronoms démonstratifs des Latins, le mot ille. Ainsi encore le même besoin de clarté substitue à la variété de désinences significatives des prépositions destinées à exprimer les mêmes rapports, en laissant néanmoins subsister pour un temps une certaine diversité de terminaisons qui devra enfin disparaitre. De même, les désinences affectées à la détermination du temps, du mode, et de la voix active ou passive, s'atténuent ou disparaissent pour faire place à ces verbes auxiliaires, dont la dénomination indique assez l'usage; toutefois, le rôle des désinences, quoique moins étendu, ne laissera pas de subsister; dans ce système mixte, le participe passé, appelé à paraître dans tous les temps et tous les modes de la voix passive, et dans quelques-uns des temps de tous les modes de la voix active, tirera de cet emploi multiple une importance nouvelle. Parmi les mots invariables, la plupart des conjonctions ont obéi à la loi

qui resserre l'étendue et qui éteint le son des mots, de sorte que ces articulations du langage ont en général, dans leur brièveté, de la souplesse et une certaine grâce, comme mais formé de magis, ains d'ante, et même car de quare, malgré la guerre que lui ont faite quelques beaux esprits du dix-septième siècle'. Un grand nombre d'adverbes, au contraire, rebelles à la règle, se développent majestueusement et démesurément, grâce à la terminaison qu'ils tirent presque tous de l'ablatif mente des Latins, bien que ce complément n'ajoute souvent rien au sens de leur radical; mais l'exemple une fois donné par bonnement (bona mente), malement (mala mente), aura entraîné la foule.

La langue romane, pendant sa longue enfance, a retenu dans sa syntaxe quelques traits du latin qu'il est facile d'y reconnaître. Ainsi, l'inversion y est encore fréquente; l'ellipse de l'article et même de la préposition s'y rencontre assez souvent, lorsque la place du sujet et la juxtaposition du régime suffisent pour indiquer le rôle ou le rapport des mots. On y trouve encore des comparatifs tels que graindre, de grandior, plus grand; des superlatifs, tels que pesme, de pessimus, très-mauvais. Il y a plus, la déclinaison latine a laissé quelques traces. Ainsi, M. Raynouard, éclairé sur ce point par d'anciens grammairiens de la langue d'oc, avait signalé

1 Il faut dire que le plus spirituel de ces raffinés, Voiture, a pris en main la cause de la particule mise en péril par un caprice de Gomberville, qui se vantait d'avoir écrit les dix volumes de son Polexandre sans lui donner place une seule fois.

dans les noms romans l'emploi de l's final au nomina tif singulier des noms masculins et aux cas obliques du pluriel; c'était évidemment un reste de la seconde déclinaison latine. Ce fait est désormais hors de contestation. Nous avions donc, au moyen âge, une modification à la fin des mots destinée à indiquer leur rôle dans la proposition; modification bien légère, il est vrai, mais réelle et suffisante pour autoriser un rapprochement avec le latin. La curiosité des philologues, attirée sur ce fait curieux, ne s'arrêta point à ce premier résultat. A la lecture de nos vieux textes, il fut aisé de remarquer que le même mot paraît souvent avec des terminaisons différentes. Était-ce caprice d'enfant, ignorance dans la prose, et, pour les vers, variété introduite au profit de la rime? ou bien, ces apparentes irrégularités étaientelles soumises à une loi, de telle sorte qu'une terminaison différente fût le signe constant de certains rapports syntaxiques? Les critiques qui se sont rangés à cette dernière hypothèse ont apporté de nombreux exemples à l'appui de leur opinion. Il est vrai qu'on a pu alléguer à l'encontre nombre de passages qui semblent infirmer les règles proposées, parce qu'elles n'y sont pas observées. Mais cette conclusion serait téméraire, car il arrive aux règles du langage comme aux lois civiles, de tomber en désuétude, et lors même qu'elles subsistent, d'être violées par ceux qui les ignorent ou qui les méprisent. D'ailleurs, les exemples apportés pour ruiner la déclinaison romane sont tirés, pour la plupart, de noms propres où le caprice se donne volontiers carrière; mais si, pre

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