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vaise et vilaine pensée et déshonorable; car je suis et je serai toujours appareillée à vous servir à votre honneur et à la moye. » Adonc se partit le roi tout confus et abaubi1. »

:

Suivons maintenant notre chroniqueur au lit de mort de Charles V, et recueillons de la bouche du roi mourant les plus belles paroles que la sagesse ait jamais dictées dans ces heures de lucidité et de détachement qui peuvent précéder la mort à un prince chrétien, ami de son peuple : « Mes beaux frères, par l'ordonnance de nature, je sens bien et connais que je ne puis longuement vivre si vous recommande et rencharge Charles, mon fils; et en usez ainsi comme bons oncles doivent user de leur neveu, et vous en acquittez loyaument; et le couronnez à roi au plus tôt après ma mort que vous pourrez, et le conseillez en tous ses affaires loyaument; car toute ma fiance en git en vous. Et l'enfant est jeune et de léger esprit, si aura mestier qu'il soit mené et gouverné de bonne doctrine; et lui enseignez ou faites enseigner tous les points et les états royaux qu'il doit et devra tenir, et le mariez en lieu si haut que le royaume en vaille mieux. J'ai eu longtemps un maître astronomien qui disait et affirmait que dans sa jeunesse il aurait moult faire, et istrait de grands périls et de grands aventures; pourquoi, sur ces termes, j'ai eu plusieurs imaginations et ai moult pensé comment ce pourrait être, si ce ne vient et naît de la partie de Flandre; car, Dieu merci, les besognes de

1 Chroniques de Froissart, liv. 1, ch. CLXVIII.

notre royaume sont en bon point. Le duc de Bretagne est un cauteleux homme, et divers, et a toucurs eu le courage plus anglais que français; pourquoi tenez les nobles de Bretagne et les bonnes villes en amour, et par ce point vous lui briserez ses ententes. Je me loe des Bretons, car ils m'ont toujours servi loyaument, et aidé à garder et défendre mon royaume contre mes ennemis. Et faites le seigneur de Cliçon connétable; car, tout considéré, je n'y vois nul plus propice de lui. Enquérez pour le mariage de Charles, mon fils, en Allemagne, par quoi les alliances soient plus fortes: vous avez entendu comment notre adversaire s'y veut et s'y doit marier; c'est pour avoir plus d'alliances. De ces aides du royaume de France dont les povres gens sont tant travaillés et grevés, usez-en en votre conscience, et les ôtez au plus tôt que vous pourrez; car ce sont choses, quoique je les aie soutenues, qui moult me grèvent et poisent en couraige : mais les grands guerres et les grands affaires que nous avons eu à tous lès pour la cause de ce, pour avoir la mise, m'y ont fait entendre1. >>

On a fait à Froissart une mauvaise querelle en lui reprochant de n'avoir point pris parti pour la France. On devrait bien plutôt s'étonner que ce bon prêtre flamand, qui ne relevait pas directement de nos rois, clerc dès sa jeunesse de la reine d'Angleterre sa protectrice, n'ait pas de prédilection plus marquée pour les Anglais. La vérité est qu'il

1 Chroniques de Froissart, I. II, C. LXX.

n'a pas d'autre passion que de voir et de narrer, ni d'autre partialité que celle de l'imagination qui colore ce qui la charme. Il raconte les faits, il décrit les combats et les fêtes, il fait agir ses personnages, et, sans mêler de réflexions à ses récits, il fait naître la sympathie ou la haine, l'admiration ou l'effroi, par le spectacle qu'il met sous nos yeux. Il n'omet rien, du moins avec intention, de ce qui nous est favorable; et même n'est-ce pas lui qui maintient devant la postérité la réalité du dévouement d'Eustache de Saint-Pierre et des cinq autres bourgeois de Calais contre la critique indiscrète d'un érudit français qui aspire à dépouiller notre histoire de cet épisode héroïque ? Ne cherchons donc dans Froissart que la sincérité d'un témoin, et si nous voulons trouver à la même époque le sentiment patriotique, la haine de l'étranger et la commisération aux souffrances du peuple, demandonsles à un serviteur de la France, au Champenois Eustache Deschamps.

Ce poëte, qui fut homme de guerre et magistrat, aime la justice, qu'il a dû rendre en qualité de bailli, et déteste l'Anglais, qu'il a combattu comme soldat. Il fait des vœux non-seulement pour que le sol de la France soit purgé de la présence de l'étranger, mais pour que s'accomplisse la vieille prophétie de l'enchanteur Merlin, qui annonce la destruction de l'Angleterre.

Lors passeront Gauloys le bras marin,
Le povre Anglet destruiront si par guerre,

Qu'adonc diront tuit (tous) passant ce chemin :
Au temps jadis estoyt cy Angleterre '. »

Deschamps se berçait de cet espoir au souvenir de Crécy et de Poitiers, et il était loin de prévoir Azincourt. C'est ce même amour de la France qui lui inspire, après ces vœux contre l'Anglais, de touchants regrets sur la mort de leur plus rude adversaire, Bertrand du Guesclin. Nous entendons ici le premier accent lyrique de la langue vulgaire :

Estoc d'oneur et arbres de vaillance,
Cuer de lyon, espris de hardement,
La flour des preux et la gloire de France,
Victorieux et hardi combattant,

Sage en vos faicts et bien entreprenant,
Souverain homme de guerre,

Vainqueur de gens et conquereur de terre,
Le plus vaillant qui oncques fust en vie,
Chacun pour vous doit noir vestir et querre :
Plourez, plourez, flour de chevalerie 2!

Cette strophe est le premier couplet d'une ballade, genre léger consacré à la galanterie par les troubadours et que Deschamps détourne vers la haute poésie, comme de notre temps la chanson est devenue, grâce à un autre poëte populaire et national, la rivale de l'ode. Nous pouvons rattacher à la même pensée de patriotisme intelligent l'amour du poëte pour Paris en effet, ceux qui veulent l'unité du

1 Poésies d'Eustache Deschamps, 1 vol. in-8°. Crapelet, 1832, P 31.

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pays ne la conçoivent pas sans un centre où convergent tous les rayons, et ceux qui veulent que la nation soit puissante, doivent lui souhaiter une tête capable de diriger et de régler les mouvements du corps. Notre poëte, qui est homme de cœur et de sens, répond d'avance aux détracteurs de cette citė souveraine :

C'est la cité sur toutes couronnée,

Fontaine et puis de sens et de clergie...
Tuit estrangier l'ament et ameront,
Car pour deduit, et pour estre joli,
Jamais cité tele ne trouveront;

Rien ne se peut comparer à Paris1.

Eustache Deschamps avait rendu la justice, et, en juge intègre, il la veut égale pour tous, mais il est obligé de reconnaitre que de son temps on ne l'administrait pas ainsi; elle était encore cette toile d'araignée dont parle le philosophe, qui arrête les moucherons et que traversent les grosses mouches:

Justice pugnist petis cas,

Petites gens prend à ses las,
Qui emblent par force de rage
Un pain, un pot ou un fromage,
Ou vivres pour la faim qu'ilz ont,
Et puis tantot pendre les vont;
Mais quant il vient une fort mouche
A la toile, cil fait le louche
Qui la déust prendre et happer,
Et li laist la toile atraper,

Poésies d'Eustache Deschamus, v, 25.

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