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pio, il prendra corps à corps le neveu de Charlemagne, il le terrassera, et les romances nationales transmettront à la postérité le souvenir de son triomphe. Ainsi la fraude même consacre poétiquement la gloire de Roland. Mais il est temps de revenir à notre chanson de Geste.

Le caractère exclusivement guerrier et religieux de ce poëme, où la galanterie n'a point de place, où le merveilleux se laisse à peine entrevoir, le sentiment de patriotisme qui l'anime et qui ramène si souvent le nom de douce France, et la majesté de Charlemagne toujours respecté, toujours obéi, l'emploi du vers de dix syllabes qui a précédé l'alexandrin comme mètre héroïque, autorisent la critique à rattacher l'inspiration première de la chanson de Roland au règne même de ce prince, quand l'autorité royale n'avait reçu aucune atteinte, et quand les efforts de l'héritier des Césars pour constituer l'unité d'une grande nation avaient imprimé le patriotisme au cœur des peuples unis sous sa main puissante. C'est le seul qui ait conservé profondément l'empreinte de ce sentiment de nationalité que les divisions féodales devaient altérer si promptement. En effet, la plupart des chansons de gestes qui célèbrent les exploits des pairs de France compagnons de Charle magne tirent leur intérêt de la lutte du vassal contre le suzerain'. Nous n'y voyons plus l'image d'une

1 Nous en trouvons un curieux exemple dans un poëme (Gui de Bourgogne, Guessard et Michelant, 1858) composé plus tard, qui se rapporte à la même expédition, allongée de vingt ans

grande nation soumise avec enthousiasme à un grand empereur, mais le tableau de cette société féodale où l'affaiblissement de la royauté enhardit la résistance. Roland, neveu de Charlemagne et sujet fidèle, est le héros de la France : c'est un Achille national; Renaud de Montauban, l'aîné des quatre fils Aymon, Ogier le Danois, sont les héros de la féodalité. Leur supériorité glorifie la lutte contre l'empire. Aussi Charlemagne est-il bien déchu dans les compositions de ce genre: il y porte la peine de la faiblesse de ses successeurs. Dans les quatre fils Aymon, non-seulement la victoire lui manque souvent, mais il est en butte aux mauvais tours de la sorcellerie de Vaugis, et touche au comique; il y arrive même dans le Voyage à Jérusalem, qui n'est qu'un fabliau de forme épique et qui, tout vieux qu'il est, appartient au genre héroï-comique. Il paraît que le travail de poésie populaire qui éleva si rapidement Charlemagne

pour amener sur le champ de bataille les fils mêmes des compagnons de Charlemagne. C'est la guerre des Épigones soudée à celle de leurs pères. Le héros de ce poëme est Gui de Bourgogne, fils de Sanson, un des douze pairs. Au début du poëme, dont l'action précède la retraite vers Roncevaux, Charlemagne entend de la bouche d'Ogier les paroles suivantes :

On dit que Karlemaines conquiert tous les reniers (royaumes),
Non fait, par saint Denis! vaillant quatre deniers,

Ains les conquiert Rollans et li cuens (com3) Olivier

Et Naimes à la barbe, et je qui sui Ogiers.

Et Charlemagne répond modestement:

Par saint Denis, vos dites voir, Ogier,
Contre vostre proesce ne me voil afficher.

à des proportions surhumaines s'arrêta brusquement avant la fin du neuvième siècle, et qu'il ne dépassa guère le moment où ce vétéran naïf et enthousiaste des grandes armées racontait, au fond d'un couvent d'Allemagne, les merveilles que le moine de SaintGall a consignées dans sa chronique.

Nous ne pouvons point passer en revue' tous les poëmes qui représentent ou qui idéalisent les mœurs féodales. Ce serait presque un dénombrement homérique le défilé en serait trop long et sans doute fastidieux. Il vaut mieux en choisir un seul dans le nombre et s'y arrêter. Ogier le Danois doit avoir la préférence, puisque la légende qui le célèbre est complète, et que nous pouvons, comme pour la chanson de Roland, remonter à un texte authentique et de date ancienne. Le vers de dix syllabes dans les chansons épiques nous reporte au moins à la première moitié du douzième siècle, puisqu'à partir du poëme d'Alexandre l'hexamètre déjà en usage dépossède entièrement le pentamètre, grâce à la vogue de cette grande composition d'où il a tiré son nom d'alexandrin. L'assonance, au lieu de la rime, est un signe plus certain encore d'ancienneté or, la Chevalerie Ogier de Danemarche, par Raimbert de Paris, est en vers assonants et de dix syllabes. Ce poëme, tel qu'il a été publié par M. Barrois', se compose de treize mille cinquante-neuf vers, et comprend toutes les prouesses d'Ogier, depuis ses premiers exploits jusqu'à sa mort. C'est ce que les anciens appelaient

1 2 vol. in-12. Techener, 1842.

un poëme cyclique. Nous allons essayer d'en donner une idée.

Expliquons d'abord le nom de Danois donné à un héros du cycle carlovingien et qui semble rattacher nos légendes nationales à la Scandinavie. Il n'en est rien; notre Danois prétendu est un Ardennais. Dane (forêt), are-dane, par l'adjonction de l'article, en formant danemarche ou frontière de l'Ardenne, a donné lieu à cette confusion que la critique moderne a dissipée. Nous tenons donc Ogier pour un guerrier de race germanique, tantôt compagnon, tantôt adversaire de Charlemagne. Le jeune Ogier est retenu en otage à la cour de Charlemagne comme garantie du tribut que doit payer son père, Geoffroy, gardien des marches d'Ardenne. Celui-ci, au lieu d'acquitter sa dette, renvoie les messagers de Charlemagne la tête rase et la barbe coupée. La vie d'Ogier doit payer cet outrage on l'enferme dans la tour de Saint-Omer; et, malgré les prières de la reine et du duc Naymes de Bavière, le supplice ne se serait pas fait longtemps attendre sans une diversion impré vue. Des envoyés du pape se présentent implorant le secours du roi de France contre les Sarrasins. L'armée se met en marche, et le jeune otage, sous la foi du duc Naymes, prend la route de l'Italie. Au passage des Alpes, il arrache l'étendard royal des mains d'un traître qui prenait la fuite, il rétablit la bataille, et dès lors sa grâce est assurée. Au siége de Rome, ses exploits ne se comptent pas : il tue en combat singulier un chef des infidèles; il y gagne son bon cheval, l'infatigable, l'indomptable Broiefort, et

par surcroît, la faveur de Charlemagne. Tel est le canevas de la première partie du poëme, brillante ouverture d'une longue série de hauts faits.

Plusieurs années se sont écoulées, et la fidélité d'Ogier ne s'est pas plus démentie que son courage. Une partie d'échecs va changer la face des choses. Baudouin, unique fils d'Ogier, né de ses courtes amours dans la tour de Saint-Omer, est tué par le fils de Charlemagne, qui lance le lourd échiquier d'or et d'ivoire à la tête de son adversaire trop habile au jeu. Ogier réclame fièrement la tête du meurtrier on la lui refuse; il jure de se venger et court chercher un asile à Pavie, auprès de Didier, roi des Lombards. Charlemagne demande que son vassal lui soit livré ; et sur le refus de Didier, il passe une seconde fois les Alpes pour mettre le siége devant Pavie. La résistance dirigée par Ogier est terrible. Les combats succèdent aux combats; Ogier, partout présent, partout victorieux, repousse les assauts et multiplie les sorties. Au retour d'une de ces excursions, soit hasard, soit trahison, les portes de Pavie se ferment devant Ogier. A ce moment commence une fuite triomphante et une poursuite acharnée dont il est impossible de reproduire tous les incidents. La fuite d'Ogier ne s'arrête par instants que pour ralentir la poursuite de Charlemagne par de prodigieux exploits, qui laissent sur la trace du fuyard héroïque des monceaux de cadavres. Deux fois Ogier trouve un asile dans des châteaux qui lui sont soumis ; il s'y défend presque seul jusqu'à l'épuisement complet de ses ressources. Enfin, sans avoir été vaincu, il est sur

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