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vers burlesques, des pamphlets piquants, des satires amères, de grossiers libelles, et même quelques dissertations pesamment prétentieuses de politique conjecturale qui ont fait illusion à quelques historiens sur la portée de cette crise, que Voltaire a si bien jugée et si finement décrite, tels sont à peu près les produits littéraires de la Fronde dont Scarron fut l'Homère burlesque.

Avant d'arriver à ce poête, il faut signaler en passant, parmi les adversaires du cardinal, un personnage singulier qui a laissé, dans des lettres qu'on lit encore, des traces nombreuses et piquantes de son animosité : c'est le médecin Guy-Patin, qui a eu en toutes choses non le privilége du bon sens, mais le mérite de la sincérité. C'était un franc Picard, toujours prêt à s'échauffer. Au reste, il n'avait de méchant que l'esprit, mais il l'avait terriblement; au fond c'était une bonne âme. Cruel en paroles et même, si l'on veut, avec sa lancette, qui a tiré plus de sang que l'épée d'un raffiné, il était de feu pour le bien d'autrui, serviable, désintéressé, un vrai mélecin selon le cœur d'Hippocrate. Ce qui nous touche davantage, c'est qu'il est écrivain naturel, plein de saillies, et qu'il écrit, ou plutôt qu'il cause, pour dire ce qu'il pense. Railleur par tempérament, opiniâtre et par-dessus tout loyal, il était prédestiné à faire cause commune avec les mécontents. Le rusé, le cauteleux Mazarin était fatalement dévoué aux sarcasmes de ce Picard fou de loyauté au point de vouloir en faire le pivot de la politique. « Pardonnez à ma passion, disait-il, je voudrais qu'il n'y eût point tant de me

chants et que le monde se voulût amender. » Ou bien encore : « J'ai peur que la vertu finisse ici, tant je vois de corruption. » Et mieux : « J'aime sur toutes choses la candeur, la pureté, la simplicité. » Enfin : « J'aime mieux justice que toutes choses : qu'elle se fasse ou que le monde périsse. » Il ne faut pas chercher ailleurs que dans ces sentiments le principe de la colère antimazarine de Guy-Patin cette haine vivace, inextinguible, il la contenait avant qu'elle eût rencontré l'occasion d'éclater. Aussi comme elle se délecte et s'épanche contre celui qu'il appelle le << Pantalon sicilien, » jusqu'à ce que désarmée, mais non éteinte par la mort de son plastron et changée en suprême dédain, elle s'écrie à la veille des magnifiques funérailles du ministre-roi: «< Mais laissons là ce filou1. » Laissons aussi son détracteur. Les curieux peuvent aller chercher dans sa correspondance ses mordantes épigrammes : ils trouveront autre chose encore, car, outre la passion politique, Patin a la passion médicale, sans parler de sa cordiale inimitié contre les jésuites. Ce qui excuse tant d'emportement, c'est que ces lettres étaient des confidences intimes: c'est aussi ce qui les sauve de l'oubli.

Les frondeurs épuisèrent leurs traits contre Maza. rin, qui ne s'en émut guère et qui ne s'inquiéta même pas beaucoup des arrêts d'exil et de confiscation lancés par le parlement : il suivait sa politique et dirigeait de loin les affaires. Pendant que son docte et

1 Lettres de Guy-Patin, 3 vol. in-8°, édit. du docteur ReveilléParise, passim.

fidèle bibliothécaire Gabriel Naudé recueillait avec un soin religieux, pour en donner une collection complète, les pamphlets qui arrivaient de tous les points de l'horizon, le cardinal, bien assuré que l'orage passerait et ayant ses raisons pour compter sur l'opiniâtreté de la régente, ne se mit pas en frais de réponse; il avait mieux à faire que de prendre des écrivains à gages : aussi ne trouvons-nous en son honneur qu'un seul écrit, boutade indépendante d'un écrivain qui n'avait pas le cerveau très-sain, mais qui aimait à jeter des défis qu'il soutenait courageusement. Cet homme singulier dont on a voulu, bien à tort, faire un homme de génie, c'est Cyrano de Bergerac. Il avait, sans aucun doute, beaucoup d'esprit; il l'a prouvé dans le Pédant joué, comédie mauvaise à la vérité, mais riche de traits comiques, d'intentions plaisantes, et d'où Molière a pu tirer deux scènes excellentes ; il avait même une certaine vigueur de talent qui éclate çà et là dans la tragédie d'Agrippine; quant à l'imagination, il est inutile de dire, après ses Voyages dans la lune et aux régions du soleil, qu'il la portait jusqu'à l'extravagance. Toutefois sa véritable supériorité est dans l'outrage : personne n'est plus insolent à provoquer, et on peut dire qu'il insulte admirablement; mais au moins ne se cachait-il pas pour faire ce vilain métier, et il était toujours prêt à soutenir son dire l'épée au poing. Le nombre des adversaires ne l'effrayait pas, et si dans sa Lettre aux frondeurs il les provoque en masse, il était homme, comme un autre Rodomont, à vider a querelle en champ clos. Tel fut l'unique champion

de Mazarin. Malheureusement le plus opiniâtre des frondeurs, Paul Scarron, n'était pas en mesure de répondre à un défi de ce genre: aussi M. de Bergerac ne le provoque-t-il pas au combat: il se contente de montrer dans les souffrances physiques du poète buresque une expiation des torts de sa langue dès longtemps prévus par la Providence : « Considérez en lui, dit-il, de quelles verges le ciel châtie la calomnie, la sédition et la médisance. Venez, écrivains burlesques, voir un hôpital tout entier dans le corps de votre Apollon: il meurt chaque jour par quelque membre, et sa langue reste la dernière afin que ses cris nous apprennent la douleur qu'il ressent1. »

Cyrano, dans son zèle ministériel, le prend de bien haut avec ce pauvre Scarron, coupable, il est vrai, d'avoir mis en vogue le genre burlesque qui donna le ton aux mazarinades. Mais Scarron avait par surcroft un autre tort plus grave peut-être aux yeux de son détracteur : il ne faisait pas de pointes, et Cyrano était passé maître dans ce faux goût qui nous venait de l'Italie; il hérissait son style, qui lui paraissait merveilleux, de ces traits où l'imagination vivifie ridiculement des abstractions, et où l'esprit joue puérilement sur les mots; car c'est là le double secret de ce travers qui fut alors une véritable manie, et dont Boileau, après Molière, a signalé et réprimé les excès. Boileau, ce grand redresseur de torts litté raires, et si judicieux dans sa haine contre les pointes

1Œuvres comiques, galantes et littéraires de Cyrano de Ber gerac, 1 vol. in-18, édit. P.-L. Jacob, 1858, p. 97.

a peut-être poussé trop loin la sévérité contre le burlesque, qui au moins dans Scarron est plutôt une espièglerie de l'esprit qu'une dépravation du goût. Toujours est-il que ce fut une mode, ou si l'on veut, une épidémie au temps de la régence, et à ce titre nous lui devons une place aussi bien qu'à l'écrivain qui en fut l'inventeur et qui en est resté le modèle.

La maladie bizarre et cruelle qui atteignit Scarron jeune encore, et qui arrêta dès le début ses succès dans le monde, avait laissé vivre dans ce corps difforme un esprit pénétrant et railleur; pour se venger gaiement et alléger ses souffrances physiques, le spirituel malade se prit à défigurer le monde à son image ses ennemis naturels furent dès lors la noblesse, la grandeur, la régularité. Il fit grimacer les figures héroïques et ramena les belles créations du génie antique aux proportions mesquines de la bourgeoisie et de la populace; il donna aux dieux et aux héros les mœurs du Marais, le langage de la rue SaintDenis. Ce travestissement pratiqué par un esprit naïf dans son affectation, délicat sous sa grossièreté d'emprunt, surprit et charma le public. Le burlesque saisit brusquement toutes les imaginations. Il avait au moins pour réussir le mérite de la nouveauté, car il ne ressemblait que par le nom aux caprices de bouffonnerie triviale qui sont le burlesque des Italiens. Le burlesque de Scarron est la transformation des ca racteres et des sentiments nobles en figures et er passions vulgaires opérée de telle sorte que la ressemblance subsiste sous le travestissement, et que le rapport soit sensible dans le contraste. Le procédé

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