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c'est moi! séduite par une orgueilleuse admiration, la nation entière répéta : Le Roi, c'est moi! Un demi-siècle plus tard, le règne commencé par les victoires et les fêtes s'achevait dans le deuil et les revers. C'est alors que le vieux roi, se redressant sous la mauvaise fortune qui lui prenait ses ar mées et ses fils, en même temps qu'il ordonnait à Villars de livrer sa dernière bataille, jura d'aller lui-même à l'ennemi et de sauver l'État ou de mourir. A ces fières paroles, incontestées celles-là, tous les cœurs tressaillirent, et dans ce jour d'épreuve, plus encore qu'au moment des splendeurs et des triomphes, la France entière, c'était encore Louis XIV.

En même temps, l'Église gouvernait en maîtresse souveraine les intelligences et les cœurs. Le règne de Louis XIII et la régence d'Anne d'Autriche virent éclore toute une moisson de saints personnages, illustres par la piété, par les vertus, par l'héroïsme chrétien. C'est l'époque de saint François de Sales, de saint Vincent de Paul, du cardinal de Bérulle, de M. Olier, de sainte Jeanne de Chantal. Le gouvernement personnel de Louis XIV fut le temps des grands évêques et des grands orateurs sacrés. Alors parurent Mascaron,

Fléchier, Bourdaloue, Fénelon et, au-dessus de tous, Bossuet. Guidée par de tels exemples, et instruite par d'aussi éclatantes lumières, toute la société polie était alors chrétienne. La foi était au fond de toutes les âmes, réglait les mœurs et fixait les intelligences. Les gens de lettres euxmêmes, cette partie toujours remuante et troublée de la nation, pratiquaient hautement la piété et les bonnes œuvres, et ceux que les passions avaient égarés revenaient tôt ou tard aux sentiments religieux et à la pénitence,

Et l'auteur de Joconde est armé d'un cilice.

Tels sont en raccourci les traits principaux qui composent la gloire du dix-septième siècle, si justement nommé le Grand Siècle. Raison droite et sûre, embellie par l'imagination, fécondée par le génie, réglée par le goût, disciplinée à la fois par les convictions monarchiques et par les croyances religieuses.

DE LA

LITTÉRATURE FRANÇAISE

AU DIX-SEPTIÈME SIÈCLE

LIVRE PREMIER

FORMATION DE LA LANGUE

CHAPITRE PREMIER

Malherbe et la réforme dans la poésie

Le dix-septième siècle, à son début, rompit avec le passé, et la littérature prit une route nouvelle très différente de celle qui avait été suivie jusqu'alors. Mais ces sortes de révolutions, qui portent sur les idées et sur le langage, ne se produisent et ne s'achèvent pas en un jour; on ne peut déterminer au juste quand

HIST. DE LA LITT. T. Ier.

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elles ont commencé, encore moins quand elles triomphent. C'est dire que le Grand Siècle, comme on l'a bien nommé, ne s'ouvre pas à une date précise, et simultanément, dans tous les genres d'écrire. L'àge précédent se prolonge encore de quelques années; forcé de céder assez vite dans la poésie lyrique, d'où le chasse Malherbe, et au théâtre, que lui enlève Corneille, il garde plus longtemps position dans la prose, et il faut Bossuet pour lui fermer à tout jamais la chaire chrétienne.

Pendant tout le commencement du siècle, il y eut un travail de réforme dans la langue, préparation nécessaire des grandes œuvres à venir. Le seizième siècle avait été marqué par une abondance de productions littéraires; il avait été l'époque des essais audacieux, l'époque de l'érudition et de l'imitation. La langue française n'était point éclose. On écrivait tout à la fois à la façon de Rome et d'Athènes, de l'Italie et de l'Espagne, et aussi un peu à la façon des idiomes de nos anciennes provinces.

Malherbe et Balzac, l'un dans les vers et l'autre dans la prose, eurent l'heureuse pensée de rechercher la langue nationale, au milieu de cette invasion des langues étrangères et des patois provinciaux; en la recherchant, ils la créèrent et la fixèrent. Ils ont ainsi mérité d'être comptés comme les deux premiers crivains du dix-septième siècle.

I

François de Malherbe naquit à Caen en 1555, d'une famille noble qui prétendait remonter au temps de Guillaume le Conquérant. Son père avait été réduit par des revers de fortune à accepter la place de simple conseiller au présidial de Caen. D'après ce que Malherbe a raconté lui-même, rien ne fut négligé pour son éducation, qui se fit en partie à Caen, en partie à Paris, et qui s'acheva à l'étranger, dans les universités de Heidelberg et de Bâle. Tous les biographes prétendent que le père de Malherbe embrassa, sur ses vieux jours, la Réforme, et ils ajoutent que le chagrin qu'en ressentit son fils le décida à quitter la Normandie et à suivre la carrière des armes, sous la conduite de Henri, duc d'Angoulême, grand prieur de France. Rien n'est moins démontré que l'abandon de la foi catholique par le vieux magistrat ce qui est certain, c'est que le jeune Malherbe, d'humeur tout à la fois poétique et guerrière, peu disposé à prendre la robe comme son père, accompagua, en qualité de secrétaire, le duc d'Angoulême en Provence. Il se maria à Aix avec Madeleine de Carriolis, fille d'un président au parlement. Fixé en Provence, Malherbe n'en sortit que pour faire deux voyages en Normandie jusqu'au moment longtemps

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