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Ont-ils rendu l'esprit, ce n'est plus que poussière
Que cette majesté si pompeuse et si fière
Dont l'éclat orgueilleux étonne l'univers;

Et dans ces grands tombeaux, où leurs âmes hautaines
Font encore les vaines,

Ils sont mangés des vers.

Là se perdent ces noms de maîtres de la terre,
D'arbitres de la paix, de foudres de la guerre;
Comme ils n'ont plus de sceptre, ils n'ont plus de flatteurs;
Et tombent avec eux d'une chute commune 1

Tous ceux que leur fortune

Faisait leurs serviteurs..

Malherbe s'est arrêté là: il s'est abstenu de paraphraser la dernière partie du psaume, craigant, diait-il, de ne pouvoir faire passer dans notre langue sout ce que cette fin avait de sublime 2.

La prose de Malherbe, sans être à la hauteur de tes vers, n'est point du tout méprisable. Elle a des mérites incontestables et tout nouveaux de correction, de pureté, de noblesse; sous ce rapport, Malherbe prépare et annonce Balzac. Outre la traduction, très travaillée, de quelques parties de Tite-Live et de Sénèque, on a conservé des lettres familières en grand nombre. Elles sont presque toutes adressées

1 Dans sa Lettre sur les occupations de l'Académie, Fénelon admire beaucoup cette inversion. «Toute notre nation l'a approuvée, dit-il. » Il va jusqu'à la proposer comme modèle de celles qu'il serait facile et souhaitable d'introduire dans notre langue.

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2 Le psaume CXLV commence ainsi : Lauda, anima mea, Dominum. Malherbe n'a paraphrasé, et très librement, que les trois premiers versets. On a encore de lui la traduction remarquable de deux autres psaumes, le psaume vIII, Domine, Dominus noster, et le psaume cxxvIII Sæpe expugnaverunt me.

au savant Peiresc, conseiller au parlement d'Aix, et offrent une chronique sûre et parfaitement authentique de la cour de France, pendant les dernières années de Henri IV et les premières de Louis XIII. Écrites d'un style plus rude et de moins bonne grâce que les traductions, elles ont de l'agrément et, comme on aurait dit quelques années plus tard, sentent l'honnête homme. S'il fallait citer, comme pièce justificative, quelque morceau meilleur et presque achevé, nous choisirions volontiers le trop court fragment de lettre du poète à sa femme, sur la mort de la petite Jourdaine. C'est une consolation en prose, d'un accent ému et déjà dans la langue du dix-septième siècle. Voici quelques traits de cette page touchante :

« Ma chère fille et la vôtre, notre belle Jourdaine, n'est plus au monde. Je fonds en larmes en vous écrivant ces paroles; mais il faut que je vous les écrive... Je possédais cette fille avec une perpétuelle crainte, et m'était avis, si j'étais une heure sans la voir, qu'il y avait un siècle que je ne l'avais vue. Je suis hors de cette appréhension; mais j'en suis sorti d'une façon cruelle et digne de regrets..... Je m'étais proposé de vous consoler; mais comme le ferais-je, étant désolé comme je suis ?... A la nouveauté de cet accident, un de mes plus profonds ennuis, et qui donnait à mon âme des atteintes plus vives et plus sensibles, c'était que vous n'étiez avec moi pour m'aider à pleurer à mon aise, sachant bien que vous seule, qui m'égaliez en intérêt, me pouviez égaler en affliction 1.....

123 juin 1599.

Je n'ai pas indiqué tous les écrits en prose de Malherbe auxquels, dans son édition, M. Lalanne a ajouté de curieuses pages restées jusqu'alors inédites. Elles forment une Instruction à son

II

Si Malherbe est grand poète, il est grand surtout comme réformateur et comme législateur. Il réforma et épura la langue poétique, qui avait été corrompue par les excès de l'école de Ronsard. Ronsard, pour enrichir, ou plutôt pour créer en France la langue des vers, une langue noble, savante, harmonieuse, avait largement et servilement puisé dans les langues anciennes, et sa muse, « en français, parlant grec et latin, » avait méconnu le caractère et les richesses naturelles de l'idiome national. Outre les mots d'origine grecque ou latine, il avait fait appel à la technologie des métiers et aux patois provinciaux. «< Ne se faut soucier, disait Ronsard, si les vocables sont Gascons1, Poitevins, Normands, Manceaux, Lyonnais ou d'autres pays, pourvu qu'ils soient bons 2. » De là ce

fils, écrite au moment du voyage que Malherbe fit à Paris en 1605. Le sujet de l'ouvrage n'est pas ce que le titre pourrait faire espérer; il s'agit uniquement de la généalogie de la famille et de ses droits aux successions à échoir en Normandie. La plume qui a écrit les odes et les stances y sait prendre les allures précises et méfiantes du style des procureurs. Le père prévoit toutes les contestations éventuelles et enseigne à son fils la bonne façon de défendre son patrimoine. Involontairement, cela fait penser aux vers de Boileau :

Soutenons bien nos droits, sot est celui qui donne :
C'est ainsi devers Caen que tout Normand raisonne ;
Ce sont là les leçons dont un père Manceau
Instruit son fils novice au sortir du berceau.

(Ep. 11, 1673.)

1 Tout naturellement le Gascon était fort en houneur. Il était venu en France à la suite de Henri IV. Malherbe réussit, comme il s'en vantait, à dégasconner la cour.

2 Ronsard, Abrégé de l'Art poétique français.

« faste pédantesque » que lui reproche si justement Boileau, et qui fut le trait distinctif d'une poésie ingénieuse, inaccessible au vulgaire, faite pour le petit nombre des lettrés et des érudits.

Malherbe voulut délivrer la langue de cette invasion antifrançaise, lui rendre son indépendance, son génie, la popularité qu'elle avait perdue, la placer enfin à un niveau qui ne fût, ainsi que l'observe M. Nisard, «< ni au-dessous de la délicatesse des classes élevées, ni au-dessus de l'intelligence de la foule. » C'était une œuvre de fusion, de discipline, de goût, qu'il entreprit, au moment même où Henri IV, par l'apaisement des discordes civiles, venait de jeter les premiers fondements de l'unité nationale. « Malherbe, dit avec raison M. Geruzez, fit pour la langue française ce que son maître, Henri IV, fit pour la France; grâce au roi, les Français furent une nation, et, par Malherbe, le français fut un idiome; l'un établit et maintint l'indépendance du pays, l'autre, celle du langage. Lorsque le Béarnais, maître de Paris, vit défiler devant lui les soldats de l'Espagne, il leur dit : «< Bon voyage, Messieurs! mais n'y revenez pas. » Malherbe adressa le même compliment aux mots étrangers qui avaient fait invasion sous les auspices de Ronsard. Aux imitations latines et grecques et aux locutions tirées des divers patois, il substitua les expressions de la pure langue française parlée au cœur

du pays, à Paris. Quand on lui demandait son avis sur quelque mot douteux, il avait coutume de renvoyer par plaisanterie aux crocheteurs du Port-auFoin, «<les maîtres pour le langage, disait-il, tant il était persuadé que la langue du peuple est la plus naturelle et la meilleure. >>

Ce serait un tort de croire que Malherbe n'aima et n'imita pas les anciens. Il connaissait et pratiquait leur littérature: ses traductions en sont des preuves certaines. Il portait continuellement un Horace avec lui et, à vrai dire, c'était peine inutile car il le savait tout entier de mémoire. Du reste, il préférait les Latins aux Grecs, sans doute par esprit de réaction contre le siècle précédent. Mais l'usage qu'il faisait de l'antiquité était sobre et prudent, et il s'en appropriait les beautés par une imitation intelligente et discrète, Ronsard et son école avaient, pour les Grecs et les Latins, une passion telle qu'ils pillaient leurs pensées plutôt qu'ils ne les choisissaient. C'était une importation directe et entière des chefs-d'œuvre étrangers. «Les imitations de Malherbe, remarque Balzac, sont bien moins violentes, sont bien plus fines et plus adroites. Il ne gâte point les inventions d'autrui en se les appropriant. Au contraire, ce qui n'était que bon au lieu de son origine, il sait le rendre meilleur par le transport qu'il en fait. Il va presque toujours au delà de son exemple, et, dans une langue inférieure

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