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curien aimable, insouciant et spirituel, qui amusait la société polie par ses incroyables distractions, et qui donnait aux muses tous les loisirs d'une vie inoccupée. Il avait, à la vérité, du sentiment, de la simplicité et du naturel, et il a excellé à peindre le charme de la vie des champs. Ses stances sur la Retraite sont restées célèbres à ce titre. On y reconnaît un amour sincère de la campagne, chérie, non pas à la manière d'Horace et pour le plaisir de la chanter, mais à la manière de la Fontaine, pour la douceur et le charme d'y vivre. Le poète s'adresse à un ami qu'il convie à se retirer du monde !

Tircis, il faut penser à faire la retraite:

La course de nos jours est plus qu'à demi-faite.
L'âge insensiblement nous conduit à la mort.
Nous avons assez vu sur la mer de ce monde
Errer au gré des flots notre nef vagabonde;
Il est temps de jouir des délices du port.

Et bientôt, après quelques mots sur l'inconstance de la fortune et la vanité de l'ambition, Racan passe à la description des plaisirs des champs. Ce n'est, si l'on veut, qu'une imitation de l'épode d'Horace : Beatus ille qui procul negotiis... mais une imitation à la façon de Malherbe, c'est-à-dire libre, naturelle, originale. Voici le portrait du véritable ami de la campagne :

Il laboure le champ que labourait son père;
Il ne s'informe point de ce qu'on délibère
Dans ces graves conseils d'affaires accablés :
Il voit sans intérêt la mer grosse d'orages,
Et n'observe des vents les sinistres présages
Que pour le soin qu'il a du salut de ses blés.
Roi de ses passions, il a ce qu'il désire,

Son fertile domaine est son petit empire;

Sa cabane est son Louvre et son Fontainebleau.
Ses champs et ses jardins sont autant de provinces,
Et, sans porter envie à la pompe des princes,
Se contente chez lui de les voir en tableau.

Il voit de toutes parts combler d'heur sa famille,
La javelle à plein poing tomber sous sa faucille,
Le vendangeur ployer sous le faix des paniers;
Et semble qu'à l'envi les fertiles montagnes,

Les humides vallons et les grasses campagnes
S'efforcent à remplir sa cave et ses greniers.

«Quel heureux mélange de réalité et d'imagination, remarque très justement un critique! Qu'on aime à voir apparaître enfin dans la poésie française ces vendangeurs qui plient sous le poids de leurs paniers et ces javelles qui tombent à plein poing sous la faucille ! Quelle bonne odeur de village et de prairies! >>

Sans doute, Boileau se rappelait ces vers, lorsqu'il opposait Racan à Malherbe, dans l'Art poétique :

Malherbe d'un héros peut vanter les exploits;
Racan, chanter Philis, les bergers et les bois 1.

Et il renouvelait le parallèle, dans une lettre à

↑ Art poétique, ch. 1.

Maucroix, qui est une excellente page de critique littéraire et sur laquelle il faudra revenir.

<< Malherbe croît de réputation à mesure qu'il s'éloigne de son siècle. La vérité est pourtant, et c'était le sentiment de notre cher ami Patru, que la nature ne l'avait pas fait grand poète; mais il corrige ce défaut par son esprit et par son travail: car, personne n'a plus travaillé ses ouvrages que lui, comme il paraît assez par le petit nombre de pièces qu'il a faites. Notre langue veut être extrêmement travaillée. Racan avait plus de génie que lui mais il est plus négligé, et songe trop à le copier. Il excelle surtout, à mon avis, à dire les petites choses; et c'est en quoi il ressemble mieux aux anciens, que j'admire surtout par cet endroit 1. »

La Fontaine, au début d'une de ses fables, unit aussi la gloire du disciple et la gloire du maître dans ces deux vers où il ne paraît mettre aucune différence entre Malherbe et Racan:

Ces deux rivaux d'Horace, héritiers de sa lyre,
Disciples d'Apollon, nos maîtres, pour mieux dire 2.

Mais Boileau s'est permis, contre son habitude, une hyperbole de louange, en faveur de Racan, lors

1 29 avril 1695.

Dans Boileau, le nom du maître éveille d'habitude le souvenir du disciple, et Malherbe appelle Racan, comme, par exemple, dans ce passage de la 1x satire, resté fameux à d'autres titres :

Tous les jours à la cour un sot de qualité

Peut juger de travers avec impunité;

A Malherbe, à Racan préférer Théophile,
Et le clinquant du Tasse à tout l'or de Virgile.

2 La Fontaine, liv. III, fab. 1.

qu'il l'a élevé au rang de poète épique dans sa neu

vième satire.

Racan pourrait chanter au défaut d'un Homère 1.

Les qualités de ce poète et les genres qu'il a cultivés, ne confirment point cette appréciation trop favorable. Il ne reste de lui que des odes, des stances dont quelques-unes sont charmantes, grand nombre de paraphrases de psaumes et une espèce de comédie pastorale, intitulée: Bergeries, où tous les personnages parlent aux champs un langage de convention, mélange de bel esprit prétentieux et de fade galanterie.

Quoi qu'il en soit, Racan dut beaucoup à Malherbe, qui exerça sur tous les jeunes écrivains que son talent groupait autour de lui, une domination toujours très réelle et le plus souvent salutaire 2. Balzac, qui

1 On doit faire ici une observation à la décharge de Boileau. En 1667, au moment où fut composée la IX° satire, Racan vivait encore. L'autorité de son nom était grande et sa réputation n'avait rien perdu de son éclat. Il n'est pas étonnant que Boileau, jeune et à son début, se soit laissé éblouir. Plus tard, en 1695, dans toute la maturité de l'âge et du talent, il a donné une appréciation plus vraie et comme son jugement définitif: c'est l'extrait de la lettre à Maucroix.

2 Le président Maynard (1582-1646) fut aussi un des élèves de Malherbe. Les poésies licencieuses qui restent de lui donnent une petite idée de ses mœurs, de son caractère et même de son talent poétique. Il était grand faiseur de sonnets, où il ne réussissait que rarement, s'il faut croire Boileau :

A peine dans Gombaud, Maynard et Malleville,

En peut-on admirer deux ou trois (sonnets) entre mille. (Art poétique, ch. 11.)

s'est montré en vingt endroits un juste appréciateur des mérites du réformateur, a tracé de son minutieux despotisme un portrait piquant et curieux. A part le ton, qui est amer, et l'exagération, qui est évidente, il y a de la vérité dans ces quelques lignes :

« Vous vous souvenez du vieux pédagogue de la cour, qu'on appelait autrefois le tyran des mots et des syllabes, et qui s'appelait lui-même, lorsqu'il était en belle humeur, le grammairien à lunettes et en cheveux gris. N'ayous point dessein d'imiter ce que l'on conte de ridicule de ce vieux docteur. Notre ambition se doit proposer de meilleurs exemples. J'ai pitié d'un homme qui fait de si grandes différences entre pas et point; qui traite l'affaire des gérondifs et des participes comme si c'était celle de deux peuples voisins l'un de l'autre et jaloux de leurs frontières. Ce docteur en langue vulgaire avait accoutumé de dire que, depuis tant d'années, il travaillait à dégas conner la cour, et qu'il n'en pouvait venir à bout. La mort l'attrapa sur l'arrondissement d'une période, et l'an climatérique l'avait surpris délibérant si erreur et doute étaient masculins ou féminins. Avec quelle attention voulait-il qu'on l'écoutât, quand il dogmatisait de l'usage et de la vertu des particules 1 ! »

S'il faut en croire Racan, le vieux pédagogue, sur son lit de mort, donna raison à Balzac : « On dit qu'une heure avant que de mourir, après avoir été deux heures à l'agonie, il se réveilla comme en sursaut pour reprendre son hôtesse, qui lui servait de garde, d'un mot qui n'était pas bien français à son

Lors de la fondation de l'Académie française, Maynard et Racan furent des premiers membres choisis. L'école de Malherbe ne pouvait manquer d'y occuper une place d'honneur.

1 Socrate chrétien, discours dixième.

HIST. DE LA LITT. T. I.

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