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lique, apostolique et romaine, dans laquelle je veux vivre et mourir, et dans la communion avec le Pape, son souverain Chef, hors de laquelle je suis très persuadé qu'il n'y a point de salut. » C'était une profession de foi nette, accentuée, précise. Mais les Petites Lettres n'avaient pas été encore condamnées; elles furent déférées au tribunal de l'Inquisition romaine. Aussitôt le chrétien humble et soumis disparut pour faire place au sectaire orgueilleux et rebelle. « Si mes lettres sont condamnées à Rome, disait-il sans plus se soucier du Pape, ni de la communion avec le Chef de l'Église, ce que j'y condamne est condamné dans le ciel : Ad tuum, Domine Jesu, tribunal appello 1. »

Les conséquences des Provinciales furent désastreuses pour la religion. Les Jésuites reçurent en apparence tous les coups; en réalité, la foi fut frappée avec eux. Les haines et les passions irréligieuses n'avaient eu jusqu'alors pour s'assouvir que les pamphlets protestants écrits en latin ou dans un français barbare; Pascal leur donna un aliment accessible à tout le monde. Il forgea pour le doute et pour l'impiété des armes terribles. Elles furent employées de son temps, et dès lors produisirent leurs effets meurtriers. Les hommes de la seconde génération du dix

1 Ce passage et le précédent sont extraits des Pensées.

septième siècle ne montrèrent plus aussi généralement cette foi docile et forte qui avait distingué et honoré leurs pères. Dans son Oraison funèbre d'Anne de Gonzague, Bossuet s'élevait, non sans raison, contre les progrès de l'incrédulité déjà envahissante, et, même au milieu de la contrainte et des réserves que la piété sévère de Louis XIV converti imposait au libertinage, La Bruyère écrivait son chapitre des Esprits forts.

Mais les traits des Provinciales causèrent les plus cruelles blessures dans le siècle suivant. Sans doute, ils percèrent d'abord les Jésuites, bannis alors de toutes les nations catholiques, mais ils blessèrent aussi l'Église et la Religion elles-mêmes. On l'a dit sans aucune exagération, les moqueries de Pascal ont frayé la voie aux philosophes, aux sceptiques et aux athées, et des ruines qu'elles amoncelèrent s'éleva le trône où régna Voltaire.

CHAPITRE CINQUIÈME

Les Pensées

I

Les Provinciales ne donnent que très imparfaitement l'idée du génie de Pascal. Dans ce pamphlet malheureux, où la plus mauvaise des causes est habilement servie par un art perfide, l'invention manque. Le mérite unique est un mérite de forme, et les Petites Lettres n'ont vécu que par la mise en œuvre des matériaux empruntés aux écrits jansénistes. Les Pensées, au contraire, donnent Pascal tout entier; elles révèlent le philosophe, elles découvrent le moraliste. C'est un livre dont les conceptions sont neuves, élevées et grandes. A la supériorité du fond se joint la supériorité de la forme. Les Pensées ont tout le mérite des Provinciales: esprit, verve, ironie, formes dramatiques, et en plus, un accent irrésistible de conviction, de chaleur et de foi qui échauffe et satisfait le cœur!

Pendant la première partie de sa vie, Pascal n'écrivait jamais que des pages achevées, parfaites déjà en son esprit avant de passer sur le papier. Une mémoire prodigieuse, qui ne perdait rien de ce qui lui avait été une fois confié, lui donnait le temps d'élaborer par la méditation les idées qu'il avait conçues. Mais, dans ses cinq dernières années, il ne fut plus capable d'effort de mémoire, et, pour fixer ses pensées au moment où elles se produisaient, il les déposa sur de petits morceaux de papier qui ont été retrouvés après sa mort, enfilés à la suite les uns des autres, sans aucun ordre. Telle a été l'origine de ce qu'on nomme les Pensées.

Il est hors de doute que ces fragments étaient les premiers jalons d'une apologie complète du christianisme entreprise aussitôt après la publication des Provinciales, et interrompue par la mort. Mme Périer l'affirme, et non seulement elle, mais son fils Étienne Périer, qui mit une préface à la première édition des Pensées. Cette première édition, qu'on peut appeler l'édition de Port-Royal, ne parut que plus de sept ans après la mort de Pascal. Nicole et Arnauld y donnèrent leurs soins, et des soins malheureux. Avec aussi mauvais goût que bonne intention, ils travaillèrent à corriger l'œuvre de leur ami au double point de vue des préjugés jansénistes et de la correction grammaticale. De là des altérations graves dans

HIS T DE LA LITT. T. I.

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l'idée, des altérations plus nombreuses dans la forme. Les éditeurs ont été impitoyables pour le style. Ils ont refait Pascal avec une patience obstinée qui n'a reculé devant aucune mutilation. Il n'y a pas une page qui ne porte la trace de leurs corrections, et, dans bien des pages, elles défigurent toutes les phrases. C'est seulement de nos jours qu'a reparu le texte authentique et primitif. Il a fallu près de deux siècles pour que ces célèbres Pensées fussent enfin livrées au public telles qu'elles sont sorties de la plume de leur auteur! L'édition de Port-Royal est de 1670. En 1844, M. Prosper Faugère a, pour la première fois, reproduit fidèlement le manuscrit de Pascal, déposé à la Bibliothèque nationale '.

Ce n'était pas tout d'être fixé sur la lettre des Pensées. On a fait effort pour découvrir le plan de l'ouvrage auquel ces fragments se rapportaient, et, s'il n'a pas été possible de reconstituer l'œuvre entière dans ses détails, on est arrivé du moins à se faire une idée générale de l'ensemble. Toute la suite du livre devra reposer sur deux ordres de preuves, dont les unes étaient tirées de l'observation psychologique, et les autres s'appuyaient sur le témoi

1 Pour être juste envers tout le monde, il faut dire que Cousin avait donné l'éveil à M. Faugère et lui avait ouvert la voie par des articles publiés en 1842 dans le Journal des Savants, où il signalait les altérations dont s'étaient rendus coupables Messieurs de Dori-Boval, et les lacunes qu'ils avaient volontairement laissées.

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