Imágenes de páginas
PDF
EPUB

attendu et désiré où la fortune lui souriant enfin, l'attacha définitivement à la cour du roi Henri IV.

Racan, son disciple et son biographe, a raconté en quelles circonstances le nom de Malherbe avait été prononcé, pour la première fois, devant Henri IV. C'était en 1604 : le roi demandait au cardinal du Perron, alors évêque d'Évreux, s'il faisait encore des vers, et le prélat n'hésita pas à lui répondre : « Qu'il << ne fallait plus que personne s'en mêlat après M. de « Malherbe, gentilhomme de Normandie; qu'il avait « porté la poésie française à un si haut point que << personne n'en pouvait jamais approcher 1.» Henri IV garda le souvenir de celui que du Perron avait loué si magnifiquement, et en 1605, il profita d'un voyage de Maherbe à Paris pour l'attacher à la maison du duc de Bellegarde, son grand écuyer, qui lui assura une pension de mille livres, le logea chez lui, l'admit à sa table, et lui entretint un domestique et un cheval.

A partir de 1605, Malherbe habita le plus ordinairement Paris. Il y mit sa poésie au service de la royauté, qui n'eut pas de plus chaud partisan. Il avait compris, avec une rare intelligence, le mouvement général du dix-septième siècle vers l'affermissement et le triomphe de cette monarchie que Henri IV inaugurait

4 Mémoires pour la vie de Malherbe, par Racan. — Du Perron est né à Saint-Lo en 1556: il était donc le compatriote et tout à fait le contemporain de Malherbe.

glorieusement. Les éloges du poète allèrent de préférence au roi dont il s'était fait le serviteur; ils ne manquèrent ni à Marie de Médicis, ni à Richelieu; ils ne furent même pas refusés à Louis XIII'. Presque toutes ses pièces sont de circonstance, composées en mémoire de quelque grande fête ou d'un événement politique. Son dévouement ne fut d'ailleurs pas sans récompense; il eut souvent part aux libéralités princières, et il demeura jusqu'à sa mort le poète en faveur à la cour.

Malherbe eut trois enfants: aucun ne lui survécut. Il perdit d'abord un fils au berceau; plus tard, une fille âgée de huit ans, et, sur ses vieux jours, un fils déjà mûr, et qui allait être nommé conseiller au parlement d'Aix. Cette dernière douleur fut si vive que, malgré ses soixante-treize ans, le vieux père voulait se battre en duel contre le chevalier de Piles, soupçonné d'avoir été le meurtrier. Après qu'on l'en eut détourné, non sans peine, il alla exprès, de Paris à la Rochelle, demander justice au roi Louis XIII. C'est pendant ce voyage qu'il gagna le mal dont il revint mourir à Paris en 1628.

Il n'est que trop avéré que la vie de Malherbe n'a pas été sans reproches, et qu'il participa aux dérègle

1 Malherbe s'adressant à ce pauvre prince, lors de son entrée à Aix, en 1622, ose lui dire :

Grand fils du grand Henri, grand chef-d'œuvre des Cieux.

ments de la société corrompue au milieu de laquelle il vécut. Le poète, sur ce point, ne fut pas moins répréhensible que l'homme. A côté de vers qui célèbrent dignement les exploits de Henri IV, s'en trouvent d'autres où il se fait le complice des liaisons adultères du prince. Pourtant, Malherbe avait des sentiments religieux: ce qu'on lui a quelquefois entendu dire de déplacé, relativement aux préceptes de l'Église, n'était que manière de parler pour produire de l'effet, et n'avait point de conséquences fàcheuses dans la conduite. Il allait à la messe toutes les fêtes et tous les dimanches, et il se confessait et communiait à Pâques. Il était très soumis aux lois du jeûne et de l'abstinence, qu'il a fidèlement observées, même fort avancé en âge. Racan atteste qu'il parlait de Dieu et des choses saintes avec respect; et un de ses amis rapporte qu'il avait une fois fait vou, durant la maladie de sa femme, d'aller, si elle guérissait, d'Aix à la Sainte-Baume, à pied et tête nue. Enfin, sa mort a bien prouvé qu'il était plus libre de paroles que de convictions: il appela un prêtre à ses derniers moments, et confessa ses fautes avec foi et avec repentir.

Le caractère et le tour d'esprit de Malherbe convenaient admirablement à la mission de réformateur qu'il se donna, et à l'espèce de dictature littéraire qu'il exerça pendant vingt ans. Il eut au plus haut degré l'amour de soi et de ses œuvres, ainsi que le senti

[ocr errors]

ment profond de sa supériorité. La princesse de Conti lui disait un jour : « Je vous veux montrer les plus beaux vers du monde, que vous n'avez point vus. » Et il répondit aussitôt, avec une vanité confiante et naïve : « Pardonnez-moi, Madame, je les ai vus, car, puisqu'ils sont les plus beaux du monde, il faut né«< cessairement que ce soit moi qui les aie faits. » Dans une lettre adressée à Balzac, il écrit : « Je ne crois pas qu'il y ait de quoi m'accuser de présomption, quand je dirai qu'il faudrait qu'un homme vînt de l'autre monde, pour ne savoir pas qui je suis1.» Plusieurs de ses lettres sont pleines de semblables explosions d'amour-propre, et il n'est pas plus modeste en vers qu'en prose. Les endroits où il parle ainsi de lui même sont généralement les mieux venus, ceux qui ont le plus de vigueur et de verve.

Il ose dire :

Je suis vaincu du temps; je cède à ses outrages;
Mon esprit seulement exempt de sa rigueur

A de quoi témoigner en ses derniers ouvrages
Sa première vigueur.

1 La lettre est entière sur ce ton. Je citerai encore un ou deux passages: «Le siècle connaît mon nom, et le connaît pour un de ceux qui y ont quelque relief par-dessus le commun. Et néanmoins ne sais-je pas qu'il y a certains chats-huants à qui ma lumière donne des inquiétudes.... Écrive contre moi qui voudra, si les colporteurs du Pont-Neuf n'ont rien à vendre que les réponses que je ferai, ils peuvent bien prendre des crochets, ou se résoudre à mourir de faim. On pensera peut-être que je crains les antagonistes. Non fais. Je me moque d'eux, et n'en excepte pas un, depuis le cèdre jusqu'à l'hysope. >>

Les puissantes faveurs dont Parnasse m'honore,

Non loin de mon berceau commencèrent leurs cours;
Je les possédai jeune 1, et les possède encore

A la fin de mes jours 2.

Et ailleurs, avec une fierté non moins présomptueuse :

Apollon à portes ouvertes

Laisse indifféremment cueillir
Les belles feuilles toujours vertes
Qui gardent les noms de vieillir;
Mais l'art d'en faire les couronnes
N'est pas su de toutes personnes;
Et trois ou quatre seulement,
Au nombre desquels on me range,
Peuvent donner une louange
Qui demeure éternellement 3.

Enfin, rassemblant en deux vers toute la bonne opinion qu'il a de son mérite, il affirme :

Les ouvrages communs vivent quelques années;
Ce que Malherbe écrit dure éternellement.

1 Le vieux poète se faisait illusion. Ses premiers vers, aujourd'hui perdus, étaient pitoyables et ne sont pas à regretter, au témoignage de Tallemant des Réaux qui les avait lus.

2 Ode pour le roi Louis XIII, allant combattre les Rochelois révoltés. Cette pièce est de 1627. Malherbe avait près de soixantetreize ans quand il la composa: elle fut pour lui le chant du cygne.

Toutes les citations de Malherbe sont collationnées sur l'édition récente (1862), de Ludovic Lalanne, qui fait partie de la collection des Grands Ecrivains de la France. C'est un travail de patiente et judicieuse érudition, et qui, pour la pureté du texte, ne laisse rien à désirer.

3 Ode à la reine Marie de Médicis, sur les heureux succès de sa régence (1610 ou 1611). La strophe de dix vers a dans Malherbe un charme particulier. J'en donnerai d'autres exemples.

4 Sonnet au roi Louis XIII (1624 ?).

« AnteriorContinuar »