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qu'éteinte, le premier préfident Portail l'interrompit & lui demanda ce qu'il avoit.

Rien, monfieur; ce n'eft qu'un rhume de cerveau qui ne m'empêchera pas d'avoir l'honneur de plaider. Mais du confentement de la compagnie le préfident lui dit: La cour a trop d'intérêt à vous ménager pour fouffrir que vous parliez dans l'état où vous êtes. L'audience continuée au jour où vous ferez abfolument guéri.

Rentré chez lui, il y trouvoit une foule de cliens qu'il fatisfaifoit comme s'il n'en eût qu'un. Paroître le matin à plufieurs audiences, plaider au palais, répliquer au grandconfeil, courir au châtelet entendre un émule, fe trouver l'après-dînée à des affemblées, le refte du jour étudier des causes, défendre des procès par écrit, rédiger des mémoires ou des confultations, & s'interrompre à tout inftant, n'avoir parmi tant de peines ni plaifir ni relâche, c'eft l'histoire de fa vie; tous fes jours fe reffembloient.

Toutes ces vertus n'ont point empêché M. de la Cretelle de difcuter fon mérite. Comme homme, comme avocat, c'est le modele qu'il femble avoir choifi. Mais comme écrivain, il lui refufe les premieres places, parce qu'il n'a pas créé de principes, parce qu'il n'a détruit ni erreurs ni préjugés, parce qu'enfin il n'a pas reculé les bornes de fon art.

4 Odobre 1759. m.

PAUL-FRANÇOIS VELLY.

ENCORE NCORE un homme qui honore la Champagne! Son pere n'étoit que chirurgien, & fouvent on fe trouva fort bien de l'avoir pris pour un médecin. Il étoit pourtant notaire & même bailli de cinq ou fix paroisses. Un médecin de Rheims, qui paffoit par Crugny, fut fi étonné de le voir tantôt fous là robe de Rabelais, tantôt fous celle de Cujas, & toujours à fa place, qu'il écrivit à un de fes amis de la faculté de Paris : J'ai vu notre confrere M. Velly, qui eft médecin, chirurgien, notaire & bailli, ange & praticien, dieu & diable, & qui bientôt ne fera plus rien, car il a plus de quatre-vingts ans.

L'abbé Velly avoit fait fes études chez les jéfuites & avec fuccès, puifqu'il devint jéfuite lui-même. Dans fon enfance, il étoit ce que le duc de la Rochefoucault defire que les enfans foient, honteux ou étourdis. Un air capable & compofé fe tourne d'ordinaire en impertinence. Pendant quatorze ans, il rendit à fa fociété tout l'honneur qu'elle lui faifoit, & il ne la quitta que muni d'un grand fond de connoiffances avec l'amour du travail.

Il vint à Paris, où fes anciens confreres pour ne pas le perdre tout-à-fait, lui offrirent une place d'inftituteur au college de Louis-le-Grand. L'enfant dont on le chargea lui donnoit beaucoup de peines, & comme c'eft l'ordinaire, il en avoit encore beaucoup plus avec les parens. Je ne vis jamais pere, dit Montaigne, pour boffu ou teigneux que fuft fon fils, qui laiffaft de l'avouer. L'abbé Velly ne fut pas plus heureux que Montaigne.

Las de ne faire qu'un fot & des ingrats, il effaya fi fa plume pourroit le nourrir. Qui vit content de peu chérit l'indépendance. Le premier écrit qu'il publia fut la traduction du Procès fans fin ou Jones Bulh, fatyré ingénieufe du docteur Swift, dont le sujet eft la longue guerre terminée par la paix d'Utrecht. A cette brochure fuccéda un ouvrage de longue haleine. Il avoit du goût pour l'hiftoire; il lui parut que celle de France, quoiqu'éclairée déjà par un grand nombre d'écrivains habiles, pouvoit être préfentée dans un nouveau jour, en la confidérant du côté des mœurs, des ufages, des loix, des préjugés. Il fe propofoit de remarquer fur-tout les principes de nos libertés, les vraies fources & les divers fondemens de norre droit public, l'origine des grandes dignités, l'inftitution des parlemens, l'établissement des univerfités, la fondation des

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ordres religieux ou militaires; enfin les découvertes utiles au monde.

Ses deux premiers volumes reçurent l'ac-. cueil le plus encourageant, qui fatisfit l'ambition même des libraires. Il eft certain que l'abbé Velly a fu répandre fur les fiecles les plus obfcurs de la lumiere, de l'ordre & de l'intérêt. L'hiftoire des deux premieres races de nos rois étoit la plus néceflaire comme la plus difficile. On lui reproche d'avoir diffimulé fouvent les privileges du clergé avec une affectation trop marquée. Ne devoit-il pas fentir que ces anciens privileges des grands corps dont l'origine fe confond avec la monarchie, doivent être d'autant plus refpectés, qu'ils font en quelque forte le dernier afyle de nos libertés ?

Comme écrivain, quoique très-correct, il ne vaut pas Mezerai, qui quelquefois a l'énergie de Tacite. Mais aufli plus philofophe que lui, ne s'amufe-t-il pas à nous raconter que Dieu fit mourir Henri V, roi d'Angleterre, de la fiftule à l'anus, parce qu'il avoit ofé s'afleoir fur le trône du roi très-chrétien.

L'abbé Velly avoit donné fix volumes de fon hiftoire de France, & fe difpofoit à mettre au jour le feptieme & le huitieme, lorfqu'il mourut fubitement. Il étoit fort fanguin; il avoit le viface d'un rouge foncé, fymptôme d'une difpofition à l'apoplexie. Ses

amis lui confeilloient fouvent de fe faire faigner; comme il ne fentoit aucun mal il négligeait cette précaution, & vivoit fans inquiétude fur la foi d'une fanté très-robufte.

Le 4 octobre, il avoit dîné fobrement en ville, & paffé la foirée fans fouper dans une maifon voifine de la fienne. Il rentra fur les onze heures du foir & fe coucha. Un inftant après, fa gouvernante l'entendit s'agiter dans fon lit, & fe plaindre d'une voix rauque & étouffée.

Elle ouvrit la chambre de fon maître, qui ne put articuler qu'à demi ce feul mot chirurgien. Elle alla fur-le-champ en chercher un; il arriva trop tard: l'abbé étoit mort d'un coup de fang.

C'étoit un homme réglé dans fa conduite, fincere & folide dans l'amitié, ferme dans les vrais principes de la religion & de la morale, aimable dans le commerce de la vie; il étoit même d'une gaieté finguliere, préfent que la nature fait rarement. Il rioit prefque toujours & de bon cœur. Ces caracteres-là font en général les plus heureux, les plus francs & les plus eftimables.

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