PHILIPPE DESPORTES. Il étoit favant; mais il n'ofa le paroître dans L un fiecle où l'amour & la folie avoient enchaîné, au bruit des grelots, avec des fleurs, un jeune roi fous le croiffant de la belle Diane, qui avoit quarante ans. Le goût des lettres, comme la régularité des mœurs, étoit abandonné aux proteftans, qui par un intérêt commun à tous les novateurs, avoient befoin de lumieres pour attaquer les anciennes opinions & de mœurs pour accréditer les nouvelles. Dans une cour où la galanterie & le luxe avoient énervé les ames & les caracteres, un vers imité d'Ovide ou de Catulle valoit des honneurs & de l'argent. Defportes qui avoit des connoiffances, du talent & du goût, fit fervir à fa fortune tout l'efprit des anciens. Il étoit à lui par l'art qu'il avoit de l'employer; il favoit bannir l'érudition recherchée, abftruse, obfcure & pefante, après laquelle couroient tous les poëtes de la pléïade, qui rendoient pour leurs lecteurs leurs poéfies auffi obfcures que celles de Lycophron le font pour Jes favans. Entre fes mains un bouquet de Tibulle reprenoit du coloris & de la fraîcheur. Ce fut le poëte de la nation qui le récompenfa bien. Un fonnet lui rapporta une abbaye; il devoit s'attendre à un évêché, car il en fit de meilleurs: mais peut-être préféra-t-il quatre-vingt mille livres de rente. Le roi l'appeloit quelquefois dans fon confeil, c'est avoir été bien payé de la révolation qu'il opéra dans la poéfie françoife. Sans doute il eût été injufte qu'il ne machât que des lauriers. On donnoit bien à Ronfard, qui parloit en françois grec & latin, des Minerves d'argent maffif. Il est certain que Defportes a purgé notre langue du grécifme & du latinifme que Ronsard avoit introduits; celui-ci n'étoit pourtant pas fans mérite, mais il n'avoit que du génie. On peut le regarder comme un homme à grandes prétentions, à qui un habit riche & mal fait donne un air de gaucherie & d'opulence. Delportes avoit le droit d'être riche, car il étoit noble & généreux. Sa bourse & fa bibliotheque étoient ouvertes aux gens-delettres. Il n'étoit heureux que dans la folitude; & quoique Henri III T'appelât fouvent dans fon confeil pour le confulter fur les affaires les plus importantes du royaume, il ne fe plaifoit point fous des lambris dorés où la fortune, qui fouvent fe proftitue à des valets, condamne fes efclaves à la "magnificence. Ce n'eft que dans un pré émaillé de fleurs fur les bords d'un ruiffeau, à l'ombre d'un bois, que fes pensées erroient libres comme la nature. Là tranquille avec lui-même, il ne craignoit ni les importuns ni les jaloux. L'envie & la critique n'ont jamais pu troubler fon repos; elles lui reprochoient envain d'avoir emprunté des italiens le tour délicat & fleuri de fon ftyle, le brillant de fes figures, la vivacité de fes defcriptions. Il s'accufoit lui-même d'être plagiaire, tandis que voleur adroit, heureux affaffin, il embelliffoit tout ce qu'il touchoit. Ses ennemis, qui ne pouvoient pas lui pardonner fon élévation, ne l'attribuoient qu'au fecret qu'il avoit acquis de louer & de ramper. I eft vrai qu'il a toujours mis dans fa conduite beaucoup de cette foupleffe que prefcrit l'habitude du monde. Mais ne peut-on pas être fin fans être faux? Si on en juge par fa vie, il n'étoit pas homme manger des cérifes avec les grands, qui lui auroient jetté les noyaux au vifage. On lui trouve l'indépendance que donnent les à lettres. Ce ne fut que quand il fe jetta dans le parti de la ligue, que les méchans eurent des raifons de le dénoncer à la poftérité. La poftérité moins févere qu'eux, en réfléchiffant fur l'hiftoire de l'efprit humain, doit fentir combien en fait d'opinions les circonftances peuvent influer fur l'efprit d'un galant homme. Defportes fut ligueur peut-être par reconnoiffance pour le duc de Joyeufe auquel il étoit attaché; d'ailleurs il a réparé fon infidélité paffagere en faifant rentrer la Normandie fous l'obéiffance de Henri-le-Grand. On lui fait encore un crime d'avoir écrit fur l'amour, quoiqu'il fûr eccléfiaftique. Ce crime étoit commun de fon temps; le cardinal Duperron, qui a fait quelques vers frivoles, n'en foudroyoit pas moins les calvi niftes. C'est dans les œuvres de Defportes que fe trouve en partie le fameux fonnet de Defbarreaux, qui eft encore à refaire, & beaucoup de chanfons que l'on fait par cœur. 6 Odobre 1590. m. JACQUES CUJA S. Mille foro juvenes dedit hic, bis mille fenatus adjecit numero, purpureifque togis. IL naquit dans la claffe des honnêtes gens, celle du peuple. Son pere ne lui donna fes vertus, & il acquit des talens. que C'étoit un de ces génies rares & heureux qui apprennent tout d'eux-mêmes, & il avoit le don plus rare encore d'enfeigner ce qu'il favoit. Toulouse ne connut point fes forces; elle lui préféra pour la chaire de droit un rival qui, chargé de connoiffances indigeftes ne pouvoit avoir que le mérite d'une lanterne fourde. Il fe retira à Bourges, & huit cens écoliers le vengerent de fa patrie. Les capitouls reconnoiffant leur faute de n'avoir pas ménagé pour leur ville un fi habile homme le rappelerent; il leur envoya cette lettre courte & fiere, digne de Coriolan: Senatui P. Q. Tholofano. Jacobus Cujacius, S. P. D. Fruftrà abfentem requiritis, quem præ fentem neglexiftis. Valete. Dans cette univerfité où l'avoit attiré · Michel de l'Hôpital, il eut une dispute civile avec Duaren, dont la réputation l'écrafoit. Comme les écoliers fe mêloient de la querelle à coups de poing, Cujas se retira en remerciant fon illuftre confrere de la néceffité où il l'avoit mis de s'inftruire. Avec un rayon de gloire de plus, de la modeftie, il s'établit à Valence. Le premier hommage que lui rendit le parlement de Grenoble fut de l'inviter, avec la permiffion du roi, à prendre féance parmi les confeillers comme interprête des loix. Une marque d'eftime ne fe refuse pas; cependant il eut l'honnêteté, en n'occupant jamais fa place, de laiffer croire que le fanctuaire de la justice pouvoit n'avoir pas befoin d'une nouvelle Jumiere. Le duc de Savoie l'appeloit à Turin; ce |